Les candidats macronistes ont fui le débat avec leurs concurrents

Dans le pays entier, des candidats de tous bords se sont plaints du refus des candidats En marche ! de débattre avec eux. Un phénomène si général qu’il semble dicté par une consigne nationale

Michel Soudais  • 16 juin 2017 abonné·es
Les candidats macronistes ont fui le débat avec leurs concurrents
© Photo : Artur Widak / NurPhoto

Jeudi 15 juin, Jet FM, une radio locale du pays nantais bien connue de Politis, avait programmé un débat en direct, animé par Pascal Massiot, entre les deux candidates encore en lice sur la 3e circonscription de Loire-Atlantique : Martine Gourdon de la France insoumise (FI) et Anne-France Brunet de La République en marche (LREM). Avant le premier tour, Jet FM avait interviewé les 18 prétendants à la députation sur cette circonscription, où sont installés les locaux de la radio. Et son animateur avait eu l’accord oral préalable des deux candidates citées de participer à un débat au cas où elles seraient qualifiées. Mais lundi soir à 22h39, Pascal Massiot a reçu le texto suivant de la part de l’équipe de la candidate LREM :

Bonsoir, nous accepterions de débattre avec tout parti démocratique, cela ne peut être le cas avec notre adversaire de deuxième tour. Vous nous voyez désolés de ne pas pouvoir confirmer notre rendez-vous. Vous souhaitant une bonne soirée, Maryon Boisnard, chargée de presse d’Anne-France Brunet

Pascale Massiot a ensuite contacté l’équipe de campagne d’Anne-France Brunet, qui lui a répondu en substance que FI et FN c’est du pareil au même, on ne débat pas avec ces gens-là. Une position confirmée dans Ouest-France« On se bat contre les extrêmes, le FN à droite, les insoumis à gauche » – qui a suscité un tollé sur les réseaux sociaux. Sauf que la raison invoqué a tout d’un (détestable) prétexte puisque dans une autre circonscription du département, la 7e, c’est avec le candidat LR Franck Louvrier, ex-conseiller de Nicolas Sarkozy, que la candidate LREM Sandrine Josso refuse de débattre. « Les citoyens ne s’intéressent plus aux débats », décrète-t-elle.

« Ces candidats En marche ! n’ont rien à dire »

Partout en France, des candidats de tous bords se sont plaints ces derniers jours que leurs adversaires macronistes refusent de débattre avec eux dans l’entre-deux-tours. C’est le cas de Sergio Coronado (EELV), Manuel Bompard (FI), Olivier Dussopt (PS), Guillaume Larrivé (LR), Gaëtan Dussausaye (FN)… Les refus se comptent par dizaines. En Seine-et-Marne, on peut en observer dans cinq circonscriptions au moins ; face à trois candidats LR, Denis Jullemier (1ère), Chantal Brunel (8e) et Guy Geoffroy (9e), un candidat FI, Maxime Laisney (voir son entretien avec notre blogueur Jean-Riad Kechaou), et le président du groupe PS à l’Assemblée, Olivier Faure, qui a fait part de son agacement à nos confrères de La République de Seine-et-Marne :

Se soustraire à ce point là au jugement des électeurs, ce n’est pas sérieux. Cette campagne, c’est une mascarade, du marketing ! Ces candidats En marche ! n’ont rien à dire. Si ce refus était venu de n’importe quel autre parti, cela aurait révolté tout le monde. Des élections législatives, c’est du sérieux !

Dans la 10e circonscription de Paris, c’est via Twitter que Leila Chaibi (FI) a proposé un débat à Anne-Christine Lang (LREM), qui vient de siéger trois ans à l’Assemblée comme suppléante du ministre (PS) Jean-Marie Le Guen, sans y montrer une grande activité. Réponse de cette dernière : « À trois jours du second tour, ma place est sur le terrain, pas dans une opération de com ! » Comme si une confrontation d’opinions et de programmes n’était pas le b.a.-ba du débat démocratique. « Silence radio » également du côté du secrétaire d’État Mounir Mahjoubi, selon la candidate FI de la 16e circonscription de Paris, Sarah Legrain, qui entend « beaucoup de gens que cela choque ». En guise de réponse, l’entourage de M. Mahjoubi a mis en avant les contraintes d’emploi du temps du secrétaire d’État : « Il est très peu disponible, il est ministre. Il préfère utiliser les quelques heures qu’il a pour aller voir les habitants. »

« Le débat, il se fait dans les urnes »

« Partout où nous sommes au deuxième tour, nous avons proposé un débat aux candidats En marche !. Aucune réponse », notait mardi sur France Inter Danielle Simonnet, coordinatrice du Parti de gauche. Candidate FI dans la 6e circonscription de Paris, elle réitéré sa demande auprès de son concurrent LREM, Pierre Person, croisé sur un marché le lendemain. Dans le petit film de cette rencontre impromptue, diffusé par Danielle Simonnet celui réplique : « L’offre elle est claire, les citoyens connaissent mon programme, celui d’Emmanuel Macron, ils connaissent mes priorités pour la circonscription. […] C’est un débat national. »

Interrogés par la presse nationale ou locale, les candidats LREM mettent souvent en avant des contraintes d’agenda, l’agressivité supposée de leur adversaire ou leur envie d’aller plutôt sur le terrain. « Le débat, il se fait dans les urnes », a ainsi déclaré à l’AFP Pierre Person, ajoutant que s’il avait eu « un adversaire plus constructif » que Danielle Simonnet son attitude eût pu être différente.

La République en marche conteste que ces refus soient le fait d’une consigne nationale, comme le suspecte ses adversaires, tant les candidats sont nombreux à se dérober. « On les a plutôt incités et encouragés », en mettant à leur disposition des « fiches » leur permettant de se préparer « à la fois sur la forme et le fond ». « Ce serait contraire à l’esprit du mouvement de ne pas débattre », a dit le parti.

Des candidats mal préparés, incapables d’argumenter

Reste que les candidats sont souvent loin d’avoir été bien briefés. Opposé à Daniel Fasquelle (LR) dans la 4e circonscription du Pas-de-Calais, Thibaut Guilluy (LREM) a ainsi prétendu le 14 juin que l’inversion de la hiérarchie des normes était « anticonstitutionnelle donc ce n’est pas quelque chose qui est envisagé » dans la réforme du code du travail. Le matin même, le porte-parole du gouvernement Christophe Castaner venait de rappeler sur BFMTV que faire primer l’accord d’entreprise sur l’accord de branche était « l’objectif ».

Comme ici, des débats télévisés ou radiodiffusés ont bien été organisés pour certaines circonscriptions, par exemple entre Nathalie Kosciusko-Morizet (LR) et Gilles Le Gendre (LREM), entre François Ruffin (FI) et Nicolas Dumont (REM), ou entre Najat Vallaud-Belkacem (PS) et Bruno Bonnell (LREM). Mais cela reste des exceptions.

S’il n’existe pas de consigne nationale, l’absence d’expérience politique et l’impréparation complète d’un très grand nombre de candidats peut expliquer la multiplication des dérobades. Avant le premier tour, les candidats d’En marche ! avaient participé à des débats à quatre ou cinq candidats. Plusieurs candidats avaient montré à cette occasion leur incapacité totale à argumenter et même à s’exprimer. Ridiculisée sur le net dans un montage où on la voit tenir des propos confus et incohérents lors d’un débat sur France 3 avec ses adversaires FN, PS, LR et France insoumise, Fabienne Colboc a néanmoins recueilli 34,4 % des suffrages dimanche dernier dans la 4e circonscription d’Indre-et-Loire.

Dans le Rhône, la prestation d’une autre candidate LREM, Anissa Khedher, lors d’un débat sur TLM le 25 mai, avait aussi été catastrophique. Ce qui ne l’a pas empêchée de devancer elle aussi ses adversaires dans la 7e circonscription (Vaulx-en-Velin…) avec 32,1 % des voix.

Une suffisance hautaine

Les candidats de La République en marche et leurs équipes cherchent à l’évidence à éviter la réédition de tels naufrages. Toutefois, tous n’ont pas l’excuse d’être novices. Laurianne Rossi, référente départementale d’En marche ! et candidate dans la 11e circonscription des Hauts-de-Seine, a également décliné le 13 juin l’invitation à débattre avec Yasmine Boudjenah (FI-PCF) sur Otoradio web. Secrétaire d’État à l’égalité femmes-homme, Marlène Schiappa a annulé sa participation à un débat sur France 3-Pays de la Loire au prétexte que le plateau n’était « pas du niveau d’un membre du gouvernement ».

Derrière ces refus de débattre pointe aussi déjà une forme de suffisance hautaine née des bons résultats électoraux du premier tour. Souvent en ballotage favorable ou très favorable, les candidats LREM toisent leurs concurrents. Cela augure mal de leur comportement, et de la démocratie, dans les cinq ans qui viennent.

Politique
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