Monsieur Blanquer, l’École de la République c’est aussi le concours !

Francis Daspe s’insurge contre la suppression envisagée par Macron, du CAPES, ce concours de recrutement des enseignants des collèges et lycées. Ce serait une régression de grande ampleur, explique-t-il.

Francis Daspe  • 21 février 2022
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Monsieur Blanquer, l’École de la République c’est aussi le concours !
© Emmanuel Macron et Jean-Michel Blanquer en visioconférence dans une école de Poissy, le 5 mai 2020 (Ian LANGSDON / POOL / AFP).

Selon des fuites savamment orchestrées, le Président Macron, pas encore officiellement candidat, au programme pas encore dévoilé (bien que son bilan constitue l’ossature d’un programme aux allures de lourd passif), envisagerait la suppression du CAPES, c’est-à-dire du concours de recrutement des enseignants des collèges et des lycées. Soyons-en certains, il ne s’agit nullement d’une quelconque vulgaire rumeur : il convient de considérer la chose davantage comme un véritable ballon d’essai destiné à formater dès à présent les esprits pour mieux les accoutumer à la poursuite de la destruction entamée depuis plusieurs quinquennats, sans même remonter à Claude Allègre. Cette disposition est en effet totalement conforme à la visée de casse du service public d’éducation nationale engagée avec détermination par le ministre Jean-Michel Blanquer.

Lire notre dossier > Une école mise au pas

Dans le lent et patient processus de construction d’une République, le concours a tenu une place fondamentale. C’est en 1880 que fut décidée la généralisation du concours pour les emplois publics. Ce fut au sens premier du terme un acte révolutionnaire, par la rupture qu’il favorisait avec le passé. Car jusqu’alors l’attribution des emplois publics se réalisait pour partie en fonction des survivances des privilèges d’une société d’ordres pourtant théoriquement abattue par la première phrase de l’article 1 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 (« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits »).

Intervenaient également de plus en plus puissamment les inégalités engendrées par une société de classes émergeant avec la révolution industrielle et les rigueurs de son système économique, le capitalisme. Société de classes permise par la seconde phrase du même article 1 de la même DDHC, et qui à elle seule donnerait matière à des débats sans fin : « Les distinctions sociales ne pourront être fondées que sur l’utilité commune. » Pour révolutionnaire que cette mesure puisse apparaître, elle devait être cependant renforcée afin d’être rendue plus juste et réellement praticable : ce fut l’objet de la mise en place, immédiatement après, de l’école publique, gratuite, obligatoire et laïque avec les lois Ferry de 1881 et 1882. L’intention sans les moyens nécessaires d’y parvenir relève de la pure illusion.

Un bouclier pour l’intérêt général

En filigrane de cette question du concours, se dessine la fonction du statut des personnels de la fonction publique. Rappelons à toutes fins utiles que le statut est l’équivalent pour les fonctionnaires du code du travail protégeant les salariés du privé. Le code du travail ne s’applique pas à la fonction publique. Le statut constitue bien un des fondements de la République sociale à laquelle nous aspirons.

Le concours représente également un bouclier pour l’intérêt général. Par le statut qu’il confère, il contribue à une salutaire mise à distance des intérêts particuliers qui gangrènent le bien commun. De la sorte sont repoussées les pressions clientélistes, les ingérences de féodaux locaux, les tentatives ou tentations de corruption et les revendications consuméristes. L’argument du prétendu emploi à vie n’est en réalité qu’un écran de fumée : enseigner n’est ni une sinécure ni une rente. Les difficultés actuelles à pourvoir les postes ouverts aux concours et l’augmentation des démissions en cours de carrière le prouvent si besoin était.

À lire > Ces enseignants qui claquent la porte

Enfin, la liquidation du concours favorise la réduction à la portion congrue des savoirs disciplinaires exigés pour les nouveaux professeurs, déclinaison à la symétrie quasi parfaite de la vision minimaliste et utilitariste des connaissances transmises aux élèves.

La suppression du concours pour le recrutement des enseignants signifierait une régression de grande ampleur. Car l’école de la République, c’est aussi le concours, à la fois national, anonyme et égalitaire. Autrement dit, il s’agit d’un soubassement pleinement républicain. Escamoter de la sorte le concours s’inscrirait au contraire dans le projet de société des libéraux de toutes obédiences, symbolisé par le concept de start up nation porté par la Macronie. Cette dernière n’a cessé, au cours du quinquennat d’airain s’achevant, de l’appliquer à l’école, la considérant à la fois comme une marchandise, une entreprise et un marché, aux antipodes de l’exigence intrinsèque de la devise républicaine régulièrement bafouée.

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Tribunes

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