Un bidonville parisien menacé d’évacuation en pleine trêve hivernale

Pour la quatrième fois en trois ans, les familles roms du camp de la Petite Ceinture risquent à nouveau l’expulsion, qui aura lieu dès demain au petit matin. Reportage.

Marine Caleb  • 27 novembre 2017 abonné·es
Un bidonville parisien menacé d’évacuation en pleine trêve hivernale
© photo : GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Cela ne tient qu’à un fil. Tout le bidonville est éclairé par un système de câbles électriques ingénieux, mais dangereux. Une simple bagarre entre deux enfants suffit à couper le courant pour tout le monde. Les fils pendent au-dessus de l’allée et traînent à terre. Il s’agit d’éviter de trébucher dessus tout en échappant au grouillement des rats favorisé par la tombée de la nuit. C’est bancal, mais ça fonctionne.

« Installez-vous, c’est propre chez nous », lance fièrement un futur papa. Comme toutes les autres, sa petite maison de taule et de bois est chauffée par un poêle. Les murs et les sols faits de bric et de broc sont recouverts de draps et de tapis, les marmites bouillonnent sur de petites plaques. Tout provient de la récupération et d’une réalisation rudimentaire, mais consciencieuse. Malgré l’instabilité de leur situation, les 250 Roms originaires de Roumanie installés sur la Petite Ceinture, entre les Portes de Clignancourt et de la Chapelle, dans le XVIIIe arrondissement de Paris, ont créé un lieu de vie. Un semblant de chez-eux qu’ils doivent quitter, pour la quatrième fois en trois ans : le 13 septembre, le tribunal de grande instance (TGI) de Paris a donné raison à SNCF Réseau qui demandait à récupérer ce terrain qui lui appartient. L’évacuation est annoncée pour le mardi 28 novembre.

Comment s’insérer quand l’expulsion menace ?

À chaque baraque son problème. Dans l’une, un occupant a besoin d’une aide médicale, dans l’autre, un nouveau-né manque de couches, dans la troisième, le père de famille cherche du travail mais doit assurer l’interprétariat pour la majorité du camp… Une à deux fois par semaine, Nicolas Clément et Nathalie Jantet, bénévoles du Secours catholique se rendent auprès des habitants du bidonville. Ce lundi 20 novembre, leur tournée a notamment pour objectif de rappeler à une vingtaine de personnes de se présenter au centre Solidarité Jean Merlin, porte de Clignancourt, pour maintenir leur procédure de domiciliation. Celle-ci est en effet nécessaire aux personnes sans résidence fixe qui veulent rentrer sur le marché du travail. Elle permet notamment d’ouvrir un compte bancaire et de répondre à des offres d’embauche. À Paris, la domiciliation étant très demandée, ceux qui ne font pas régulièrement acte de présence en sont radiés.

Une liste des personnes menacées de radiation dans la poche, un arbre généalogique d’une des familles dans l’autre, Nicolas Clément va de baraque en baraque pour faire passer le message. Face aux visages figés ou interloqués, le bénévole ne désespère pas d’expliquer la nécessité de cette procédure qui paraît parfois floue ou inutile quand on vit au jour le jour. Dur de se projeter quand une épée de Damoclès plane : chaque nouvelle journée pouvant être celle d’une expulsion.

L’illusion de la trêve hivernale

Ce 20 novembre, la tournée a également une autre mission. Il faut rappeler aux familles que l’expulsion est imminente, malgré la trêve hivernale. La décision finale a été rendue par le TGI le 13 novembre 2017, en présence des associations actives dans le bidonville, dont le Secours Catholique et les Enfants du canal, qui œuvre en direction des sans-abris. Le groupe SNCF avait demandé l’expulsion des Roms vivant sur son terrain au prétexte de travaux. Les habitants avaient jusqu’au 10 novembre pour quitter les lieux. Un recours a été demandé par Julie Launois-Flacelière, l’avocate des familles, pour leur laisser un peu de temps.

En théorie, pas d’expulsion pendant la trêve hivernale, qui va du 1er novembre au 31 mars. Depuis la loi Égalité et citoyenneté votée en janvier 2017, locataires et habitants de bidonvilles ou d’autres abris non fixes sont protégés de l’expulsion, même en cas de décision de justice. Mais il existe trois exceptions annulant cette trêve, dont la voie de fait, en l’occurence l’installation de personnes sur les rails de chemin de fer. En conséquence de cette voie de fait à l’encontre de SNCF Réseau, « l’ordonnance du TGI suspend le bénéfice de la trêve hivernale », explique Manon Fillonneau, déléguée générale du Collectif national droits de l’homme Romeurope.

« Il faut être là le jour de l’expulsion pour espérer obtenir une place dans un hôtel meublé », conseille Nathalie Jantet. Mais les familles préfèrent partir avant plutôt que d’avoir à revivre un énième épisode traumatisant : violence de l’évacuation encadrée par la police et relogement pénible et provisoire. Cette fois, l’État et la mairie proposent 200 chambres en hôtel pour des durées un peu plus longues que d’habitude, « quelques semaines peut-être », estime Nicolas Clément. Durant les précédentes expulsions, les Roms étaient hébergés pour trois jours potentiellement renouvelables. L’hébergement se situera à Paris, en banlieue et surtout en grande banlieue. « Le secteur du logement est tendu à Paris, c’est selon les places qui se libèrent, souvent à la dernière minute », détaille Nathalie Jantet.

Ce placement aléatoire ne prend pas en compte les besoins des familles. Un hôtel éloigné leur impose des coûts de transports vers l’école pour les enfants ou l’hôpital, mais aussi pour les repas, car il est interdit de cuisiner dans les chambres. Depuis la dernière expulsion, une mère possédant une chambre d’hôtel retourne chaque jour dans son ancienne baraque pour faire la cuisine.

« Ils sont en France pour des raisons économiques »

Les habitants de ce bidonville du XVIIIe arrondissement disent y être très attachés. Ils ne veulent pas quitter cet arrondissement, ou du moins ses environs. Ce pourquoi ils se réinstallent sur ce terrain malgré les évacuations successives. Lors de la dernière, intervenue en février 2017, le site n’a pas été démantelé. Mais d’autres moyens ont été utilisés pour empêcher les anciens habitants de revenir. Un tas de parpaings haut d’un mètre bloque l’accès depuis la voie de chemin de fer. Il délimite le bidonville du côté Porte de la Chapelle et borde aussi les sanitaires. Mais les parpaings sont déplacés et s’amassent parfois entre deux maisonnettes.

Leur ténacité témoigne de leur volonté de rester en France, au moins pour un temps. « Ils sont en France pour des raisons économiques. Ils veulent travailler et scolariser leurs enfants », explique Nicolas Clément. Les bénévoles, les volontaires et autres intervenants associatifs sur le terrain sont « un soutien qui donne du courage aux populations », se félicite Livia Otal, responsable du service de résorption des bidonvilles auprès des Enfants du canal. Leur engagement compense l’instabilité de la situation des familles. Leur mission sur le long terme : favoriser l’insertion de chacun, en fonction de sa situation, et éviter les ruptures de scolarité, bouleversantes et dommageables sur le long terme.

Il est presque 18 heures, des écoliers sont en train de rentrer. Les deux intervenants du Secours catholique les assaillent de questions : « Tu sais écrire ton prénom maintenant ? », « Tu es assis à côté de qui en classe ? Une fille ! Comment s’appelle-t-elle ? » Ils les entourent, se concentrent sur les petites aventures d’un quotidien qui pourrait être banal, mais qui ne l’est pas.

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