« La jeunesse corse participe pleinement au renouveau de la mobilisation nationaliste »

Spécialiste des mobilisations nationalistes en Corse contemporaine, Jeanne Ferrari-Giovanangeli analyse l’écart qui se creuse entre les élus de la famille nationaliste et sa jeunesse militante.

Olivier Doubre  • 7 septembre 2022 abonné·es
« La jeunesse corse participe pleinement au renouveau de la mobilisation nationaliste »
© Un cortège accompagne la dépouille d’Yvan Colonna dans les rues de Cargèse, le 25 mars 2022. (Photo : STEPHANIE LAMY/ANADOLU AGENCY/AFP ; photo intérieure : DR.)

La recherche qu’a menée Jeanne Ferrari-Giovanangeli sur les mobilisations collectives en Méditerranée, et plus spécifiquement en Corse depuis 1945, est particulièrement novatrice. Issu de sa thèse de doctorat, son ouvrage se concentre en effet sur les luttes du mouvement nationaliste de l’île de Beauté, privilégiant une approche de l’usage des corps et de la figure du militant.

S’appuyant sur l’anthropologie de la communication, les cultural studies et la sociologie des mobilisations, mais aussi sur le corpus d’archives audiovisuelles de l’INA, elle analyse les spécificités des mobilisations insulaires, jusqu’aux plus récentes – autour de l’agression mortelle d’Yvan Colonna en prison et de l’inhumation en mai dernier de celui-ci, devenu un véritable totem politique de ces années de lutte, après le dépôt des armes par le FLNC en 2014.

Comment expliquer qu’Yvan Colonna soit devenu un tel symbole pour le mouvement nationaliste ?

Jeanne Ferrari-Giovanangeli : L’annonce de son agression puis celle de sa mort sont apparues comme un choc moral. L’événement a transfiguré la société dans une expérience collective émotionnelle, une suspension du temps dans laquelle la mobilisation s’est donnée à vivre par les individus, au travers d’un devoir de deuil collectif et par une série de rites sociaux et funéraires quotidiens.

Depuis la première victoire de la coalition nationaliste jusqu’à la crise sanitaire, nous avons progressivement assisté à une déritualisation, avec un délaissement des rites sociaux et de la communication humaine au profit de rites institutionnels et d’une communication technique. Dès lors, le choc moral s’est inscrit comme un facteur supplémentaire de ce « désenchantement du monde », pour reprendre le concept de Max Weber. En provoquant un profond sentiment d’affaiblissement de la société, un besoin quasi pulsionnel de faire lien s’est renforcé.

La mobilisation est donc devenue l’occasion de renouveler la force collective en permettant aux individus de se rassembler. Depuis l’arrestation d’Yvan Colonna en 2003 et les grandes mobilisations qui se sont déroulées depuis, une forme de storytelling s’est bâtie autour de ce dernier, l’érigeant en l’une des premières figures tutélaires corses du XXIe siècle.

L’efficacité symbolique du rite funéraire a permis au corps mortel de confirmer son élévation en tant que corps hautement

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