Les supermarchés coopératifs, des concurrents sérieux à la grande distribution ?

Aujourd’hui dans #DéconfinonsLesIdées, nous nous intéressons aux supermarchés coopératifs. Alors que certains ont continué de fonctionner pendant la crise du Coronavirus grâce au volontariat, leur modèle peut-il se généraliser ? Témoignages d’un coopérateur de Chambéry et d’une chercheuse en sciences de gestion.

Vanina Delmas  • 2 juin 2020
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Les supermarchés coopératifs, des concurrents sérieux à la grande distribution ?
© Photo : Tom Boothe, president et co-fondateur du Supermarché La Louve(Leextra / Leemage via AFP)

L’épidémie de Covid19 a parfois engendré une réflexion sur notre façon de mieux consommer. Et pendant le confinement, certains sont partis à la recherche d’alternatives à la grande distribution comme les supermarchés coopératifs. Ces lieux hybrides essaiment en France depuis 2013, notamment avec le lancement de La Louve, l’un des premiers supermarché coopératif et participatif de Paris, calqué sur le concept new-yorkais de Park Slope Food Coop.

Aujourd’hui, une trentaine de structures plus ou moins grandes existent dans l’Hexagone : Scopéli à Nantes, L’éléfàn à Grenoble, La cagette à Montpellier, Super Quinquin à Lille, Ti Coop à Brest… Leur particularité pour être client **: il faut devenir coopérateur en achetant des parts sociales et y travailler 3 ou 4 heures par mois.** Comment ce modèle basé sur le volontariat a-t-il affronté la crise sanitaire et les semaines de confinement ?

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La double casquette client-vendeur : un atout pendant le Covid19

À Chambéry, ces questions ont alimenté les discussions des coopérateurs du supermarché Eko-Syst’M, ouvert depuis octobre 2018. _« Dans un premier temps, une crise de légitimité a gagné les membres du comité de gouvernance : a-t-on le droit de rester ouverts alors que nous avons l’impression d’être plus dangereux qu’un supermarché ordinaire ? », confie Christophe Leenhardt, coopérateur. Avec 700 personnes travaillant à tour de rôle, le premier réflexe est de penser que les rayons se transformeront rapidement en nid à virus. Après réflexion, ils concluent que leur modèle est un atout : chaque personne n’effectuant qu’un créneau de 3 heures toutes les trois semaines, cela réduit le nombre de personnes potentiellement contaminées si l’un des travailleurs tombe malade.

Sur le plan sanitaire, les protocoles mis en place avant l’épidémie offrent des garanties rassurantes. Pour Christophe Leenhardt, la double casquette client-vendeur est un atout car tous connaissent les protocoles d’hygiène, particulièrement stricts pour la vente en vrac.

En caisse, on passait nous-mêmes les articles, on les mettait sur la balance directement et le caissier n’avait même pas besoin de toucher nos articles. Tout le monde se sent naturellement co-responsable du bon fonctionnement de la structure et du bien-être des coopérateurs, car nous sommes impliqués au quotidien dans toute la logique du magasin.

 Des structures qui ont besoin de soutien financiers pour perdurer

Présentés comme une alternative à la grande distribution, les supermarchés coopératifs peuvent-ils sortir de leur niche ? Selon une étude 2019 de l’Observatoire société et consommation (Obsoco), seulement 1 % des Français fréquentaient les épiceries et supermarchés coopératifs, et 14 % disaient connaître le concept.

Hajar El Karmouni, maîtresse de conférence en sciences de gestion à l’Université Paris-Est Créteil et autrice d’une thèse sur La Louve, a observé pendant deux ans les mécanismes de ce modèle et les profils des participants. Elle reconnaît que c’est une alternative qui se développe mais reste prudente sur son épanouissement car cela implique des engagements importants : se dégager du temps pour faire ses heures, investir de l’argent, être prêt à changer de pratiques de consommation… « Les supermarchés coopératifs sont une solution mais ne reposent ni sur les mêmes business model, ni sur les mêmes marchés que la grande distribution donc difficile de parler de concurrence », affirme-t-elle.

Si les citoyens doivent faire leur part pour bouger les lignes, l’injonction à la responsabilisation individuelle ne semble pas suffisante. Ses structures ont besoin de soutien financiers des collectivités et instances publiques pour naître et perdurer. De nombreux coopérateurs témoignent du manque de reconnaissance de leur travail par les institutions alors qu’ils ont développé une expertise du monde des circuits-courts. Des ressources vitales pour repenser en profondeur nos systèmes de production et de consommation.

Il faut s’appuyer sur ces alternatives existantes, qui proposent des finalités autres que de servir un patrimoine, un actionnaire, des dividendes. Et le contexte de pandémie oblige à se poser des questions plus systémiques : est-ce une démarche individuelle ? Est-ce que je m’engage pour ma santé ou mon portefeuille ? Qu’est-ce qui est fondamental aujourd’hui, notamment sur les enjeux alimentaires ?

Un système qui permet aux consommateurs de reprendre le pouvoir

Atout non négligeable : les supermarchés coopératifs permettent aux citoyens de reprendre le pouvoir, via la détention collective de ce canal de distribution. À Chambéry, la réorganisation spontanée pendant la crise sanitaire a permis de se maintenir sur le plan économique puisque les chiffres d’affaires sont équivalents à ceux de 2019 à la même période. Et d’épauler des petits producteurs locaux. 

Le « groupe Appro » a contacté individuellement tous les petits producteurs de la région pour leur demander s’ils avaient des problèmes économiques. Ainsi, ils ont organisé une opération spéciale Bière pour soutenir un de leur brasseur partenaire en difficultés financières à cause de la fermeture des bars, restaurants et marchés. « Être coopérateur est énergivore mais extrêmement formateur sur les circuits de distribution, analyse Christophe Leenhardt, lucide. Nous avons découvert que c’est loin d’être simple de faire appel à des producteurs locaux car ils ont déjà leurs circuits de distribution, ils n’ont pas forcément de grosses quantités à nous proposer… Quand vous devez contacter 80 producteurs de tomates au lieu de trois grossistes, ce n’est pas le même boulot ! »

À lire aussi > Le circuit-court : modèle d’avenir face aux crises sanitaires ?

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