La critique littéraire sous contraintes

La critique littéraire sous contraintes, une intervention de Christophe Kantcheff dans le cadre du séminaire « La critique impossible ? » prononcée le 6 octobre 2005 à l’Institut français de presse à Paris.
Christophe Kantcheff  et  Politis.fr  • 25 janvier 2007
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Ne sachant pas exactement quels seraient mes auditeurs-interlocuteurs pour cette première séance, j’ai décidé de m’adresser aux étudiants en journalisme et aux jeunes pigistes, les presque débutants ou les juste débutants, ce séminaire sur la critique prenant à mes yeux tout son sens s’il est aussi un acte de transmission. Mais cet acte de transmission ne peut être un acte d’autorité. Je vais parler ici en praticien, à partir de mon expérience de critique et de journaliste, expérience vécue en majeure partie dans les conditions spécifiques du journal où je travaille, l’hebdomadaire Politis, avec l’ambition toutefois d’élargir mon point de vue, et d’ouvrir une réflexion sur l’exercice de la critique dans la presse écrite et les médias, et plus particulièrement sur les contraintes qui pèsent sur elle.

Inutile d’être particulièrement perspicace pour se rendre compte que cette réflexion est inexistante. Certes, le débat sur la critique littéraire a donné lieu ces dernières années à quelques joutes bruyantes (opposant, pour aller vite, Pierre Jourde et Éric Naulleau d’un côté, le Monde des livres de l’autre), mais ce débat relevait davantage de l’imprécation spectaculaire ; les stigmatisations personnelles, les amalgames et les jugements expéditifs prenant le pas sur les échanges d’arguments. L’absence de réflexion n’a fait que renforcer la solitude dans laquelle travaillent les critiques, leur incertitude quant aux modes d’évaluation qui sont les leurs dont ils ne savent plus s’ils sont partagés ou non, leur désarroi face à certaines idées reçues trop complaisamment répétées (par exemple leur totale illégitimité, ou leur corruption systématique) et le sentiment plus ou moins confus – mais, hélas, fondé sur des indices rationnels – que leur activité est vouée à une mort prochaine.

La critique se porte mal ? Les plus cyniques s’en arrangent, les autres souffrent en silence. À sa mesure, ce séminaire souhaite ouvrir un espace de parole, de débat et, pourquoi pas, de prise de conscience. D’où l’importance à mes yeux d’y accueillir les étudiants et les jeunes journalistes (ou plus exactement, en l’occurrence, d’être accueilli par eux). Parce que, c’est bien connu, un homme (ou une femme) averti en vaut deux.

Beaucoup d’outils manquent pour notre réflexion. Si la critique littéraire dite savante, c’est-à-dire universitaire, a son histoire, exposée et analysée dans de nombreux ouvrages, l’histoire de la critique littéraire dans la presse au XXe siècle reste à faire (en revanche, Jean-Thomas Nordmann a réalisé un beau travail pour le siècle précédent, la Critique littéraire française au XIXe siècle (1800-1914), disponible au Livre de poche). La sociologie des médias, quant à elle, est une discipline désormais bien vivante. À l’instar du journalisme économique, qui bénéficie d’études très stimulantes – l’un des exemples les plus récents est l’ouvrage de Julien Duval, Critique de la raison journalistique, les transformations de la presse économiques en France, paru au Seuil en 2004 – on peut raisonnablement espérer que le chantier ouvert du journalisme et de la critique littéraires, ou plus largement celui du journalisme culturel, donnent lieu à de prochaines publications.

Je tiens à (ré)affirmer ici l’importance du rôle de la critique, malgré la suspicion dans laquelle on la tient souvent ou le caractère d’inutilité qui lui est plus fréquemment encore attribué. Son rôle est irremplaçable, n’a pas d’équivalent, et se situe à plusieurs niveaux.

On a communément tendance à penser que la critique doit aider les lecteurs à s’y retrouver dans la pléthore des livres qui se bousculent sur les tables des libraires. En distinguant le bon grain de l’ivraie, la critique fait le tri. Ainsi était rédigée une présentation du magazine Topo, « le mensuel de tous les livres », en janvier 2004 : « Topo fait le pari audacieux de ranger plus de 200 livres sur une centaine de pages. (…) Le mensuel occupe un créneau original : guider le lecteur dans le fouillis des nouvelles sorties en titillant ses envies de “lire et offrir” » (cf. http://www.fluctuat.net/breve.php3?id_breve=564).

La notion de guide est explicite : le lecteur est avant tout considéré comme un consommateur, et le genre pratiqué relèvera de la critique – l’usage du mot devient abusif – de consommation culturelle. Très répandue, celle-ci est extrêmement réductrice. Elle ignore le plus souvent la nuance et doit pouvoir se résumer en un certain nombre d’étoiles ou en une petite figurine triste ou joyeuse (même si la critique littéraire ne s’adonne pas encore à cet exercice, comme le fait la critique de cinéma depuis longtemps), autrement dit, elle tranche sans coup férir la question consumériste du « à prendre ou à laisser ».

Guide du consommateur : voilà la dernière des fonctions que l’on veut bien reconnaître à la critique, qui, dès lors, est intégrée dans les plans médias des maisons d’édition. D’où la débauche d’efforts, déployés notamment par leurs services de presse, pour obtenir tant d’articles, tant d’émissions de radio et de télévision, de préférence dans un laps de temps ramassé. L’étape ultime se lit dans les pavés publicitaires des éditeurs. Un exemple parmi beaucoup d’autres, occupant l’intégralité de la dernière page du Monde, dans son édition du 28 septembre 2005 :
« Probablement le roman le plus drôle de la rentrée./Pierre Assouline, le Nouvel Observateur ; Quelle verve ! Vous aimez le galop, ralliez-vous à son panache, suivez ses rires, caracolez avec ses calembours./François Nourissier, Le Point ; Drôlissime./Jérôme Béglé, Paris Match ; Quelle famille !/Christian Sauvage, Le Journal du Dimanche ; Une histoire qui est un peu la nôtre./Stéphane Denis, Le Figaro Magazine ; Un beau défi./Thierry Gandillot, L’Express ; Jubilatoire./Fabienne Jacob, Zurban ; Parfaitement maîtrisé, fou et doux./Isabelle Rabineau, Topo ; Époustouflant. Pudique, drôle et sans concession./Alexandre Fillon, Lire ; Foisonnant. Explosif. Un roman, exactement./Clara Dupont-Monod, Marianne ; Fabuleux./Pierre Vavasseur, Le Parisien ; Émouvant et drôle. Une fresque virevoltante./Christine Rousseau, Le Monde des livres. Alexandre Jardin, Le roman des Jardin. Plus de 200 000 exemplaires vendus. Grasset. » (J’ai respecté les nuances typographiques de la publicité).

La critique est prise dans les rêts de la promotion et ne sait plus comment en sortir (1). Sa pertinence intellectuelle est un luxe dont on peut se passer si son pouvoir prescripteur est fort. Une table ronde lors du dernier Salon du livre portait cet intitulé : « Les médias font-ils vendre des livres ? » . Telle est la seule vraie question qui compte aux yeux du milieu éditorial (à quelques exceptions près), et de plus en plus à ceux du milieu journalistique. « Dis-moi quelle est ta force de vente, je te dirai quel critique tu es ».

Et si la critique devait précisément contribuer à ne pas réduire le rapport aux œuvres à un simple rapport de consommation ? Voilà soudain les données inversées, et la critique de retrouver son rôle – sa responsabilité – de désaliénation et d’élaboration de la pensée. Par sa faculté de compréhension et d’interprétation, elle doit pouvoir favoriser le cheminement de l’œuvre en soi. Elle permet de se confronter à une autre lecture que la sienne, à croiser les points de vue, à sous-peser les arguments en les mettant en concurrence. Autrement dit, la critique doit contribuer à penser l’œuvre, et à penser à partir de l’œuvre elle-même.

Par là, la critique se doit d’être un outil à la disposition du lecteur-auditeur-spectateur qui souhaite gagner en autonomie par rapport aux jugements d’autorité sur les œuvres : ceux, par exemple, de la censure traditionnelle (Église, État…) ou ceux de la communication et de la promotion modernes. L’Observatoire de la liberté d’expression en matière de création, qui travaille sous l’égide de la Ligue des droits de l’homme, et auquel j’ai le privilège de participer, en constate tous les jours le (re)gain d’influence. Ce qui ne laisse d’inquiéter.

Enfin, la critique a une responsabilité vis-à-vis des œuvres et des artistes (en l’occurrence des écrivains). Serge Daney usait de cette image tennistique : le critique est un renvoyeur de services. Ce que « renvoie » en effet la critique à l’écrivain, c’est une première lecture, un premier retour de l’extérieur, avant celui du marché. Il faut prendre la mesure de ce geste : il est loin d’être anodin.

Il ne s’agit pas d’entretenir une vision idyllique de la critique, ni de pécher par angélisme. Mais de fixer des objectifs. D’où il ressort que le combat à mener a des enjeux ouvertement politiques. Exposer les différentes contraintes auxquelles la critique est soumise en souligne l’ampleur.

1) Les contraintes économiques

On sait la situation pour le moins délicate dans laquelle se trouve la presse aujourd’hui, en particulier les quotidiens, qui implique de graves difficultés financières. La chute du lectorat s’explique par différents facteurs : la difficulté à fidéliser un public jeune, la concurrence avec les gratuits, avec internet… Cette crise structurelle a bien entendu des conséquences sur le contenu des journaux, notamment sur les pages culturelles – la nouvelle formule du Figaro, apparue début octobre, est tout à fait exemplaire de la tendance générale, où les pages « culture » ont perdu de leur spécificité et sont fondues dans un ensemble plus grand, dont l’intitulé « le Figaro et vous », met en valeur la dimension consumériste – et sur les pages « livres », dont les paginations n’ont jamais été revues à la hausse, bien au contraire.

Plus précisément, on peut distinguer trois types de conséquences de cette crise de la presse écrite sur la critique. Premièrement, pour contenir le volume financier des piges, on demande aux journalistes permanents de fournir davantage d’articles, non seulement des critiques mais dans tous les genres journalistiques (j’y reviendrai dans la 3e partie). De ce fait, la précarité des pigistes, déjà très grande, est accentuée. En outre, les tarifs des piges étant généralement les plus bas dans les publications les plus exigeantes, l’intérêt du pigiste (en termes strictement économiques) est de passer le moins de temps possible sur une critique. La lecture d’un roman de 600 pages n’a pas les mêmes incidences pour lui que celle d’un roman de 120 pages. Enfin, les économies d’argent se font aussi en rognant, avec quelques modifications de maquette, le nombre de signes par page, en particulier là où les pigistes sont les plus nombreux : or, les critiques sont faites en majorité par les pigistes.

Deuxièmement : créer des événements afin d’être soi-même un objet de communication (et pas seulement un support de communication) va constituer l’un des objectifs d’un journal. Toutes les séquences sont concernées. Pour les pages « livres », ou les magazines culturels, il s’agit de mettre en valeur, si possible à chaque édition, un « livre-événement », ou un écrivain « parmi les plus passionnants de l’époque », selon les termes fréquemment employés.

Enfin, on cède toujours plus à la loi du star-system (dont l’économiste Françoise Benhamou a clairement analysé les processus pour le secteur culturel dans l’Économie du Star-system (éditions Odile Jacob, 2002)), et à la tentation du plus connu, du plus « attrayant », des têtes d’affiche, du people, de « ce dont on parle »…

Dans les médias audiovisuels, à la télévision en particulier, sur les chaînes hertziennes, celles du service public incluses, les exigences économiques sont liées aux annonces publicitaires conditionnées par l’audimat. Ce qui justifie, aux yeux des responsables et des producteurs, quand ce n’est pas à ceux des animateurs, la désertion de la littérature à la télévision, où la critique est, elle, totalement inexistante. Dans le Figaro du 18 novembre 2004, Guillaume Durand, animateur d’une émission sur la chaîne de service public France 2, intitulée « Campus, le magazine de l’écrit » (c’est nous qui soulignons), s’exprimait ainsi : « Il n’y a pas de public aujourd’hui pour une émission purement littéraire, sinon on ferait 3% d’audience ».

La logique économique qui prévaut dans l’édition a aussi des effets très concrets sur la presse littéraire. L’interaction entre les deux champs est très forte. Plus encore : on peut parler d’une consanguinité structurelle, quand ce n’est pas une consanguinité des personnes.

Deux données importantes, qui ont des incidences directes sur la presse, n’en ont pas moins un caractère exogène.

La première concerne l’augmentation très sensible de la production éditoriale. En cinq ans, de 1999 à 2004, la production commercialisée a augmenté de 35 %, passant de 38.657 nouveautés et nouvelles éditions à 52.231 (source Electre). Bien entendu, l’exhaustivité est non seulement un objectif inatteignable, mais elle est non souhaitée par les journaux. Néanmoins, ceux-ci ont tenté de rendre compte d’un nombre croissant de livres. D’où, globalement, une diminution de la taille des articles. Ou – ce qui est à peu près équivalent – le traitement d’un plus grand nombre de livres au sein d’un même article.

Redoublant les conséquences sur la presse de l’augmentation de la production en général : la concentration de la production éditoriale sur certaines périodes de l’année, et en particulier sur celle que l’on nomme la « rentrée littéraire ». Passant en 10 ans, de 1993 à 2002, du simple au double, le nombre des nouveautés dites littéraires publiées entre août et octobre tourne, depuis 2002, autour de 660 à 690, chiffre considérable.
Principale explication : la concentration, là aussi, des prix littéraires majeurs à cette saison (Goncourt, Renaudot, Femina…), auxquels se sont adjoints des prix moins lucratifs mais de bonne valeur symbolique (Wepler, Décembre, Flore…). Et même si les grands prix littéraires sont trustés par cinq ou six éditeurs indétrônables, l’espoir reste vif, chez les écrivains qui ne sont ni surmédiatisés ni goncourables, publiant parfois dans de petites maisons, de tirer leur épingle du jeu, chiffres de ventes à l’appui (Michel Quint chez Joëlle Losfeld ou Anna Gavalda au Dilettante ont été des vainqueurs récents de cette loterie littéraire automnale).

Un autre type de concentration, économique et financière cette fois, entraîne la consanguinité structurelle des médias et de l’édition. Ce phénomène de concentration a permis à un seul groupe, Hachette, propriété de Lagardère, de se rendre acquéreur de plusieurs maisons d’édition, de contrôler une part importante de la diffusion, et d’être majoritaire dans l’actionnariat d’un certain nombre de journaux, de magazines et de chaînes de radio. Ainsi, Hachette, c’est notamment : Calmann-Lévy, Fayard, Grasset, Stock, Lattès, Pauvert… mais aussi Elle, Cosmopolitan, Télé 7 jours, Le Journal du Dimanche à 60%, Paris-Match, Première, Europe 1, Europe 2, RFM, et Marie-Claire à 42%.

Il ne s’agit pas de raisonner de façon grossière et mécaniste et de prétendre que les critiques du groupe Hachette font systématiquement la promotion des livres du groupe Hachette. Les journalistes ne sont pas des automates programmés sans conscience inviduelle et ne travaillent pas sous le joug d’un contrôle autoritaire digne de Big Brother. En outre, tout se passe toujours pour le mieux dans le meilleur des mondes marchands quand les apparences du pluralisme sont respectées et quand les journalistes ont intégré par eux-mêmes les limites de leur liberté.

Prenons, par exemple, les effets induits par la publicité, dont on sait qu’elle est une des sources de financement essentielles de la presse, et qu’elle y est en régression depuis quelques années. Même sans pressions particulières, il ne sera pas aisé pour les critiques travaillant pour les médias du groupe de passer sous silence un livre sur lequel une maison d’édition dudit groupe aura décidé d’accomplir un effort particulier de promotion. D’autant que ces publicités risquent d’y être particulièrement abondantes. Pourquoi ? Simple supposition, qui se fonde toutefois sur un fait précis : une révélation faite par les fonctionnaires de la Commission de Bruxelles, alors qu’ils enquêtaient sur les conditions d’achat de Vivendi Universal Publishing. Ceux-ci sont en effet tombés sur une note, qu’ils ont rendue publique, adressée par la directrice de communication d’Hachette-Livre à tous les patrons de la maison. « Cette note leur précisait les tarifs publicitaires préférentiels accordés par Europe 1 aux éditeurs du groupe, les rabais allant de 40 à 60 % par rapport aux prix fixés par les concurrents » (Le Nouvel Observateur en ligne, semaine du 27 novembre 2003).

Cette pratique – certes un peu particulière – entre (entrait ?) dans un ensemble plus général, que l’on désigne par le terme de stratégies de groupe. Toutes ces stratégies – lancements spectaculaires, « coups », etc. – ont pour objectif un rendement marketing maximal. Elles s’appuient en premier lieu sur la logistique du groupe et sur ses « armes » propres. Mais, comme si ses stratégies produisaient dans leur sillage une force économique centrifuge, elles entraînent dans leur logique médias et maisons d’édition extérieurs ou indépendants. Ainsi, le lancement industriel du dernier Houellebecq, publié par Fayard, s’est opéré avec la collaboration de trois publications n’appartenant pas au groupe Hachette : les Inrockuptibles, le Monde et le Nouvel Observateur. Ce dernier titre annonçait ainsi sur sa une du 25 août : « Exclusif. Les extraits du livre-événement de Michel Houellebecq. L’entretien. Le portrait. La polémique. » Quant à une critique du livre, à l’heure où je vous parle, l’hebdomadaire n’en a toujours pas publié…

La consanguinité des personnes entre le monde des médias et le milieu éditorial a été plus souvent mise en lumière : les cumulards y sont légion – aucune loi en France n’interdit d’être auteur, éditeur, directeur de collection, critique, animateur de télévision, juré dans plusieurs prix… –, et les délits d’initiés prospèrent.

2) Le contexte philosophique

Si les critiques littéraires qui exercent dans les médias ne semblent pas directement préoccupés par la philosophie dans leur pratique quotidienne, le contexte philosophique dans lequel ils évoluent a bien entendu une influence sur eux, même à leur insu. Or, il existe aujourd’hui un climat philosophique propice à la méfiance envers la parole critique.

Cette méfiance est légitimée par un courant très important de l’esthétique, cette branche de la philosophie dont j’emprunte la définition au philosophe Rainer Rochlitz : l’esthétique « n’a pas à enseigner le goût véritable, ni à formuler un verdict d’autorité sur les œuvres. Elle est l’analyse réflexive des concepts et des méthodes qui régissent les relations esthétiques et artistiques, et donc aussi l’analyse des démarches évaluatives sous-jacentes à l’expérience et à la critique des œuvres » . (L’Art au banc d’essai, Esthétique et critique, Gallimard, 1998). Ce courant de l’esthétique, qui a tendance aujourd’hui à tenir le haut du pavé, est la théorie subjectiviste, ou empiriste, représentée par des auteurs tels Gérard Genette ou Jean-Marie Schaeffer.

Pour la théorie subjectiviste, le jugement de goût relève de l’appréciation strictement personnelle, qui peut s’expliquer par des inclinations psychologiques, par le vécu de celui qui émet le jugement, ou par toute autre caractéristique individuelle. La psychanalyse, la sociologie, l’anthropologie, voire la physiologie, peuvent éclaircir les raisons de ces préférences, mais le sujet lui-même ne peut les objectiver en termes rationnels. Le discours rationnel n’est apte à rendre compte que des seuls aspects objectivables des œuvres et des manifestations esthétiques intentionnelles identifiables. Aux yeux du relativiste, l’œuvre n’a que les qualités que le regardeur lui prête. La paraphrase d’un proverbe le dit en d’autres termes : « La beauté est uniquement dans l’œil du spectateur » . Et si l’appréciation est partagée par plusieurs, ce n’est que pur hasard. « Je me rallie [à la conception subjectiviste de l’appréciation esthétique], entre autres au nom du fait (…) de la diversité des appréciations, et de celui (…), qu’aucune clé d’aucune sorte ne peut départager les appréciations contradictoires comme elle le fait pour les simples diagnostics » (Gérard Genette, La relation esthétique, Seuil, 1997).

Dans le règne du relativisme – ou du déterminisme –, il n’y a pas de débat critique possible, ou plus exactement, tout débat critique, si tant est qu’il ait lieu, a un caractère profondément absurde. Il n’a aucun sens puisqu’il est vain de vouloir confronter des arguments qui n’en sont pas, les préférences personnelles étant par définition non partageables. Ainsi, selon l’essayiste Yves Michaud, « vouloir s’entendre sur l’art et entrer dans le processus de communication esthétique, c’est aussitôt buter sur la mésentente : chacun est bon juge ; chacun prétend à l’universalité – mais des goûts et des couleurs, comme on dit, on ne discute pas ! » (La crise de l’art contemporain. Utopie, démocratie et comédie, PUF, 1997). L’individu lecteur, auditeur ou spectateur se voit donc détaché radicalement des autres, atomisé, renvoyé à sa propre solitude, par son incapacité intrinsèque à échanger des arguments rationnels étayant l’appréciation d’une œuvre.

Dans la lignée de l’école de Francfort, en particulier de Theodor Adorno, Rainer Rochlitz s’est opposé à de telles conceptions. Pour lui, rien n’oblige un spectateur à objectiver les raisons de son appréciation. Mais s’il tente de le faire, en dehors de toute idiosyncrasie, en s’appuyant sur des arguments destinés à être discutés, controversés, peut-être partagés, cette tentative n’est pas illusoire. Sans dogmatisme, sans réhabiliter non plus les normes esthétiques académiques ruinées depuis le XIXe siècle par la modernité, la théorie non empiriste de l’esthétique examine le débat critique en tant, précisément, qu’il a « pour fonction de neutraliser ce qui, dans les réactions subjectives, ne relève que des préférences idiosyncrasiques et qu’il a pour but de dégager les qualités susceptibles d’être appréciées par tout un chacun » .

« À la différence des phénomènes esthétiques naturels , explique Rainer Rochlitz dans l’Art au banc d’essai, l’œuvre d’art appelle la reconnaissance et le jugement. Son statut n’est pas en premier lieu celui d’un objet présent dans le monde et sur lequel l’attention se porte de façon contingente, mais elle s’adresse à un public et présente en ce sens une structure symbolique et un contenu cognitif. (…) [Les œuvres d’art] renvoient à des intérêts en principe communs ou susceptibles de l’être ou de le devenir, et sollicitent structurellement des réactions et des prises de position. Contrairement à la plupart des questions d’évaluation simple, l’art, depuis la plus haute Antiquité, suscite de ce fait, à travers la critique d’art, la critique littéraire et musicale, plus récemment cinématographique, la création de réseaux à la fois institutionnels et informels de débats spécialisés qui ont recours à un ensemble de paramètres critiques considérés comme pertinents. Par ces débats, le “goût artistique” est formé mais aussi régulièrement révolutionné ou révisé, ce qui lui enlève son caractère purement conventionnel. Il est toujours possible d’aborder une œuvre d’art d’un point de vue rigoureusement personnel, idiosyncrasique, mais on risque alors de passer à côté de la véritable satisfaction que l’œuvre d’art est capable d’offrir. »

Enfin, et au-delà de la « satisfaction que l’œuvre d’art est capable d’offrir » , le débat critique possède une vertu au plan collectif. Pour reprendre un terme de la philosophie de Jürgen Habermas, dont Rainer Rochlitz a été l’un des introducteurs et traducteurs en France, le débat critique instaure une « éthique de la discussion » . Il n’est pas abusif d’utiliser cette image : le débat critique crée un espace public, fondé sur une rationalité, autour des œuvres. Un espace public qui s’oppose à l’autorité du message promotionnel, à la puissance du marché et à la loi du grand nombre, que la théorie subjectiviste, au nom de la victoire de la démocratie du goût, qu’elle apparente à celle de la démocratie libérale, favorise. Ici, dans le prolongement d’un débat philosophique, s’esquissent les termes d’un combat politique, qui rejoint celui que j’ai évoqué plus haut.

3) Les contraintes idéologiques et professionnelles

C’est un des préjugés les mieux partagés dans les journaux, les radios et les télévisions, par à peu près tous les directeurs de rédaction, quand ce n’est pas par les chefs des services culture ou même les responsables des pages « livres » : l’idée que la critique ennuie le lecteur. La critique est tenue pour un genre journalistique honorable, ayant ses lettres de noblesse et un passé prestigieux, mais qui aujourd’hui serait caduc, voire nécrosé. La parole critique serait trop spécialisée, destinée à des cercles restreints, fermés, élitistes. La position du critique (que l’on voit surplombant celle de ses lecteurs ou auditeurs) y est même parfois jugée arrogante.
« Dynamisme », « mouvement », « innovation », « proximité », « humilité » sont désormais les valeurs cardinales dont le journalisme doit se parer. On aura compris qu’à cette aune, et compte tenu de la représentation que l’on s’en fait, la critique est mal vue. Conclusion : la critique littéraire sera avantageusement remplacée par le journalisme littéraire.

Entre le journaliste et le critique s’est effectivement instauré un rapport de force très en faveur du premier. J’avoue moi-même vivre cette opposition de manière relativement schizophrénique, les deux activités, dont l’une ne m’apparaît pas moins honorable que l’autre, n’ayant pas les mêmes priorités ni les mêmes temporalités. C’est pourquoi je ne me sens pas journaliste dont critique, ce qui serait théoriquement juste, mais journaliste et critique.

De la prédominance du journaliste sur le critique, ces propos de Pierre Assouline dans le magazine professionnel de l’édition, Livres-Hebdo, daté du 7 janvier 2005 (n°583), sont très emblématiques. À la question : « Le règne du critique est-il achevé ? » , il répond : « Il faudrait penser davantage en journaliste qu’en critique, au sens traditionnel du mot. La critique littéraire à l’ancienne est un genre prestigieux mais nécessairement réservé à quelques grandes plumes. Le journalisme littéraire, c’est autre chose. C’est d’abord du journalisme : s’informer, informer, transmettre. Cela n’interdit pas le jugement critique, au contraire, mais il faut – ici comme à la radio ou à la télévision – que le « je » du journaliste se tempère face à l’information, et que le média ne se médiatise pas lui-même. Il faut partout éviter le côté magistral, le paternalisme critique, qui fait descendre la pseudo-vérité du haut vers le bas. »

Cette déclaration mériterait maints commentaires. Elle intègre à peu près tous les reproches fait à la critique, qui apparaissent consubstantiels à celle-ci. Pour Pierre Assouline, une autre critique n’est pas possible ; le journalisme doit donc lui être substitué.

Autre exemple symptomatique de la domination du journaliste sur le critique : toujours dans Livres-Hebdo, cette fois du 18 février 2005 (n°589), où l’on peut lire un assez long article de Marie-Christine Imbault concernant l’accession de Franck Nouchi à la direction du Monde des livres. Il ne s’agit pas d’une interview, mais de propos recueillis insérés dans l’article. Sans doute Franck Nouchi a-t-il eu d’autres propos que la journaliste n’a pas retenus. Il n’en reste pas moins que dans l’article tel qu’il a été publié, une manière de programme est annoncé par Franck Nouchi, « Mettre davantage de journalisme dans le Monde des livres », alors que son silence est entier sur la critique – le terme n’est pas même prononcé –, pour la valoriser, la justifier ou la relégitimer.

Cette relégation de la critique au profit du journalisme a des effets pervers. Celui-ci notamment : la multiplication des genres journalistiques dans les pages littéraires – les portraits, les rencontres, les interviews ou les reportages – favorise la tendance déjà forte à privilégier les auteurs par rapport à leurs œuvres. La personne de l’écrivain, son caractère, ses goûts, ses opinions, son statut social, ses manies finissent par prendre plus d’importance que les qualités ou les défauts, les choix formels ou la pertinence intellectuelle de son dernier ouvrage. On assiste dès lors à une « people-isation » des pages « livres », dont la logique pousse à aller vers toujours plus de vedettariat.

Qui a inventé la personne de l’écrivain comme figure médiatique ? Non pas le Libération des années 1980, qui a pourtant revendiqué la naissance du journalisme littéraire en France, ni l’émission télévisée animée par Bernard Pivot, « Apostrophe », qui, pendant quinze longues années (1975-1990), y a tout de même fortement contribué. En fait, cette « création » date des années 1960, où une forme de journalisme littéraire a été instituée dans la presse, en particulier au Figaro littéraire, où officiait déjà, ce qui n’a rien d’une coïncidence, Bernard Pivot. La télévision, au cours de la décennie suivante, ne fera qu’adapter cette forme de journalisme dans sa façon de concentrer l’intérêt sur l’auteur. C’est du moins la thèse très convaincante de l’historienne Claire Blandin, telle qu’on peut notamment la lire dans une communication faite le 30 juin 2003, prononcée à Bucarest et intitulée « Les pratiques des journalistes littéraires : de la presse écrite à la presse audiovisuelle ». Extrait : « En 1966, les journalistes du Figaro littéraire se donnent pour objectif premier de « pénétrer les coulisses de l’édition » (ils veulent, dans le même registre, « explorer les repères de la faune littéraire » et « percer les secrets des faiseurs de gloire »). Cet axe témoigne de ce que, dans les années 1960, la situation de la critique littéraire évolue à l’intérieur des institutions du champ. Dans l’Institution de la littérature, Jacques Dubois explique qu’à partir du moment où les critiques littéraires ne prononcent plus de jugement, ce sont les académies (comme par exemple l’Académie Goncourt) qui s’en chargent. La presse littéraire n’est alors plus là que pour assurer la notoriété d’un “événement”, l’attribution d’un prix. Surtout, les émissions littéraires prennent, pour les maisons d’édition, le rôle de relais promotionnel, assuré auparavant par la presse littéraire. Bernard Pivot apparaît ici comme un personnage clef car le courriériste littéraire des années 1960 exploite, à la télévision et dans les années 1970, (et est exploité par) les réseaux mis en place dans le VIe arrondissement parisien. » (cf. www.archivesic.ccsd.cnrs.fr)

Ce qui peut se nommer du terme barbare de « sociologisation des œuvres » est un autre effet pervers de la prise de pouvoir du journaliste sur le critique. L’œuvre est avant tout perçue comme un témoignage, aux formes et à la tonalité diverses, sur une époque, un pays, une société, une communauté. Elle est traitée journalistiquement en fonction de la thématique qu’elle développe, par exemple, le sida en Afrique, la condition de la femme au Maghreb… Si les œuvres issues du Tiers-Monde ont plus de « chances » encore que les autres d’être considérées de la sorte, la littérature américaine, dont la dimension mythologique est toujours très vive de ce côté-ci de l’Atlantique, est souvent l’occasion de faire le point sur la situation des États-Unis ou dans l’une de ses régions ou grandes métropoles. Pire, elle peut être aussi jauger en fonction de son aptitude à correspondre aux clichés entretenus sur ce pays [^2].

La littérature française n’y échappe pas. Une courte recension de quelques extraits de presse portant sur le dernier roman de Michel Houellebecq, la Possibilité d’une île, en donne une idée (exemple non pris au hasard, tant les aspects formels de ce roman semblent être restés totalement invisibles aux yeux de la majeure partie de la presse, comme s’ils n’existaient pas) : « Témoin aigu des mensonges de l’époque et de la décomposition sociale et morale de notre civilisation. (…) Habile façon de prendre de la distance avec cette société, la nôtre, que Houellebecq désosse impitoyablement, en bon anar de droite qu’il est certainement, mais aussi en moraliste » (Télérama) ; « Une mise en question radicale de la société dans son ensemble. (…) Car l’ambition de Houellebecq est de prendre à son propre piège une société qu’il juge monstrueuse, déliquescente, insauvable. Désespérante et désespérée. D’où le projet d’en démonter les ressorts et la logique, perverse jusqu’à l’absurde » (l’Express) ; « Michel Houellebecq a pris le risque de se colleter avec la complexité de plus en plus inquiétante du monde d’aujourd’hui. Ses curiosités, ses observations, ses intuitions sont celles d’un drôle de zig, méthodique et inspiré, qui patauge dans le XXIe siècle, alors que tant d’écrivains se tiennent prudemment sur les bords. » (Le Journal du Dimanche) ; « Un éclaireur hyperréaliste de la société d’aujourd’hui » (Le Monde).

Cette manière d’aborder les œuvres, aux antipodes de la critique formelle ou formaliste, révèle la passion discrète du journaliste pour les enjeux spécifiquement esthétiques, en l’occurrence littéraires. Elle témoigne aussi d’une sorte de croyance naïve dans la faculté de la langue à se rendre transparente pour révéler le monde, comme si le mot et la chose se confondaient, s’indifférenciaient. On touche là à un véritable fantasme journalistique, dont on entend certains échos également dans la religion des faits, et dans la prétendue objectivité qui caractériserait leur simple relation (il y aurait pourtant une étude sérieuse à faire sur l’idéologie véhiculée par les dépêches d’agences, réputées ne s’en tenir qu’aux faits).

D’où, plus profondément, les difficultés que posent au journaliste la fiction, et même la représentation. Curieux de ce que l’on convient d’appeler la réalité, que le journaliste contribue plus ou moins consciemment à façonner, celui-ci est beaucoup moins sensible à la charge de réel – cet indicible contenu dans la langue – qu’une œuvre littéraire déploie (ou non). Plus prosaïquement, dans une période de régression politique comme celle que nous connaissons, où l’autonomie de la littérature est fragilisée, c’est-à-dire où les œuvres sont à nouveau passées au crible de critères moraux avant toute considération esthétique (comme au bon vieux temps des Fleurs du mal et de Madame Bovary), le journaliste peine à incarner un pôle de résistance.

Il est malheureusement possible de le constater régulièrement désormais. En 2002, quand des menaces de censure ont frappé les romans de Nicolas Jones-Gorlin, Rose Bonbon, et de Louis Skorecki, Il entrerait dans la légende (dont l’éditeur, Léo Scheer, a bel et bien été condamné en première instance, avant d’être relaxé en appel), rares ont été les journalistes qui n’ont pas hurlé avec les loups de l’ordre moral. Des phrases proprement ignominieuses ont même été écrites, comme celles-ci, à propos d’Il entrerait dans la légende : « On n’échappe à aucun détail de cette boucherie sacrificielle, et l’on ne peut pas ne pas se demander quel genre d’homme est l’auteur pour réussir à l’imaginer avec autant de précision, et à ne pas vomir en l’écrivant… » (Marie-Claire, septembre 2002). Plus récemment, au début de cette année, à l’occasion de la parution du roman d’Éric Bénier-Burckel, Pogrom, les mêmes confusions, en particulier entre les idées de l’auteur et celles de ses personnages, ont été opérées [^3]. Ce qui a valu à ceux qui, dans leurs articles, ne condamnaient pas l’antisémitisme présumé de l’auteur d’être eux-mêmes accusés de manquer de vigilance à cet égard (cf. Le Monde du 4 mars 2005).

Enfin, je citerai rapidement trois autres types de « contraintes » professionnelles, qui pèsent sur la critique.
Premièrement, selon un présupposé bien établi, l’attente des lecteurs se porterait avant tout vers les auteurs gros vendeurs. Il faut donc consacrer une grande surface aux Houellebecq, Beigbeder, Harry Potter ou Da Vinci Code…, quel que soit l’avis des rédactions sur ces livres. C’est autant de moins, du point de vue de la place occupée, pour des livres plus fragiles, plus exigeants. Ce présupposé est bien entendu lié à la présence de plus en plus généralisée des tableaux des meilleures ventes dans la presse (Libération est le dernier des journaux en date à avoir cédé à cette pratique).
Deuxièmement, selon une règle éditoriale implicite, tous les livres sélectionnés par les principaux prix littéraires doivent avoir fait l’objet d’un article avant la remise de ces prix. En outre, les livres favoris ou les plus en vue ne sont pas confiés à des pigistes mais, comme s’il s’agissait là d’une prérogative, sont traités par les chefs de service ou chefs de rubrique « livres ». Ce qui leur confère encore davantage de visibilité.
Enfin, le premier roman est désormais considéré comme un genre littéraire spécifique. Non pas sur des critères esthétiques – ce qui serait résolument absurde –, mais parce que la machine médiatico-éditoriale a constamment besoin de nouveautés pour s’autoalimenter. On exhibe ces nouveaux noms, ces nouveaux visages avant de les jeter aux oubliettes. Un moyen, sans doute, de compenser l’absence, en littérature, d’une « star académie ».

Voilà, tracée à gros traits, la situation. Toutes ces contraintes réunies produisent un phénomène d’uniformisation de la critique, disparaissant sous le poids du marché. En témoigne cette enquête du Figaro, réalisée en décembre 2002, auprès de 35 critiques à qui l’on avait demandé quels étaient les 10 meilleurs écrivains de la nouvelle génération (moins de 40 ans) : « Les résultats semblent épouser, à peu de choses près, les listes des meilleures ventes », concluait le journaliste du quotidien auteur de l’enquête. On ne pouvait être plus explicite.

Mon propos, je le rappelle, n’est pas ici de désespérer le Billancourt des futurs journalistes ni de professer un nihilisme commode, qui prônerait la figure désengagée d’un critique d’autant plus libre que son activité n’aurait plus aucune importance pour personne. Il n’est pas non plus de se rêver en Don Quichotte capable de renverser les tendances lourdes du journalisme. Incorporer l’existence de ces contraintes permet, à tout le moins, de se défaire de quelques illusions et d’imaginer des stratégies de résistance. Ces stratégies sont certainement plus difficiles à mettre en œuvre là où le rouleau compresseur est le plus lourd : dans l’audiovisuel notamment. Il est cependant de la responsabilité des critiques de ne pas rester passifs.
Un dernier mot. Une autre responsabilité est là aussi en cause : celle des lecteurs de presse (et des auditeurs et des téléspectateurs) amateurs de littérature. Leur vigilance, leur exigence, leur engagement pour une critique digne de ce nom sont des éléments indispensables pour que celle-ci continue à exister et contribue ainsi à la vie de la littérature.

[^2]: Lire sur ce sujet, et sur d’autres qui concernent cette intervention, le dossier passionnant consacré aux « Suppléments littéraires aujourd’hui » par la revue trimestrielle Histoires littéraires, n°18, Avril-mai-juin 2004, 32, avenue de Suffren, 75015 Paris (www.histoires-littéraires.org).

[^3]: Je me permets, à propos de Pogrom, de renvoyer à l’un de mes articles dans Politis, consultable en ligne : www.politis.fr/article1249.html.

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