Sékouba Marega, menacé d’expulsion, victime de « la politique du chiffre » ?

Détenu dans un centre de rétention puis placé en garde à vue, Sékouba Marega a été libéré grâce à une erreur de qualification juridique. Malgré le soulagement, le jeune homme demeure sous la menace d’une expulsion.

Chloé Dubois (collectif Focus)  • 14 septembre 2016
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Sékouba Marega, menacé d’expulsion, victime de « la politique du chiffre » ?
Sékouba Marega (à gauche) entouré de sa famille.
© Sékouba Marega.

Arrivé en France en 2012 pour jouer au football, Sékouba Marega est aujourd’hui prié de plier bagage par les autorités françaises. Et en silence ! Menacé d’expulsion ou d’une peine de prison, le jeune père de famille a échappé in extremis à une éventuelle condamnation ce mardi 13 septembre.

« Si une obligation de quitter le territoire demeure, précise néanmoins son avocate Catherine Herrero, Sékouba Marega peut désormais entamer des démarches pour obtenir un titre de séjour. » De même, le parquet peut décider à tout moment de reprendre les poursuites en requalifiant les faits.

En effet, le jeune homme était poursuivi devant le tribunal pour « soustraction à une mesure de reconduite à la frontière prise par le préfet en 2015, consistant en une interdiction du territoire français », suite à son arrestation le 10 septembre, survenue après 45 jours de rétention.

Hormis la mauvaise date indiquée sur la convocation de Sékouba, qui démontre la légèreté avec laquelle ce genre d’affaire est traitée, son avocate évoque une double faute de qualification juridique : « Non seulement Sékouba Marega n’a jamais été visé par une interdiction de territoire français, mais un préfet ne peut pas non plus prendre de décision concernant ce genre de mesure. »

La réalité complexe des expulsions

En 2014, Sékouba Marega rencontre une jeune Sénégalaise, Aminata. En juin dernier, celle-ci donne naissance à leur premier enfant. Sans solution d’hébergement, la jeune femme est orientée vers un foyer mère-enfant où Sékouba Marega ne peut résider. Cela dit, la famille, accompagnée par un travailleur social, entame des démarches administratives pour trouver un logement qui leur permettrait de vivre ensemble.

Contrôlé le 27 juillet en sortant de son travail, Sékouba Marega est incarcéré dans un centre de rétention « sans n’avoir commis aucune infraction, assure Malika Chemmah, membre de Réseau éducation sans frontières (RESF). Il dispose même d’un titre de transport ».

Mobilisée aux côtés du jeune homme pour obtenir sa libération et sa régularisation, Malika Chemmah a activement participé à alerter l’opinion publique sur la réalité de ces expulsions _« servant à alimenter une politique du chiffre ». Celle-ci raconte plus de 45 jours de rétention, commencée fin juillet.

Dès le mois d’août, les autorités françaises souhaitent rapatrier Sékouba Marega à Bamako. Une expulsion que le jeune homme est en droit de refuser, ce qu’il fait. Mais mercredi 7 septembre, Sékouba Marega est de nouveau confronté à un départ imminent. Menotté, sanglé aux chevilles et aux genoux, un casque sur la tête, le jeune malien est violenté par les forces de l’ordre qui s’acharnent sur lui, pourtant incapable d’opposer la moindre résistance physique.

Les passagers du vol s’opposent alors à cette expulsion forcée, et réussissent à provoquer le débarquement de Sékouba Marega. Une scène qui a d’ailleurs été filmée et a permis d’attester l’attitude non-violente du jeune père de famille. « De retour au centre de rétention, et éprouvant des difficultés à respirer, celui-ci a souhaité voir les pompiers, raconte Malika Chemmah. Mais ils ne sont jamais venus. » Sékouba Marega a d’ailleurs déposé plainte contre les services de police pour violence.

« Il ne pouvait rien faire… »

Samedi 10 septembre, tout recommence. Une demi-heure avant la fin de sa détention, la durée légale étant fixé à 45 jours, l’homme est amené à l’aéroport. De nouveau, Sékouba Marega est menotté, son visage dissimulé. « Frappé dans l’avion, des dizaines de passagers ont alors demandé à ce que la violence cesse, rapporte Malika Chemmah, qui salue l’attitude de ces voyageurs. Je crois qu’il y a des choses que l’on ne peut pas accepter. Et il est de la responsabilité de chacun de s’opposer à une telle maltraitance. »

La révolte des passagers permet une deuxième fois au Malien d’échapper à son expulsion. Deux d’entre eux seront d’ailleurs évacués de l’avion par les forces de l’ordre avant d’être libérés quelques minutes plus tard. Mais Sékouba Marega, lui, est cette fois conduit en garde à vue pour « refus d’embarquement », et déferré devant un juge le lendemain.

Malika Chemmah dénonce un « acharnement aveugle ». « Comment peut-on dire qu’il s’agissait d’un refus d’embarquement alors qu’en réalité, ce sont les passagers qui se sont opposés à cette expulsion, indignés de son déroulement, continue la bénévole. Lui, il ne pouvait rien faire… »

Mais Catherine Herrero, son avocate, évoque des versions contradictoires données par la police et le commandant de bord, pour qui « Sékouba Marega aurait crié pour alerter les passagers. Ce qu’il conteste, assurant que les faits de violences étaient similaires à ceux constatés quelques jours auparavant ». Par ailleurs, Maître Herrero confie que « Sékouba ne se trouvait pas dans un très bon état ce mardi, à l’occasion de l’audience, et qu’il boitait. »

Un détournement de procédure

Le 10 septembre, un laissez-passer européen a été déposé à l’encontre de Sékouba afin de le reconduire dans son pays d’origine. Un « détournement de procédure », d’après Maître Herrero, qui note par ailleurs que Sékouba Marega n’a jamais été accusé de troubles à l’ordre public, ni commis d’acte grave justifiant une telle mesure.

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Enfin, « il n’y aucune certitude que le Mali aurait accepté le retour de cette personne, puisqu’il ne s’agit en fait que d’une obligation de quitter le territoire européen, conclue Me Catherine Herrero. Il n’autorise pas l’entrée dans l’espace Malien. »

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