Salle de conso à Paris : pourquoi ça va marcher

La première salle de consommation à moindre risque a été inaugurée le 11 octobre à Paris. Un nouvel « outil » de réduction des risques qui a fait ses preuves à l’étranger. Explications et visite guidée.

Olivier Doubre  • 13 octobre 2016 abonné·es
Salle de conso à Paris : pourquoi ça va marcher
© La ministre de la Santé Marisol Touraine en visite de la salle de consommation qui vient d'ouvrir à Paris.Photo : CITIZENSIDE / patrice pierrot / Citizenside

Flambants neufs, les locaux sont vastes, agréables, œuvre d’une équipe d’architectes qui les ont réalisés avec « une volonté de réduire le stress et accompagner les usagers dépendants en toute sérénité ». Jouxtant l’hôpital Lariboisière, cette salle de consommation à moindre risque (SCMR) est destinée aux nombreux usagers de drogues les plus précarisés, qui arpentent les rues du Xè arrondissement et de ce quartier de la gare du Nord (1).

Jusqu’à aujourd’hui, ceux-ci consommaient le plus souvent des drogues dans l’espace public ou dans des lieux semi-privés aux conditions d’hygiène généralement déplorables : parkings souterrains, toilettes publiques, caves, cages d’escaliers, ou parfois simplement dans la rue entre deux voitures… Des pratiques qui génèrent évidemment de graves nuisances pour les riverains qui, depuis des années, se plaignent de retrouver des seringues dans leurs immeubles ou d’avoir à enjamber un consommateur en rentrant de l’école avec leurs enfants.

Les SCMR sont nés il y a plus de trente ans en Suisse, dans les quartiers devenus des « scènes ouvertes » de consommations et de trafic de stupéfiants. Elles se sont ensuite développées dans une dizaine de pays, au Canada, Luxembourg, aux Pays-Bas, en Belgique ou en Australie. En pleine épidémie de sida, l’idée d’accueillir dans un lieu propre, avec du personnel médico-social, les usagers vivant et/ou consommant dans la rue a été le fruit d’une analyse pragmatique de la situation, afin d’éviter les désagréments pour les riverains en termes de sécurité et de salubrités publiques.

Une approche qui, pour certains habitants du quartier de la gare du Nord fortement encouragés par une partie de la droite parisienne, a été totalement incomprise. Ils craignent que la future SCMR devienne « un point d’enkystement et d’attirance pour les “toxicomanes” », et se sont mobilisés contre son implantation. Il y a trois ans, leur recours devant le Conseil d’État a réussi à faire annuler une première mouture du projet de salle, obligeant Marisol Touraine à inclure dans la loi Santé de décembre 2015 l’expérimentation de telles structures pour une première période de six années.

Le résultat d’une longue lutte politique

Trois ans d’une lutte âpre et de vifs débats souvent caricaturaux emmenés par la droite et l’extrême droite, qui expliquent l’engagement appuyé de la ministre de la Santé, de la maire de Paris Anne Hidalgo et de l’édile du Xè arrondissement, Rémy Féraud, venus ensemble inaugurer mardi matin 11 octobre « ce nouvel outil s’insérant dans l’ensemble du dispositif de réduction des risques dans la Capitale ».Car il s’agit d’abord de « prendre soin », comme l’a rappelé Bernard Jommier, maire-adjoint de Paris à la Santé.

Si le maire du Xè arrondissement a volontiers reconnu qu’il lui « avait fallu du temps avant d’être convaincu de l’utilité et l’efficacité d’une telle structure », sa directrice, Elisabeth Avril, médecin de l’association Gaïa (émanation de Médecins du Monde, qui gère la salle), a pour sa part salué ASUD (Auto-Support des usagers de drogues) : c’est cette association d’usagers de drogues qui, « en 2009, a relancé et défendu l’idée d’introduire ce dispositif des SCMR en France, très en retard par rapport à nombre de ses voisins ».

Des résultats incontestables, pour les usagers et… les riverains

On peut comprendre les craintes des opposants à ce projet, du moins pour ceux qui, de bonne foi, ont exprimé leurs inquiétudes. Mais c’est sans aucun doute le fruit d’une certaine ignorance : toutes les SCMR peuvent se targuer d’excellents résultats, constatés et évalués scientifiquement depuis de nombreuses années, dans les différentes villes à travers le monde où elles ont été implantées, au cœur des quartiers touchés par la consommation de drogues dans leurs rues.

Ainsi, à Sidney, on a constaté une baisse de 50% du nombre de seringues abandonnées dans l’espace public autour de la structure, le chiffre atteignant même 76% à Barcelone. De même, le nombre de personnes consommant des drogues dans l’espace public près de la SCMR de Vancouver a baissé de moitié ; à Rotterdam, la baisse est même de 83% ! Et dans les quartiers où ont été ouvertes des SCMR, le nombre d’overdoses constatées aux alentours a chuté d’au moins 40%, dès la première année de leur implantation. Ces structures sauvent donc des vies, et évitent des contaminations de sida ou d’hépatites, fréquentes chez les usagers de drogues, du fait de pratiques de consommation dans des conditions précaires d’hygiène.

Mais, dans les quartiers avec une SCMR, les riverains également bénéficient d’améliorations substantielles de leur vie quotidienne, qui connaissait auparavant de graves nuisances du fait de la consommation de drogues. Des améliorations telles que certains riverains au départ vivement opposés à la structure ont totalement changé d’approche. Ainsi, à Genève, dans le quartier de la gare, l’implantation de la SCMR avait été l’objet d’une violente campagne à l’initiative du parti d’extrême droite, l’UDC. Mais seringues, overdoses et consommations en public ayant assez vite disparu du regard des riverains, du moins durant les heures de fonctionnement de la SCMR, les anciens opposants se sont bientôt mis à demander… son ouverture 24h/24 et 365 jours par an !

A Paris, vers plusieurs centaines de visites par jour ?

Avec une population estimée entre 100 et 200 usagers fréquentant quotidiennement la « scène ouverte » autour de la gare du Nord, Elisabeth Avril prévoit, après quelques mois d’ouverture, une possible fréquentation autour de 300 passages par jour. Un chiffre tiré des pratiques constatées dans d’autres structures du même type à l’étranger, où chaque usager peut venir deux à trois fois par jour.

Le public de la SCMR découvrira en tout cas, à partir de lundi 17 octobre, des locaux tout neufs aux murs blancs, pensés pour évacuer le stress et la violence de la rue. Après une première salle d’accueil et d’attente où sont disponibles le matériel stérile nécessaire aux injections ou à l’inhalation (pour les fumeurs de crack), des préservatifs et des produits de « bobologie » (pansements, crèmes réparatrices), l’usager pénètrera dans la « salle de conso », arrivé avec le stupéfiant qu’il va consommer.

Là, une demi-douzaine de box individuels, tous visibles de l’extérieur sont prévus pour les injecteurs avec, sur chaque table, un petit conteneur pour récolter les seringues usagées. En face, derrière une autre baie vitrée, la salle dédiée à l’inhalation de crack, dotée d’un extracteur d’air, tout comme une petite pièce attenante pour le tabac. Au milieu de ces espaces de « consommation supervisée », les médecins et infirmiers sont prêts à donner tous les conseils pour éviter les pratiques dangereuses, les contaminations aux maladies infectieuses, les risques d’overdoses.

Tout est impeccablement propre, avec en outre des coins permettant de prendre un café ou une petite collation. L’ensemble étant pensé pour permettre au personnel de la structure d’engager la discussion avec l’usager qui, généralement, fait partie de ceux qui ont de trop rares contacts avec le système de soins. Car c’est là un des principaux buts de la structure : engager un dialogue avec ces usagers précarisés et souvent isolés à même de les orienter, s’ils le souhaitent, vers une démarche de traitements et de soutien médico-social.

On le sait en effet depuis longtemps maintenant : viser autoritairement une abstinence rapide (la plus haute « marche » sur la voie d’une éventuelle « guérison ») est voué à l’échec, en tout cas si le processus engagé n’est pas progressif, volontaire et librement choisi. C’est pourquoi à côté de la partie « consommation », des espaces sont vouées à des consultations médico-sociales.

Enfin, un espace de repos, avec une bibliothèque, des canapés et fauteuils, permettent à l’usager de se poser, de récupérer, après la dureté de la rue et la prise de drogues. En outre, un atelier de création d’objets et d’expression artistique offre aux personnes accueillies le loisir de laisser leur esprit s’ouvrir, loin de l’incessante course aux produits.

Débarrasser l’espace public des nuisances de la consommation de drogues dans un contexte de grande précarité et renouer un contact avec ces personnes extrêmement marginalisées constituent les objectifs de cet « outil de réduction des risques », qui vient s’ajouter aux autres dispositifs d’accueil, de soins et de traitements. Les SMCR ont fait leurs preuves à l’étranger ; la salle de la gare du Nord devrait faire les siennes rapidement.

(1) Accolée à l’hôpital Lariboisière, mais jouissant d’une entrée autonome, la SCMR est située au 4 rue Ambroise-Paré, Paris Xè. Ouverture 7j/7, de 13h30 à 20h30. Ligne téléphonique Gaïa-Paris dédiée aux riverains : 07 62 49 93 45

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