Chômage : lettre ouverte au directeur de l’Insee

Thierry Brun  • 9 février 2007
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Le Collectif « Autres Chiffres Du Chômage » a rendu public le 8 février une lettre ouverte à Jean-Michel Charpin, directeur de l’Insee, dont nous donnons ici le contenu. On peut aussi consulter le nouveau site d’ACDC (voir plus bas).

Monsieur le Directeur,

Vous avez annoncé le report à l’automne de la publication de l’enquête Emploi 2006, prévue pour mars. A ce jour, les arguments techniques que vous avez avancés à l’appui de cette décision sont imprécis et peu convaincants (voir ci-dessous).
Dans ces conditions, et en l’absence de justification plus rigoureuse, le risque est grand que votre décision soit interprétée comme une décision d’opportunité politique plus que technique. L’auriez-vous prise si les résultats de l’enquête Emploi avaient confirmé la baisse du chômage que semblent montrer les données de l’ANPE ?
L’enquête Emploi est la référence en matière d’évolution de l’emploi et du chômage, un outil indispensable dans le débat social. Les données de l’ANPE sont des données de gestion, qui ont certes l’avantage d’être disponibles à un rythme mensuel, mais dont l’expérience montre qu’elles peuvent parfois évoluer différemment du taux de chômage BIT que mesure l’enquête; c’est d’ailleurs la raison d’être du « calage » annuel auquel procède l’Insee lorsque les résultats de l’enquête Emploi sont connus.
Notre note n°2 « Chômeurs et chiffres sous pression » s’appuie à la fois sur les données statistiques existantes et sur l’expérience quotidienne des associations de chômeurs et des principaux syndicats de l’ANPE. Elle montre que les multiples modifications de la gestion des demandeurs d’emploi rendent tout à fait probable en 2005-2006 une divergence importante entre le nombre d’inscrits à l’ANPE (DEFM) et la mesure du chômage BIT par l’Insee.
La publication de l’enquête Emploi est donc particulièrement attendue. Pour fonder leur jugement et leur vote, les citoyens ont le droit de savoir si les politiques menées ces dernières années ont effectivement fait reculer le chômage de plus de 10% comme l’affirme le gouvernement, ou si, comme nous le pensons, elles ont surtout accentué la pression sur les chômeurs en les dissuadant de s’inscrire ou de se réinscrire à l’ANPE.

Nous vous demandons par conséquent :
– de publier sans tarder le taux de chômage mesuré par l’enquête Emploi de 2006, en l’assortissant éventuellement de fourchettes (des « intervalles de confiance » en termes statistiques), éventuellement plus larges pour 2006 que pour les années précédentes si de bonnes raisons existent pour juger que la qualité de l’estimation s’est dégradée ;
– de diffuser toutes les informations disponibles concernant l’évolution des taux de non réponse et des biais de rotation au cours des dernières années ;
– de procéder dès la fin mars au recalage habituel du taux de chômage BIT publié chaque mois en même temps que les données de l’ANPE.
Au cas où vous maintiendriez votre décision de différer ce recalage, il serait en tout état de cause injustifiable que l’Insee continue dans les mois à venir à publier mensuellement un taux de chômage BIT indexé sur l’évolution des seules données de l’ANPE. L’Insee ne saurait continuer à valider ainsi ces données dont la signification est fortement contestée et qui sont manifestement contredites par l’enquête Emploi.
L’Insee est un patrimoine national, respecté pour son sérieux et son indépendance. Il vous appartient de préserver sa crédibilité, vitale pour la qualité du débat démocratique dans notre pays.

Le collectif ACDC (les Autres Chiffres du Chômage), http://acdc2007.free.fr/

Report de la publication de l’Enquête Emploi 2006 : des explications pour l’heure insatisfaisantes
– vous affirmez (Le Monde, 25/01/07) que « les taux de réponse sont d’une manière générale fluctuants au cours du temps et, plus particulièrement en 2006, ils ont nettement baissé dans certaines régions comme l’Ile-de-France ». Cependant au plan national le taux de réponse n’a pas baissé par rapport aux années précédentes : il s’établit à 80,7% en 2006 contre 80,9% en 2005. La fluctuation du taux de réponse observée en Ile de France (de l’ordre de 6 points) ne saurait avoir qu’un impact minime sur la qualité de l’estimation du taux de chômage national.
– vous invoquez « ce qui s’appelle dans le jargon statisticien le « biais de rotation ». Dans l’enquête « emploi », la même personne est interrogée six fois consécutivement. Ils ne répondent pas de la même manière selon que c’est la première, la deuxième ou la sixième fois ». Mais ce phénomène n’a rien de nouveau, puisqu’on l’a observé dès la mise en place de l’enquête Emploi en continu en 2002. Sauf aggravation particulière (qui n’est pas avérée), la précision des évolutions mesurées entre 2005 et 2006 ne devrait pas en être affectée.

Temps de lecture : 4 minutes
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