Libérons la politique des énergies sales : pour la fin du soutien au gaz de couche en Lorraine

Dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron et Barbara Pompili, une trentaine d’associations leurs demande d’arrêter d’encourager l’extraction d’énergies fossiles.

Collectif  • 19 janvier 2021
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Libérons la politique des énergies sales : pour la fin du soutien au gaz de couche en Lorraine
PHOTO : Marche pour le climat à Paris en décembre 2018. ©Vanina Delmas

Monsieur le Président de la République, Emmanuel Macron

Madame la Ministre de la transition écologique, Barbara Pompili

Paris, 19 janvier 2021

Monsieur le Président, Madame la Ministre,

Les rapports scientifiques du GIEC et les effets d’un dérèglement climatique de plus en plus manifeste, ont mis en évidence la nécessité de réduire nos émissions de gaz à effet de serre et de tourner définitivement le dos aux énergies fossiles.

Pourtant des projets fossiles continuent d’être soutenus par les pouvoirs publics : les entreprises obtiennent des autorisations et des subventions publiques, notamment grâce à leurs liens privilégiés avec des hauts administrateurs publics placés au sein des directions centrales de l’Etat. Les intérêts des entreprises du secteur des énergies fossiles malmènent la démocratie et font obstacle à l’adoption et la mise en œuvre des mesures indispensables pour faire face à l’urgence climatique.

L’entreprise gazière La Française de l’Energie (anciennement European Gas Limited) a déposé une demande de concession pour exploiter du gaz de couche de charbon en Moselle, qui pourrait représenter jusqu’à 400 puits de forage. Cette énergie fossile requiert l’utilisation de techniques non conventionnelles pour son extraction, semblables à celles utilisées pour le gaz de schiste. Suite au lobbying de la Française de l’Energie et aux renoncements du gouvernement, la loi « Hulot » sur les hydrocarbures, adoptée en 2017, avait exempté le gaz de couche de l’interdiction de ces techniques non conventionnelles.

Ce type d’hydrocarbure n’a jamais été exploitée en France, mais les impacts environnementaux et climatiques dramatiques de son extraction sont bien connus à l’étranger : pollution de l’air, de l’eau, des sols, fortes émissions de gaz à effet de serre. Aucune garantie sérieuse n’a été mise en évidence, les études et rapports sanitaires et environnementaux pointent des risques sans ambiguïté (1).

Par ailleurs, selon le code minier actuellement en vigueur, l’obtention d’une concession suppose que l’entreprise démontre ses capacités techniques et financières ; ce n’est pas le cas ici (2). Légalement, le gouvernement a donc la possibilité et le devoir de refuser cette demande de concession. En effet, la Française de l’Energie n’a pas les capacités requises : elle a multiplié les forages avec des techniques différentes qui se sont toutes soldées par des échecs en termes d’extraction du gaz, mais qui n’en sont pas moins dangereuses et fortement consommatrices d’eau. Cette demande de concession s’apparente donc surtout à une opération spéculative (3).

Au plan local, en Lorraine, les retombées socio-économiques du projet seraient dérisoires voire nulles. L’enquête a consultation publique qui s’est achevée en novembre a mobilisé de nombreux citoyens et élus locaux, qui se sont prononcés en grande majorité (près de 85%) contre ce projet fossile en raison des graves risques qu’il présente pour l’environnement et le climat.

Cependant, des relations privilégiées entre membres du conseil d’administration (4) de cette entreprise et hauts administrateurs publics au sein des directions centrales de l’Etat biaisent la concertation, qui n’est en réalité qu’une consultation sans pouvoir réel, et mettent à mal la démocratie et toute décision en faveur de l’intérêt général.

L’octroi de cette concession, serait un nouveau renoncement du gouvernement face à ses engagements et une abdication face à la pression d’entreprises spéculatives. Nous demandons le rejet de cette demande de concession par le Gouvernement. Aurez-vous le courage et la responsabilité de le faire ?

Il existe d’autres projets fossiles en France. À quelques kilomètres de la forêt de Fontainebleau, une autorisation pour 10 nouveaux puits d’extraction de pétrole vient de faire l’objet d’une enquête publique. Près de Commercy, dans la Meuse, une entreprise demande un laisser passer pour implanter 8 plateformes d’extraction de gaz en pleine forêt (avis défavorable suite à l’enquête publique). A l’inverse un avis favorable a été donné pour 3 plateformes dans le secteur de Bar-le-Duc. Les enjeux climatiques soulevés par ces énergies fossiles ne sont pas conciliables avec les ambitions annoncées par Emmanuel Macron sur la scène internationale : il est nécessaire que des mesures à la hauteur de l’urgence climatique soient prises. Les décideurs publics se doivent d’être en première ligne pour préserver la santé, garantir un environnement sûr, et défendre nos intérêts et ceux des générations futures.

Enfin, nous nous associons aux revendications de la campagne européenne Fossil Free Politics, portée par plus de 200 organisations, et qui vise à libérer les politiques publiques de l’influence des lobbies fossiles. Cette campagne exige l’arrêt immédiat des soutiens publics à l’industrie fossile : l’argent du contribuable ne doit plus être utilisé pour soutenir l’extraction d’hydrocarbures. Elle demande aussi que soient coupés les canaux d’influence des représentants de l’industrie fossile sur la politique, notamment en mettant fin aux réunions de lobbying et en régulant plus strictement les conflits d’intérêts et le pantouflage (5). Cela permettrait de s’affranchir enfin de la pression des lobbies et ainsi de défendre l’intérêt général.

En l’attente de votre réponse, nous vous prions d’agréer, Madame la Ministre, l’expression de notre plus haute considération.

A l’initiative de :

Association pour la Préservation de l’Environnement Local 57-Moselle (APEL57) Amis de la Terre France Attac France Campagne Fossil free politics Greenpeace France

Organisations signataires :

350.org ; Association Internationale de Techniciens Experts et Chercheurs (Aitec) ; Alternatiba ; ANV-COP21 ; Association Gratte papier ; Collectif Pour une terre plus Humaine ; DenosMAINs ; Émancipation Collective ; Fondation Danielle Mitterrand ; France Nature Environnement ; Reclaim Finance ; Réseau Foi et Justice Afrique Europe ; Sciences citoyennes ; Stop Mines 23 ; Vervillages ; aGter ; Amis de la Terre Moselle ; Association mosellane pour la promotion des énergies renouvelables (Amper) ; Association pour la protection de l’environnement à Lérouville ; Association Un toit Partagé ; Attac Moselle ; Collectif houille ouille ouille ; Collectif non à l’huile et gaz de schiste 91 ; Extinction Rébellion NANCY ; Greenpeace – groupe local Nancy ; La Voix de l’Arbre ; Lorraine Association Nature ; Lorraine Nature Environnement ; Marche pour la biodiversité ; Résilience France ; ZEA

Pour aller plus loin :

(1) L’exploitation du gaz de couche de charbon a des impacts environnementaux multiples et bien documentés par de nombreux rapports indépendants scientifiques et techniques. Potabilité, contamination de l’eau, émission de gaz à effet de serre, réduction de la fertilité des sols, dégradation de l’attractivité du territoire, ne sont que quelques-uns des impacts néfastes prévisibles détaillés dans la synthèse sur les gaz de houille de l’INERIS et du BRGM et le rapport 2016 de la Commission Européenne Environmental and Sustainability Assessment of Current and Prospective Status of Coalbed Methane Production and use in the European Union.

Outre les problématiques autour de la ressource en eau, de la préservation des sols et de la biodiversité, il convient de rappeler que le gaz de couche de charbon est très fortement émetteur en méthane, un gaz à effet de serre bien plus nocif que le CO2. Son exploitation est contradictoire avec les engagements pris par la France dans l’Accord de Paris, et rappelés par le président Emmanuel Macron en 2019 dans sa lettre aux Français : « Je pense toujours que l’épuisement des ressources naturelles et le dérèglement climatique nous obligent à repenser notre modèle de développement. Nous devons inventer un projet productif, social, éducatif, environnemental et européen nouveau, plus juste et plus efficace. (…) Je me suis engagé sur des objectifs de préservation de la biodiversité et de lutte contre le réchauffement climatique et la pollution de l’air. Aujourd’hui personne ne conteste l’impérieuse nécessité d’agir vite. Plus nous tardons à nous remettre en cause, plus ces transformations seront douloureuses. »

(2)Le décret n° 2006-648 du 2 juin 2006 stipule que « nul ne peut obtenir une concession de mines s’il ne possède les capacités techniques et financières nécessaires pour mener à bien les travaux d’exploitation ». La lecture attentive des documents techniques et financiers montre que la Française de l’Energie ne possède pas les capacités requises. Les 15 ans de recherches et 5 forages ont démontré que l’entreprise a toujours connu des échecs, dus au caractère particulièrement bouleversé et mal connu du sous-sol lorrain, faisant que chaque forage a présenté ses difficultés spécifiques. L’entreprise a dû changer à chaque fois de secteur, pour rencontrer toujours de nouvelles difficultés bien détaillées dans les rapports de fin de travaux de la DREAL. Le dernier forage, le plus abouti, démontre bien le manque de capacité technique et la non rentabilité de l’extraction du gaz de couche de charbon : sur 2000m de drains initialement prévus, l’entreprise n’a pu forer que 340m utilisables. Lors de tests de production, l’entreprise a extrait 31 992m3 de gaz en 31 semaines alors que c’est le volume qu’elle espérait extraire en un seul jour pour être rentable. Par ailleurs, plus de 8 millions de m3 d’eau ont été utilisés pour ce seul forage, dans une région concernée chaque année par des restrictions d’eau.

(3) La Française de l’Energie est cotée en bourse. Année après année, le résultat net de l’entreprise reste négatif. Son fond de trésorerie se compose essentiellement de dettes et divers litiges sont toujours en cours. L’entreprise a fait certifier des ressources en gaz ; l’obtention de la concession leur permettrait de faire entrer ces ressources inaccessibles dans les actifs de l’entreprise et faire ainsi augmenter sa valeur.

(4) Un des membres du Comité d’Administration de LFDE, Alain Liger, Ingénieur diplômé de l’École des Mines et de l’Institut de Haute Finance, a occupé des postes stratégiques de mise en relation entre l’entreprise gazière et l’administration Française. Il a travaillé au sein de l’organisme public BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) pendant 17 ans. En 2012 il est placé à la tête de la DREAL Lorraine (Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement) qui est en charge de l’instruction des dossiers et des contrôles sur les forages de gaz de couche. De 2013 à 2016, il a été membre du CGEIET (Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies). ; il y a également été président du Comité de pilotage de l’initiative « Mine responsable » lancée en 2015.

(5) Le « pantouflage » (connu aussi sous le nom de « portes tournantes » ) consiste pour un fonctionnaire de l’État de passer du secteur public au secteur privé afin de faire bénéficier une entreprise ou un secteur de son carnet d’adresses et de son savoir d’initié. Cela peut fonctionner également en sens inverse (« rétro-pantouflage »), lorsque des cadres d’entreprises privées prennent des responsabilités publiques dans un domaine directement en lien avec leur ancien employeur. En France, les conflits d’intérêts et le pantouflage sont soumis au contrôle de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), mais celle-ci dispose de peu de moyens et de pouvoirs de sanction.

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