Loi travail : des artifices rhétoriques en attendant les vraies régressions

Le gouvernement a précisé mardi le calendrier des dix-huit prochains mois, en insistant sur sa volonté de dialogue et sur les éléments de langage vantant une réforme « structurelle » du « modèle social français ».

Erwan Manac'h  • 6 juin 2017 abonné·es
Loi travail : des artifices rhétoriques en attendant les vraies régressions
© Photo : ALAIN JOCARD / AFP

Le Premier ministre et la ministre du Travail se sont livrés ce mardi à un exercice de pé-da-go-gie, au lendemain de la publication, dans Le Parisien, d’un avant-projet de loi travail II particulièrement lourd. Communiqué et conférence de presse à l’appui, ils ont rendu public le calendrier des réformes sociales pour les dix-huit prochains mois.

La loi d’habilitation à réformer par ordonnances doit être présentée en Conseil des ministres le 28 juin, pour une publication des ordonnances avant le 21 septembre.

Dans les « discussions très intenses » qui s’écouleront jusqu’à la fin du mois de septembre, Édouard Philippe, le Premier ministre, dit vouloir « respecter et écouter [ses] partenaires » sans favoriser l’une ou l’autre des organisations syndicales. Huit réunions bilatérales et un total de 48 réunions thématiques sont prévues d’ici à la fin du mois de juillet, ainsi que des réunions avec les syndicats non représentatifs. N’en jetez plus ! « Nous ne serons pas d’accord sur tout, mais nous devons avancer », a-t-il néanmoins prévenu.

Hausse de la CSG en janvier

Pour ne pas donner l’impression de court-circuiter les discussions avec les syndicats, ils n’ont rien révélé sur le fond, si ce n’est que la hausse de la CSG interviendra dès janvier 2018. Cet impôt proportionnel, acquitté par les salariés du privé comme par les fonctionnaires, les retraités et les personnes touchant des revenus du patrimoine, devra financer la suppression des cotisations salariales à l’assurance chômage et à l’assurance maladie. Ce transfert d’impôt permettra une légère hausse de salaire pour les salariés du privé (+1,4 %), mais fera croître les prélèvements des retraités et des salariés du secteur public.

Sur le terrain du droit du travail, Édouard Philippe et Muriel Pénicaud n’ont pas formellement infirmé les informations du Parisien, mais n’ont pas communiqué sur les lignes rouges qu’ils se fixent dans le cadre des négociations. « Une réforme systémique », doit être entreprise, a prévenu la ministre du Travail, « pour rénover profondément le Code du travail ». Le jeu reste donc très ouvert d’ici à l’été, sur les trois dossiers annoncés comme prioritaires depuis l’élection.

Inversion de la hiérarchie des normes

Le premier s’apparente à une super loi El Khomri. Il s’agit de rendre négociables à l’échelle de l’entreprise des pans entiers du droit du travail. El Khomri l’a fait pour les questions relatives au temps de travail (astreinte, repos, délais de prévenance, etc.), Pénicaud et Macron envisagent d’élargir cette méthode, qui permet dans les faits de baisser le niveau des droits sociaux. Il s’agit, selon la novlangue de Matignon, de « faire converger performance sociale et performance économique ». En clair, permettre aux entreprises d’adapter leur niveau de protection à la concurrence. « Le modèle de la même règle s’appliquant à toutes les entreprises et tous les salariés, quel que soit le secteur ou la taille, n’est plus adapté aux enjeux de notre temps et dans plusieurs cas produit en réalité de l’inégalité », juge Muriel Pénicaud, ministre du Travail, qui entend réorienter le droit du travail vers « une logique contractuelle », pour « donner de la liberté et de l’agilité aux entreprises ».

Les précautions oratoires sont de mise, en revanche, sur le rôle des branches professionnelles, que le gouvernement n’entend officiellement pas mettre sur la touche.

Fixer le coût des licenciements abusifs

Sur la question du plafonnement des dommages-intérêts pour les licenciements abusifs, impopulaire jusque dans les rangs de la CFDT, le syndicat d’orientation social-libérale, la ministre du Travail Muriel Pénicaud persiste et signe. Elle précise toutefois que le barème ne concernera que les dommages-intérêts et non les indemnités de licenciements, déjà fixés par un cadre légal.

Introduite par la loi Macron, cette idée destinée à diminuer le coût des licenciements sans fondements légaux avait été retoquée par le Conseil constitutionnel en août, qui estimait qu’un barème modulable en fonction de la taille de l’entreprise introduisait une discrimination. Réapparue avec la loi travail, elle avait été transformée en barème indicatif. « L’incertitude est l’ennemie de l’emploi et de notre modèle social », a justifié mardi Édouard Philippe. Il s’agit même, selon la ministre du Travail, décidément créative en matière de rhétorique, de « sécuriser les relations de travail, tant pour les salariés que pour l’employeur ».

Fusionner les instances représentatives du personnel

Comme prévu, une autre revendication historique du patronat figure au menu de l’été : la fusion des instances représentatives du personnel. Délégué du personnel, comité d’entreprise et comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ne devront faire plus qu’un. L’idée est de réduire le temps passé en délégation et le nombre de salariés élus (et donc protégés).

Mais pour les syndicats, dont certains ne sont pas opposés à une rationalisation de ces instances, il serait inacceptable de diminuer les moyens d’action syndicale. Les prérogatives du CHSCT, qui peut diligenter une enquête de sécurité et porter plainte devant la justice comme personne morale, pourraient notamment être écornées.

Le gouvernement a également précisé mardi que le plan formation professionnelle, gimmick d’Emmanuel Macron pour faire passer les mesures de flexibilisation, devra être proposé dès la rentrée 2017, pour entrer en action début 2018.

Nous sommes en revanche sans nouvelles du référendum d’entreprise à l’initiative de l’employeur (il faut aujourd’hui qu’un syndicat représentant 30 % des salariés en fasse la demande), du « chèque syndical », de l’incitation pour les grandes entreprises à faire participer des salariés à leur conseil d’administration ; pistes mises en avant dans le document de travail révélé lundi par Le Parisien.

L’ouverture de l’assurance chômage aux salariés démissionnaires et aux indépendants, et sa reprise en main par l’État, seront en revanche progressivement mises en œuvre à partir de l’été 2018, contrairement à ce qu’affirmait le quotidien.

Enfin, l’énorme réforme des retraites devra être conduite à partir de 2018, sans remise en question de la prise en compte de la pénibilité, a précisé le Premier ministre afin de rassurer, suite au moratoire annoncé sur le compte pénibilité. Le gouvernement annonce également qu’il nommera des « personnalités, pour formuler dès l’automne des propositions » pour une réforme des retraites.

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