La « bataille culturelle » de Pouria Amirshahi contre la technocratie

Lancé dimanche autour du député socialiste, «Mouvement commun» veut décloisonner la gauche en s’inspirant des recettes de Podemos.

Erwan Manac'h  • 9 novembre 2015 abonné·es
La « bataille culturelle » de Pouria Amirshahi contre la technocratie

« La première chose est de casser les cadres ! » Pliés en deux sur leur chaise en plastique, par grappe de dix, fondues dans un épais brouhaha, environ 500 personnes se sont prêtées, dimanche, à un exercice de déconstruction des pratiques politiques.

Partant du constat unanime d’une profonde crise démocratique, le député socialiste des Français de l’étranger, Pouria Amirshahi, a convié des militants de toutes les familles politiques à la gauche du PS et de mouvements citoyens, pour le lancement du « Mouvement commun », à Montreuil (Seine-Saint-Denis).

Lire > Pouria Amirshahi : Construire ensemble le mouvement commun

Illustration - La « bataille culturelle » de Pouria Amirshahi contre la technocratie

L’originalité de ce nouveau mouvement, impulsé en septembre 2014, est qu’ « il n’est pas indexé sur les échéances électorales ni sur les contingences des partis », martèle le député, l’unique « frondeur » a avoir voté contre le budget présenté par sa majorité en octobre[^2]. Il n’était donc pas question des régionales, ce dimanche, ni des discussions sur la « recomposition de la gauche », imposée par le virage libéral de la majorité socialiste et l’implosion annoncée du Parti socialiste.

« Une gouvernance oligarchique »

« C’est une stratégie de reconquête du terrain perdu. Une bataille culturelle ! Vu le degré de confiscation des pouvoirs et des richesses *, le niveau de repli sur soi, de compétition entre les territoires et les individus :* tout ça ne se réglera pas en une élection présidentielle. Il faut prendre du temps pour y arriver   » , assure le député à Politis .

Pouria Amirshahi et ses amis veulent contribuer à labourer le terrain pour faire converger les luttes locales et « des gens qui ne sont pas dans les radars militants traditionnels, mais qui font bouger le pays »

« Il faut mettre en commun les innovations locales, car elles peuvent faire modèle, et nous donner la force collective, à un moment où les partis sont incapables de se réinventer tout seuls » , prône Christian Paul, député socialiste et chef de file des « frondeurs » au dernier congrès du PS. Une gouvernance oligarchique s’est installée en France, avec des gens qui survivent très bien à l’alternance et continuent d’inspirer la politique de François Hollande ».

Un énième « Podemos à la française » ?

Fin d’après-midi, sous les néons de la Parole errante, les feuilles de synthèse et un micro circulent entre les ateliers pour recueillir les conclusions des discussions. « Il faut préparer des actions, sinon nous n’aurons que des gens comme nous, prêts à passer une après-midi à parler », avertit un participant dans la cacophonie.

Le Mouvement commun se propose donc de réinventer les cadres de la participation politique. Comme avant lui les « Chantiers d’espoir », lancés en janvier 2015 par le Front de gauche et EELV – abandonnés depuis –, le Mouvement pour la 6e République (M6R) initié en septembre 2014 par le Parti de gauche et qui continue son travail hors des radars, le « Projet commun » et participatif du PCF ou encore Nouvelle donne, mouvement créé en novembre 2013 autour de l’ancien socialiste et écologiste Pierre Larrouturou.

Mais Pouria Amirshahi assure ne pas entrer en concurrence avec ces initiatives, tendues selon lui vers des objectifs électoraux. La plupart des représentants de la gauche du PS étaient d’ailleurs venus témoigner de leur soutien à l’initiative[^3]. «  C’est une bonne chose que les socialistes fassent ce mouvement, notamment venant de Pouria Amirshahi, mais ils ne peuvent pas faire comme si tout était à reconstruire   » , nuance toutefois Éric Coquerel, coordinateur du Parti de gauche et candidat aux régionales en Île-de-France, qui juge aussi que l’échéance présidentielle «  ne peut pas être contournée » dans les discussions à gauche .

Toute tentative est bonne à prendre, juge de son côté Cécile Duflot : « Avant d’y arriver, on a besoin de plusieurs tentatives. Ce qui est sûr, c’est qu’on a besoin de lieux où on échange, de réinventer la manière de faire de la politique et que personne n’est titulaire de quoi que ce soit. La question est de savoir si nous allons y arriver ensemble », fait valoir la députée EELV de Paris.

Une web-TV des bonnes nouvelles

La forme du futur mouvement reste à définir, notamment en prenant en compte les contributions des ateliers qui ont occupé l’après-midi. Le mouvement annonce en revanche le lancement d’une web-télé, pour mener des débats contradictoires avec un journal des bonnes nouvelles et une rubrique humoristique. Mathieu Guibard, assistant parlementaire de Laurent Baumel, député PS d’Indre-et-Loire, monte décrire sur l’estrade le futur espace numérique de débat, dont le lancement est prévu d’ici à un mois, sur financement participatif.

La réussite de cette journée de lancement contribue en tout cas à raviver la flamme de la gauche du PS, des forces vives de l’Unef et du Mouvement des jeunes socialistes, présents en nombre ce dimanche. L’idée d’un mouvement ouvert sur la société civile était défendue par l’aile gauche du PS lors du congrès de Poitiers, au mois de juin.

Illustration - La « bataille culturelle » de Pouria Amirshahi contre la technocratie

Lire > Gauche du PS : un pas vers la sortie ?

« Ce n’est pas l’embryon d’un parti politique, espère en revanche Christian Paul. Nous devons rassembler largement. C’est à ce prix-là que cela fera sens. Car si c’est pour rassembler les déçus des appareils existants , ça ne marchera pas… »

Sur la petite estrade en bois encadrée par deux gradins, les témoignages sur des alternatives concrètes ont succédé aux interventions poétiques en fin d’après-midi. Jean, basket et veste de costume, Pouria Amirshahi conclut la journée dans un appel à « réhabiliter la démocratie piétinée ».

Le véritable défi commence pour le Mouvement commun : durer et s’amplifier hors des réseaux militants.

[^2]: Ce vote pourrait lui valoir une sanction du parti, comme Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du parti, l’avait clairement annoncé un mois avant le vote. Aucune mesure n’a été prise depuis le vote du budget, le 20 octobre.

[^3]: Hormis les « frondeurs » (Benoît Hamon, Jérôme Guedj, Pascal Cherki, Marie-Noëlle Lienemann, etc.), Cécile Duflot et Julien Bayou (EELV), Éric Coquerel et Alexis Corbière (Parti de gauche), Clémentine Autain (Ensemble !), Pierre Laurent (PCF), Caroline De Haas.

Politique
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