Lettre(s) au petit Nicolas

Baptiste Mylondo est l'auteur de « Travailler moins, trois fois moins » dans l'ouvrage coordonné par Jean-pierre Gelard « Travailler plus, travailler moins, travailler autrement », PUR, Rennes, à paraître en 2007.
Baptiste Mylondo  • 30 janvier 2007
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Permets-moi d’abord, Nicolas, de te tutoyer. Militant associatif et politique de l’autre bord, c’est avec un certain agacement que je suis, bon gré mal gré, tes gesticulations médiatiques et tes frasques politiques. Difficile aujourd’hui d’y échapper. Difficile également de rester de marbre et d’assister sans broncher à tes discours, à l’étalage de tes idées et prises de position détestables.

Et commençons par cette politique d’immigration que tu prônes. «Immigration choisie contre immigration subie » . La formule est nauséabonde. Elle sonne comme une insulte jetée au visage de ces hommes et femmes qui se pressent à nos frontières en quête, non pas d’une vie meilleure, mais simplement d’une vie décente. Car n’en doutons pas, c’est bien une émigration subie qui les pousse à quitter leur pays et leurs proches au péril de leur vie pour rejoindre nos forteresses dorées. « Immigration choisie » , l’idée même est abjecte. Comment ignorer que les vagues de naufragés qui échouent à nos portes ne font que fuir une misère accablante à laquelle nous ne sommes malheureusement pas étrangers… Dès lors, peut-on leur refuser plus longtemps cette hospitalité qui leur est due ? Et ne nous cachons pas derrière cette « aide au développement » versée avec tant de parcimonie, elle ne suffira pas à nous libérer de ce devoir d’hospitalité. D’ailleurs, soyons clairs, on ne donne pas au Sud, on ne fait que rendre, et trop peu. Pire, nous rendons pour mieux reprendre ! Mais qu’importe, la France choisira donc soigneusement ses immigrés. Elle refoulera sans plus de scrupules les moins « utiles », les plus démunis. Du dégoût ou de la honte, difficile de dire quel sentiment domine. Et nous voilà désormais sommés d’aimer cette France si accueillante ! Ceux qui ne l’aiment pas n’ont qu’à la quitter, lances-tu. Tout bien réfléchi, ce doit être le dégoût.

Ton discours économique n’est guère plus reluisant. « Plus de pouvoir d’achat, c’est plus de motivation, plus de productivité, plus de consommation et au bout du compte plus de travail et plus d’emplois ». Le refrain est désormais connu et tu n’es pas le seul à l’entonner gaiement. Et pour cause, la gauche n’est malheureusement pas épargnée et revendiquerait volontiers ce discours absurde. Comme les autres, c’est sans doute le culte imbécile de la valeur-travail qui t’égare. Plus de travail pour tous ? Voilà une perspective enthousiasmante ! Mais à tes yeux le travail est sans doute cette voie sacrée menant au bien-être et à l’épanouissement personnel.

Il faut ici préciser certains points. D’abord, le travail, conçu comme une valeur fondamentale de notre société, n’est qu’une construction sociale aussi récente qu’aberrante. Soulignons ensuite le fait que si le travail est sacralisé aujourd’hui, c’est uniquement parce qu’il constitue un instrument de contrôle social efficace doublé d’un outil de production au service d’une croissance économique sans fin ni finalité. Rappelons enfin ce fait trop souvent oublié : l’idée d’un travail épanouissant n’est qu’un mythe, un rêve, ou un horizon inaccessible pour l’écrasante majorité des travailleurs. N’en doute pas Nicolas, le travail que tu vantes, que tu loues et vénères, n’est pour beaucoup que peine et contrainte.

Tu veux récompenser cette « France qui travaille dur, qui est à la peine » , très bien, mais crois-tu sincèrement que cela suffira à soulager sa peine ? Si un regain de surconsommation doit être l’unique récompense, pourquoi ne pas lui préférer la richesse du temps libre ? Ce temps si précieux, libéré du travail inutile et de la consommation futile censée le justifier. Mais c’est finalement le travail que tu souhaites libérer. Libérer le travail ? La belle affaire ! Mais qui nous libèrera de son emprise ? Bien sûr, chacun doit être libre de travailler plus pour gagner plus. Mais pourquoi travailler plus lorsque l’on trime déjà trop ? Lorsque l’on travaille beaucoup trop pour gagner bien trop peu ?

Comme elle a raison cette gauche que tu dénigres, comme elle a raison de mépriser le travail. Et si le turbin reste une nécessité, tâchons au moins d’en réduire la place, le poids, et finalement la peine. A ce titre, la gauche a peut-être manqué d’audace en s’engageant dans la réforme tant décriée des 35h. On voit bien aujourd’hui que supprimer quatre heures de travail par semaine ne suffit pas à remettre en cause le culte qui lui est voué. Avancée souhaitable, la réduction du temps de travail impulsée par la gauche n’aura donc pas été décisive. Sans doute une semaine de 32h voire 30h eut été préférable. Et pourquoi pas moins ? Nous produisons déjà tellement trop de «richesses», si mal réparties.

On aurait d’ailleurs tort de se contenter d’une simple réduction du temps de travail. La mise en place d’un revenu inconditionnel semble être une autre piste sérieuse. Un « revenu de citoyenneté », déconnecté du travail et de toute recherche d’emploi. Un revenu identique versé à chaque citoyen, venant s’ajouter aux revenus professionnels, traduisant l’apport de chacun à la société, et ce quelles que soient ses activités. Un tel revenu permettrait de rompre avec la dictature de l’emploi à plein temps qui sévit aujourd’hui, avec le cercle vicieux consommation – emploi – croissance, et avec la valeur-travail sur laquelle il s’appuie. Bien sûr, cela suppose un partage plus juste des richesses, partage auquel je n’oserais te demander d’adhérer…

Nicolas, « la France nouvelle, dis-tu, c’est celle du mérite, de l’effort, du travail, de la récompense, du respect, de l’autorité et de la fermeté » . Je te le dis sans détours au risque de te heurter, je n’aime pas cette « France nouvelle » . Je n’aime pas cette « France du travail » que tu veux bâtir sur les ruines que ton gouvernement laisse derrière lui. Je ne l’aime pas, et ne suis sans doute pas le seul. Mais n’espère pas pour autant nous voir la quitter, car après tout, ceux qui n’aiment pas cette France n’ont qu’à la changer.

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