Les projets de l’exécutif pour rendre permanent l’état d’exception

On en sait un peu plus sur les projets constitutionnel et législatifs du gouvernement. Si une partie de la gauche manifeste de réelles inquiétudes, l’exécutif semble déterminé à aller au bout de la logique sécuritaire.

Chloé Dubois (collectif Focus)  • 3 décembre 2015 abonné·es
Les projets de l’exécutif pour rendre permanent l’état d’exception

Le gouvernement a transmis mardi au Conseil d’État un avant-projet de révision constitutionnelle afin qu’il puisse être présenté au conseil des ministres le 23 décembre. Ce texte, intitulé «protection de la Nation» , prévoit d’établir, selon les mots de François Hollande, « un régime civil de crise » afin d’agir « contre le terrorisme de guerre ».

Le gouvernement souhaite ajouter, et non pas modifier, deux articles à la Constitution de 1958. L’un concernant l’état d’urgence, l’autre relatif à la déchéance de la nationalité des binationaux français.

Si le projet de loi ne prévoit « pas de maximum » pour la durée de l’état d’urgence, comme il a été d’abord annoncé, il permettra en revanche « que certaines des mesures qui avaient été mises en œuvre pendant l’état d’urgence puissent avoir des effets après la fin de l’état d’urgence, pendant une durée maximale de six mois ». Sa durée reste donc fixée par la loi, comme tel est le cas aujourd’hui. Ce projet vise donc principalement à constitutionnaliser l’état d’urgence, puisque la loi du 3 avril 1955, ne prévoit que l’état de siège.

La réforme de la Constitution, texte qui représente la garantie de nos droits et de nos libertés fondamentales, pourrait également modifier les modalités de la déchéance de la nationalité, aujourd’hui relative à deux articles du code civil. Le gouvernement souhaite inscrire la possibilité de déchoir de sa nationalité française les binationaux condamnés pour acte de terrorisme. Si cette déchéance n’est aujourd’hui possible que pour les binationaux qui ont acquis la nationalité française, François Hollande avait déjà averti devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles, vouloir l’étendre aux binationaux nés français. Il avait alors déclaré :

«Nous devons pouvoir déchoir de sa nationalité française un individu condamné pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou un acte de terrorisme, même s’il est né Français, je dis bien même s’il est né Français, dès lors qu’il bénéficie d’une autre nationalité.»

Ce cap sécuritaire a tout pour réjouir la droite et le Front national. Beaucoup moins la gauche. Pourtant, de ce côté-là, seuls quelques députés ont à ce jour exprimé leurs inquiétudes, estimant que ce dispositif ne ferait que creuser les inégalités entre les citoyens binationaux, et les citoyens français.
Ce projet constitutionnel ne peut être adopté que par un vote favorable des 3/5 du Parlement, réuni en Congrès.

Texte de l’avant-projet de réforme constitutionnelle (verbatim)

*- Article premier

Après l’article 36 de la Constitution, il est inséré un article 36-1 ainsi rédigé :

«Art. 36-1. – L’état d’urgence est décrété en conseil des ministres soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique. La loi fixe les mesures de police administrative que les autorités civiles peuvent prendre, sous le contrôle du juge administratif, pour prévenir ce péril ou faire face à ces évènements.

La prorogation de l’état d’urgence au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi. Celle-ci en fixe la durée.

Lorsque le péril ou les événements ayant conduit à décréter l’état d’urgence ont cessé mais que demeure un risque d’acte de terrorisme, les autorités civiles peuvent maintenir en vigueur les mesures prises en application du premier alinéa pendant une durée maximale de six mois. La loi peut permettre, pendant la même durée, aux autorités civiles de prendre des mesures générales pour prévenir ce risque.»

  • Article deux:

    Après l’article 3 de la Constitution, il est inséré un article 3-1 ainsi rédigé :

« Art. 3-1. – Un Français qui a également une autre nationalité peut, dans les conditions fixées par la loi, être déchu de la nationalité française lorsqu’il est définitivement condamné pour un acte qualifié de crime ou de délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme»*

Deux textes de lois en préparation

Deux autres lois sécuritaires, en cours d’élaboration, viendraient par ailleurs compléter la réforme constitutionnelle. Elles devraient être présentées en janvier 2016, en conseil des ministres. Les quelques mesures réclamées par le ministère de l’Intérieur d’ores et déjà connues confirment que l’exécutif n’envisage pas de limiter dans le temps son coup de barre sécuritaire  :

-* Possibilité pour la police de saisir tout document ou objet lors d’une perquisition administrative, sans contrôle du procureur, même la nuit.
-* Création d’un délit d’obstruction de la perquisition administrative.
-* Interconnexion globale de tous les fichiers, notamment ceux de la Sécurité sociale.
-* Élargissement des possibilités de vidéosurveillance dans les lieux publics.
-* Assouplissement de régime de la légitime défense pour les policiers.
-* Installation systématique de GPS sur les véhicules loués.
-* Les opérateurs téléphoniques devront conserver les factures détaillées pendant deux ans (contre un an aujourd’hui).
-* La garde à vue en matière terroriste devrait passer de six à huit jours.
-* Des valisettes anti-relais qui récupèrent dans un périmètre donné toutes données téléphoniques (IMSI-Catchers) pourront être utilisées sans autorisation.

La possibilité de poser des micros dans les domiciles, dans le cadre d’une enquête préliminaire a également été mentionnée. Aussi, les pouvoirs accordés durant une enquête de flagrance, faite par la police, pourraient être alignés sur ceux en vigueur lors des enquêtes préliminaires (sous le contrôle du procureur).

Si la prolongation de l’état d’urgence à l’Assemblée nationale, a été voté le 19 novembre sans résistance, quelques voix critiques commencent à se faire entendre. Pas de quoi toutefois, pour le moment, empêcher l’adoption de ces projets constitutionnel et législatifs qui représentent un réel danger pour nos libertés fondamentales.