Plurilinguisme : un enjeu pour l’école

La réforme du collège et la suppression des filières bilangues pénalisent l’apprentissage de l’allemand au profit de l’anglais. Des professeurs d’allemands réagissent et rappellent la complémentarité des dispositifs en faveur de l’apprentissage précoce des langues étrangères.

Laurent Bornert  et  Jean-Michel Hannequart  • 22 mars 2016
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Plurilinguisme : un enjeu pour l’école
© Crédit photo: CITIZENSIDE/CHRISTOPHE ESTASSY / CITIZENSIDE.COM

L’étude de l’évolution de l’enseignement des langues en France réserve bien des surprises. Le pays champion de la diversité culturelle qui veut promouvoir la francophonie contre le « tout anglais » n’a pas de véritable politique des langues adaptée à ses besoins et qui régule l’offre d’apprentissage. Seuls l’anglais, l’espagnol et l’allemand sont proposés dans les établissements du 2e degré. Le portugais ou l’arabe, langues de nombreuses familles issues de l’immigration sont quasi absentes. Le russe s’est effondré alors que la Russie est une puissance non négligeable en Europe. L’allemand a longtemps reculé malgré la coopération politique entre la France et l’Allemagne, décisive pour l’avenir de l’Europe et malgré l’exigence d’une bonne maîtrise de la langue du partenaire pour la coopération économique.

Laurent Bornert, est membre de l'ADEAF (Association pour le Développement de l'Enseignement de l'Allemand en France) et des Echanges Franco-Allemands. Jean-Michel Hannequart est professeur d'allemand au Havre, membre de l'ADEAF et auteur de l'article L’enseignement des langues vivantes en France.

Le Ministère de l’Education n’a jamais mis en place une véritable information pour le choix des langues et fait correspondre l’offre d’apprentissage aux seuls choix des parents d’élèves. Au fur et à mesure que l’enseignement de deux langues a été généralisé à tous les élèves du 2e degré et depuis 20 ans en primaire, ces choix se sont uniformisés. De plus en plus de diplômés présentent le même profil linguistique: anglais–espagnol. Un pays ouvert comme le nôtre ne devrait-il pas promouvoir le plurilinguisme dans toutes ses filières d’enseignement et élaborer une politique des langues adaptée ?

Dans les années 1990, la généralisation de l’enseignement de la LV1 en primaire porte un coup à l’allemand. S’il était encore possible de maintenir une section de germanistes en collège, il devenait impossible de proposer l’allemand dans 5 ou 6 écoles du secteur faute d’effectifs suffisants. Malgré l’engagement des enseignants, l’anglais s’est imposé dans le premier degré. L’allemand et le russe encore LV1 ont le plus souffert du développement des langues en primaire. Il faut attendre 2005 pour enrayer le déclin de l’allemand : lors du 40ème anniversaire du traité de l’Elysée, les responsables politiques mettent en place un plan de relance des langues partenaires avec le développement du dispositif bilangue qui ne met plus l’allemand en concurrence avec l’anglais, mais en complément. L’apprentissage de l’allemand renforce celui de l’anglais comme celui de l’anglais permet de mieux maîtriser l’allemand. Pour s’opposer à l’uniformisation linguistique et favoriser le plurilinguisme, il faut faire preuve de constance et de détermination.

Ce n’est pas le cas en France dont le gouvernement remet en question la politique menée depuis 2004 en faveur de l’allemand. La réforme du collège supprime le dispositif bilangue ou le conserve pour une minorité d’élèves ayant étudié une autre langue que l’anglais en primaire. Le Ministère constate l’impact de la réforme sur l’allemand plusieurs mois après son annonce, tente de réparer les dégâts sans se déjuger et propose des «bilangues de continuité». Ces incohérences annihilent dix ans d’efforts pour rééquilibrer les choix de langue des jeunes Français : une structure est abrogée sous prétexte de comportements élitistes ; la nouvelle introduit entre l’anglais et les autres langues une inégalité de traitement et décrédibilise le plaidoyer de nos responsables pour la diversification linguistique. Pour relever les défis de la mondialisation et donner à son économie les moyens de s’adapter à l’internationalisation des échanges, la France doit engager une politique qui permette à tous de maîtriser l’anglais, mais aussi s’ouvrir à d’autres cultures, promouvoir les langues de nos partenaires les plus importants, l’Allemagne, l’Italie, les pays arabes,… Les bilangues et les sections européennes y contribueraient avec une meilleure information sur l’enjeu du choix des langues. Une réflexion sur les rythmes d’étude et leur efficacité devra aussi être menée, car toutes les réformes allongent les périodes d’apprentissage et réduisent l’exposition hebdomadaire à la langue. Il est préférable d’intensifier l’apprentissage sur une période limitée, puis d’utiliser la maîtrise acquise dans des modules non linguistiques enseignés en langue étrangère et donc de développer les classes européennes.

Cela permettra de proposer plus de langues et de donner leur chance à des langues injustement négligées. Cela suppose que notre pays se dote enfin d’une véritable politique des langues.

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