Faut pas confondre privé et privé

Michel Soudais  • 30 mai 2007
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Pour la direction de Paris-Match , il y a vie privée et vie privée. Quand la nouvelle Garde des sceaux, Rachida Dati, s’oppose à «la publication de photos de jeunesse dont la reproduction avait pourtant été autorisée par son père lors d’un rendez-vous avec (des) reporters» de l’hebdomadaire, elle cède, invoquant le respect de la vie privée, suscitant une nouvelle protestation de Société des Journalistes de l’hebdomadaire, «soutenue par celles du Journal du Dimanche, ELLE, Première, Télé7Jours» . L’argument «vie privée» avait déjà été invoqué il y a quelques jours pour refuser un article révélant que Cécilia Sarkozy n’avait pas voté, le 6 mai.

Pourtant, la semaine dernière, l’hebdomadaire d’Arnaud Lagardère se vantait, photo en Une à l’appui, de publier «les premières photos privées» d’une «famille d’aujourd’hui» à l’Elysée et au Fort de Brégançon. Il y a donc du privé qui n’est pas privé. La différence entre les deux? Le privé privé , qui se reconnaît au fait que l’autorisation de le dévoiler n’a pas été donnée, peut être de l’information (je dis bien « peut être »). Le privé non-privé est à tout coup autorisé; c’est de la communication .

Dans le cas des photos de la famille Sarkozy recomposée dans son nouveau château, l’aspect com’ du reportage est d’autant moins douteux que c’est à Philippe Warrin qu’avait été confié le soin de réaliser les clichés soi-disant intimes. Son nom ne vous dit rien? Vous auriez déjà oublié? Philippe Warrin, c’est ce photographe de presse spécialisé dans les « people », qui a été choisi pour réaliser le portrait officiel de notre nouveau Président de la République. Autant dire qu’il est à l’Elysée un peu comme chez lui.

Photographe-journaliste à l’agence SIPA, Philippe Warrin avait été choisi il y a trois ans par Cécilia Sarkozy pour réaliser le reportage qu’un magazine préparait sur elle. Il a ensuite accompagné le couple lors de déplacements aux Etats-Unis et au Maroc, poui des images privées pas privées. Et c’est lui qui avait tiré le portrait du candidat de l’UMP qu’on a vu sur toutes affiches de la campagne avec le slogan «Ensemble tout devient possible» . Ce qui ne l’a nullement empêché ensuite de publier, dans Paris-Match , les photos les plus intimes de la soirée électorale du nouvel élu. Des photos bien entendu exclusives, prises au 3e étage du quartier général du candidat, rue d’Enghien, et au Fouquet’s, sur lesquels ont pouvait reconnaître quelques personnages qui auraient sans doute souhaité plus de discrétion, comme Henri Proglio de Veolia.

Ce mélange des genres est choquant. Or il ne choque personne.
Rien en comparaison des remarques acerbes sur l’embauche de à l’Elysée et Matignon de Catherine Pégard et Myriaml Lévy, deux journalistes du Point et du Figaro . Pourtant un photographe de presse, ce que Philippe Warrin prétend être, est un journaliste au même titre qu’une rédactrice-reporter ou une éditorialiste. Et il y a dans les aller-retour entre communication et information de Philippe Warrin matière à jeter la suspicion sur les pratiques de magazines qui nous présentent l’actualité en images qui, elles, sont réputées ne pas mentir.

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