Le Pen, candidat opportuniste

Michel Soudais  • 26 février 2007
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Jean-Marie Le Pen drague l’électorat de gauche. Sans vergogne, le président du Front national, dont le parti tenait une Convention présidentielle à Lille, ce week-end, s’est présenté en héritier des combats d’une région où «de la mine à la forge (…) les travailleurs obtinrent par la lutte syndicale, les conditions de travail décentes, des salaires acceptables dont on ne leur fit jamais cadeau…» Une région où «galibots, porions et reculeux arrachèrent de haute lutte les droits essentiels du travailleur aux patrons de droit divin d’alors…»

Devant 1.500 sympathisants (les capacités de la salle ont des limites), le chef de file de l’extrême droite a multiplié les mises en garde contre un «capitalisme financier planétaire» , «un capitalisme total» , «un capitalisme sans projet» , dont il dénonce le caractère «prédateur» , comparant notamment les fonds de pension anglo-saxons à de «grands sauriens» . Son discours très travaillé emprunte de nombreux thèmes à la gauche altermondialiste afin de lui permettre de se présenter comme celui qui redonnera «le pouvoir» à «tous les petits, les sans-grade, les humbles, travailleurs, seniors, agriculteurs, retraités, femmes et familles solitaires, veufs et veuves, français de souche ou d’ailleurs, gavroches» , tous ceux à qui, le soir du 21 avril 2002, il avait lancé, reprenant une exhortation de Jean-Paul II: «N’ayez pas peur.»

Forçant le trait jusqu’à la caricature, Jean-Marie Le Pen va même jusqu’à laisser entendre que face à «Sarkozy, Bayrou, Royal, tous partisans de l’Europe du « oui » à la Constitution» , il serait le seul à ne pas «être ultra-libéral» . Le seul à pouvoir être «le Président de la majorité du « non », celle du 29 mai» . En l’absence d’un candidat unique de la gauche du « non », M. Le Pen n’hésite pas à se présenter comme le plus à même de résoudre «tous les problèmes de l’Europe en suspens» , lors de la présidence française de l’UE, en 2008, reprenant ainsi un argument développé par Laurent Fabius, lors de la campagne interne socialiste.
### Derrière le masque
Quelles que soient les efforts de Jean-Marie Le Pen pour se présenter sous un nouveau jour, l’immigration reste pour lui «la cause principale des problèmes de la France» , comme l’analyse Christiane Chombeau dans Le Monde . Et son principal fonds de commerce. Pour le président du FN, la résolution des problèmes sociaux du pays passe toujours et avant tout par la «préférence nationale»: suppression du RMI et des allocations familiales pour les étrangers, surtaxation du travail des étrangers, fin du regroupement familial restent les mesures phares de son programme (ici résumé ou téléchargeable).

On peine à trouver dans ces mesures l’indice d’une évolution positive du corpus doctrinal du parti d’extrême droite quand la rumeur médiatique voudrait nous faire croire que le FN a changé. Certes Jean-Marie Le Pen s’est assagi en vieillissant. A bientôt 79 ans, le leader d’extrême droite a perdu de sa virulence et appris à soigner l’emballage de son discours.
<img2269|center>Mais ce week-end, à Lille, il suffisait d’écouter ses proches pour mesurer combien le vieux fonds culturel de l’extrême droite imprègne toujours son parti. Aux prochaines élections législatives, le Front national n’a qu’un objectif, expliqué par Bruno Gollnisch, samedi, à la tribune: «Il faut sortir les sortants, tous les sortants!» C’était déjà le mot d’ordre des poujadistes en… 1956.

Jeunes cadres, vieux discours

Avec l’accession aux responsabilités d’une nouvelle génération de dirigeants, on pouvait penser que le parti d’extrême droite exercerait un droit d’inventaire sur certaines périodes historiques constitutives de son identité. Il n’en est rien. Louis Aliot, le secrétaire général du FN, né en 1969, n’a jamais connu l’Empire français. Pourtant, cela ne l’empêche pas de regretter le temps béni des colonies. Sans jamais lever les yeux de son texte, cet Ariégeois a expliqué, samedi, devant une salle de cadres et responsables frontistes ravis, que le «crime n’a pas été la colonisation mais la décolonisation» .
Plus instructive encore, l’intervention de Marine Le Pen devant les jeunes frontistes: la fille du chef, figure moderne et banalisée du FN, a fait sien un vieux thème de l’extrême droite et plaidé en faveur d’une remise en cause du droit du sol, «une idée d’un autre âge» . Prenant un autre exemple de «bon principe» qui, selon elle, a «mal vieilli» , elle a donné sur les «acquis sociaux» un éclairage instructif. Légitimes quand, «jadis» , il s’agissait de «protéger une classe ouvrière effectivement exploitée» , les acquis sociaux ne sont plus, explique-t-elle, qu’un «alibi pour les privilèges de salariés syndiqués» .
Voilà qui relativise grandement les envolés lyriques de son père-candidat sur les luttes glorieuses des travailleurs du Nord-Pas-de-Calais! Et donne son sens à un discours essentiellement opportuniste.

Temps de lecture : 4 minutes
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