Les masques tombent (1ère partie)

Michel Soudais  • 10 mars 2007
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La dernière proposition de Nicolas Sarkozy, créer « un ministère de l’immigration nationale et de l’identité nationale » , reprend une vieille idée du Front national. Sans même s’embarrasser des précautions prises par le mouvement d’extrême droite.

Rappel des faits. Jeudi soir, sur France 2, Nicolas Sarkozy est interrogé par Arlette Chabot dans l’émission « A vous de juger ». La journaliste veut savoir quels sont ses « priorités » et « à quoi ressemblerait le gouvernement de Nicolas Sarkozy » . Réponse du ministre-candidat : «Quinze ministres. Des ministères qui ne ressembleraient pas à ceux d’aujourd’hui, parce que je crois qu’un pays de 64 millions d’habitants doit avoir un nombre limité de ministères, mais des ministères rebâtis. Par exemple, je veux un ministère de l’immigration nationale et de l’identité nationale, parce qu’aujourd’hui le dossier de l’immigration est explosé en trois ministères différents.»

Sarko reprend le programme du FN

Notons d’abord un réflexe éloquent. Quand il entend le mot priorités le président de l’UMP répond d’abord immigration. En soi, c’est déjà une information. Et le sujet semble avoir, pour lui, une telle importance qu’il lui réserve un ministère de plein exercice (ce n’est pas le cas aujourd’hui) dans un gouvernement très resserré.

L’idée n’est pas nouvelle. C’est en effet Bruno Mégret qui, en novembre 1991, avait suggéré , le premier, **de regrouper l’ensemble des administrations qui ont à traiter les questions liées à l’immigration sous la tutelle d’un seul « ministère de la population ». Cette mesure était la septième des 50 mesures *« concrètes » sur l’immigration que le délégué général du parti de Jean-Marie Le Pen avait concocté, suscitant un tollé général. « Il importe de doter l’Etat d’un outil capable de traiter globalement l’ensemble du problème de l’immigration , écrivait-il. A cette fin sera institué un ministère de la population ayant autorité pour coordonner l’action de l’ensemble des administrations sur les questions d’immigration. »

Surtout, lier immigration et identité nationale , comme le fait le ministre-candidat de l’UMP, accrédite l’idée que l’arrivée d’étrangers sur notre sol constitue une menace pour l’identité française. C’est exactement ce que prétend et martèle Jean-Marie Le Pen, depuis près de vingt ans. De quoi justifier le message brutal d’une affiche (prémonitoire?) réalisée par le 9e collectif des sans-papiers et Act-Up.

Aux élections législatives de 1993, le programme du FN ( 300 mesures pour la renaissance de la France ) s’ouvrait sur une première partie consacrée à « l’identité » avec un premier chapitre qui portait sur « l’immigration » . « La menace la plus grave qui pèse aujourd’hui sur l’avenir de la France est le mondialisme. Car, en voulant détruire les nations, mélanger les peuples et les cultures, supprimer les frontières et les différences, c’est à notre identité même que s’en prennent les tenants de cette nouvelle utopie » , pouvait-on y lire.

Nicolas Sarkozy avait déjà repris au parti d’extrême droite l’un de ses slogans: «La France, aimez-là ou quittez-là!» Son nouvel emprunt au discours lepéniste n’a rien d’un dérapage. Vendredi, le président de l’UMP a d’ailleurs défendu sa proposition devant les journalistes venus assister à son meeting. Avant de lancer à ses partisans: « L’Histoire de France, la fierté d’être français, l’identité française sont au cœur de la campagne électorale. »

Réprobation pas tout à fait unanime

Dans le monde politique, seul le FN a approuvé la proposition de Nicolas Sarkozy, tout en ironisant sur cette «petite opération de racolage» sur ses terres. Cette réprobation générale, à gauche et parmi les associations antiracistes et de défense des droits de l’homme, en serait presque rassurante, n’étaient quelques bémols.

«Une frontière a été franchie» , estime ainsi François Bayrou pourtant partisan lui aussi de créer un ministère de l’immigration (la preuve sur son site), sans lier ce dernier à une quelconque protection de l’identité française.

Côté médias, la proposition de Nicolas Sarkozy serait passée inaperçue sans les protestations politiques et associatives. Au cours de l’émission de France 2, Arlette Chabot n’a pas cru utile de la souligner. Dans le Monde du lendemain, c’est tout juste si le rubricard la mentionne. Ailleurs, les réactions des éditorialistes se comptent sur les doigts d’une main. Et samedi matin, à écouter Ivan Levaï, faire sa revue de presse sur François Bayrou sans évoquer le projet sarkozyste sinon pour citer, sans explication, le titre en forme de jeu de mot de Libération , «Sarkozy monte au Front» , l’auditeur pouvait méditer un vieux slogan de France-inter: écouter la différence, qu’il disait.

Cette différence, la voici: les mêmes qui, naguère, se voulaient à la pointe du combat contre Le Pen et ses idées, ne trouvent rien à redire quand Sarkozy les leurs ressert dans un nouvel emballage. Absence d’esprit critique ou opportunisme? Peu importe, l’explication quand seuls comptent les faits, accablants: le ministre de l’Intérieur n’est pas le seul à tomber le masque.

Temps de lecture : 4 minutes
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