Loi travail : La rue ne veut pas dire son dernier mot

Les opposants à la loi travail ont appris le recours à l’article 49.3 alors qu’ils manifestaient. Ils n’en continuent pas moins à demander unanimement l’abandon du projet.

Chloé Dubois (collectif Focus)  • 5 juillet 2016
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Loi travail : La rue ne veut pas dire son dernier mot
© Photo : ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Moins nombreux, mais toujours déterminés, les opposants à la loi travail se sont une nouvelle fois élancés dans les rues de Paris pour protester contre le projet de réforme. Mais ce mardi 5 juillet, les contestataires affichent aussi un certain fatalisme, et pour cause. À peine le projet de loi travail était-il revenu à l’Assemblée nationale pour une deuxième lecture que déjà Manuel Valls dégainait l’article 49.3 de la Constitution. Encore. Une manœuvre jugée « anti-démocratique » par les manifestants, qui avaient déjà dénoncé son utilisation le 10 mai dernier et le mépris du droit d’amendement.

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Organisé entre la place d’Italie et la place de la Bastille, le rassemblement s’est en effet révélé plus clairsemé que d’ordinaire. Rues verrouillées par un important dispositif policier, stations de métro fermées, filtrage et fouille des manifestants en ont dissuadé plus d’un. Si la CGT a annoncé la présence de 45 000 manifestants à Paris, les autorités ont recensé quelque 7 500 contestataires à Paris.

Au départ de la manifestation, la rumeur d’une nouvelle utilisation de l’article 49.3 de la Constitution ne semble pas créer la surprise. Selon le porte-parole de l’Union syndicale Solidaires, Eric Beynel, « le 49.3 apparaît comme la suite logique de la politique menée par le gouvernement » depuis plusieurs mois :

Le gouvernement a prétendu faire une loi sociale, mais il refuse tout débat de fond. Même les amendements déposés par les députés ne touchent pas à l’essentiel. Ce que je souhaite aujourd’hui, c’est que ce projet de loi tombe.

Bien que l’appel à manifester n’ait pas attiré autant de travailleurs que lors des précédentes mobilisations, Philippe Martinez reste confiant sur l’avenir de la mobilisation et annonce d’ores et déjà un programme pour les congés d’été. « Rencontre avec les salariés », « actions », mais aussi repos des militants entrés en lutte il y a plus de quatre mois. Le secrétaire général de la CGT appelle par ailleurs les députés à réfléchir à la démocratie, notamment concernant le passage en force du projet de loi par l’utilisation du 49.3 : « Lorsque l’on a autant d’opposition contre son projet de loi, il faut savoir écouter. »

Pour Nathalie Arthaud (Lutte Ouvrière), l’utilisation de cet article a tout d’une « démonstration de force », d’une « provocation » faite aux manifestants, le jour même où une mobilisation nationale est organisée. « Des batailles sont encore à mener, mais nous ne désarmons pas », assure la candidate à la présidentielle de l’organisation trotskiste, pour qui ces quatre mois de mobilisations « ont permis de prouver la capacité de résistance des travailleurs ».

Peu avant 16h, place de la Bastille, la nouvelle a fini par arriver jusqu’aux manifestants. Cette fois, c’est sûr, le Premier ministre dégaine le 49.3 et met ainsi fin au débat. Muni de son mégaphone, un jeune homme salut le courage des grévistes et promet que la mobilisation ne va pas s’arrêter là. Confiant, il appelle notamment les opposants à la loi travail à se rendre à l’Assemblée nationale à 19h, et à rejoindre l’action organisée par la Commission économie de Nuit debout.

Dispositif du maintien de l’ordre : « Comment cela peut-il être légal ? »

Mais sur le trajet de la manifestation, la colère des manifestants s’est exacerbée. Vingt minutes à peine après le départ, une jeune femme veut faire demi-tour. D’après elle, une centaine de personnes seraient retenues et empêchées d’entrer dans le cortège par les forces de l’ordre, pour « détention de sérum physiologique ». Selon la préfecture de police, sept personnes ont d’ailleurs été interpellées en marge de la manifestation pour avoir essayer de faire entrer du « matériel non autorisé » dans le cortège. Une qualification bien ambiguë qui ne précise en rien quel genre de matériel est prohibé.

Plus tard, alors que la tête de cortège s’apprête à s’engager sur le pont d’Austerlitz, deux membres d’Amnesty international arpentent le bitume et observent le déroulement de la manifestation. Pour la deuxième fois, des équipes de l’organisation non gouvernementale ont été mandatées pour « observer le dispositif de maintien de l’ordre mis en place par les autorités ». Une mesure qui fait suite aux nombreuses plaintes et polémiques, notamment autour de l’usage de la force des policiers et des CRS. Depuis la dernière manifestation, les deux membres d’Amnesty International racontent avoir principalement constaté une « forte présence policière », des « fouilles arbitraires », mais aussi des « interpellations en marge des cortèges », qui visent à empêcher certains individus de manifester.

Une dérive du maintien de l’ordre d’après Camille, pour qui entrer dans la manifestation a justement été compliqué. « Les stations ont été fermées, et les rues adjacentes bloquées, raconte la jeune trentenaire. Pour rejoindre le cortège, j’ai dû faire le trajet à l’envers… Comment cela peut-il être légal ? »

Si depuis le début de la mobilisation contre la loi travail les tensions avec les forces de l’ordre se sont régulièrement soldées par des affrontements, le dispositif désormais adopté par les autorités pose question.

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