Un pantin aux Affaires étrangères

Michel Soudais  • 20 mai 2007
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Il faut lire la tribune que Bernard Kouchner a donné au quotidien Le Monde (daté du 20-21 mai) pour expliquer pourquoi il avait accepté d’être le ministre des Affaires étrangères de Nicolas Sarkozy.

D’abord parce qu’elle n’est pas trop longue (ça compte) et n’est pas exempte d’humour (involontaire). C’est ainsi que, dès la première ligne l’ancien ministre de la Santé, à qui l’on doit l’inquiétante baisse du nombre de gynécologues, écrit qu’il a «toujours été et demeure un militant» des «conflits sociaux en France» . Drôle aussi l’affirmation de la fidélité à ses convictions. Le 12 avril (c’est pas vieux), Bernard Kouchner s’élevait contre la franchise sur les remboursements de soins préconisée par le candidat UMP, proposition qu’il jugeait «hypocrite» et «très mauvaise» . Le même jour, c’était au cours d’un point de presse tenu au PS, il dénonçait en Nicoals Sarkozy un homme qui «n’éprouve aucune honte à pêcher dans les eaux de l’extrême-droite» . «Quand à la fois on fait un ministère de l’identité française et on parle des caractères acquis et de l’inné génétique, on est là dans un terrain mouvant et une dérive historiquement scandaleuse» , affirmait encore le bon docteur. Aujourd’hui, son patron à Matignon, François Fillon, confirme l’intention d’instaurer une franchise de soin, le ministère scandaleux existe, mais notre Nanard international s’en accomode.

Ensuite parce que c’est la première fois, me semble-t-il, que le quotidien du soir publie ainsi en Une, et en haut de page à droite, l’intégralité d’une tribune. Un emplacement d’ordinaire réservé aux prises de position du directeur du Monde . Il se trouve que celui qui occupe ce poste, Jean-Marie Colombani, entretient des liens personnels d’amitié entre ce dernier avec le French doctor . D’où un traitement de faveur aux airs de copinage.

Enfin, et surtout, parce que le fondateur de Médecins sans frontière y défend une conception apolitique de sa fonction: «La politique extérieure de notre pays n’est ni de droite ni de gauche. Elle défend les intérêts de la France dans un monde qui se réinvente chaque jour.» Admettons que ce soit le cas (Hubert Védrine, qui a une certaine expérience des Affaires étrangères est sur la même longueur d’onde), il n’en reste pas moins que la politique étrangère peut-être atlantiste ou européenne, plus ou moins pro-israélienne, plus ou moins pro-arabe… Elle peut être africaine de plusieurs manières: aider au développement du continent ou soutenir les régimes en place, etc. Quant aux «intérêts de la France», il en existe de nombreuses perceptions tout au long d’une échelle qui va du nationalisme ultra au cosmopolitisme pur [^2].

A n’en pas douter, la conception de la politique étrangère de Kouchner est proche de celle de Nicolas Sarkozy. Et le droit d’ingérence, dont le nouveau ministre s’est prétendu l’inventeur, a toujours été celui du plus fort, en l’occurence les Etats-Unis. Sur la plupart des grands sujets du moment, c’est une autre conception qui anime et que défend Hubert Védrine. Que Nicolas Sarkozy ait songé à lui offrir le Quai d’Orsay, plutôt qu’à Kouchner prouve seulement que l’intention du nouveau président de la République était d’abord politicienne. Il s’agissait d’abord d’embarasser la gauche en débauchant une de ses figures, à l’approche des législatives. Les convictions du futur ministre n’entraient pas en ligne de compte. D’ailleurs, tout est prévu pour qu’elles ne jouent aucun rôle.

En effet, on sait désormais pourquoi Védrine lui a refusé les avances de Nicolas Sarkozy. L’ancien ministre des Affaires étrangères de Lionel Jospin voulait que «le ministère des Affaires étrangères soit fort, doté de moyens suffisants de conception et d’exécution» . Tout le contraire du projet de Nicolas Sarkozy qui a des affaires étrangères une conception ultra personnelle, pardon présidentielle. On ne va pas tarder à s’en rendre compte.

On apprenait samedi par une dépêche d’agence que Bernard Kouchner avait tenu une réunion sur la situation au Darfour, dont il entend faire l’une de ses «priorités» . N’allez pas croire que l’idée est de lui. «Faire entendre la voix de la France pour que le Darfour sorte de la tragédie» constitue «la première mission» que Nicolas Sarkozy souhaite confier à son ministre, pouvait-on lire dans Le Point , paru jeudi dernier, avant même la formation du gouvernement, l’article ayant probablement été écrit lundi ou mardi.
Si la politique extérieure n’est ni de droite, ni de gauche, elle n’est pas non plus de Kouchner.

[^2]: Ce cosmopolitisme a pour figure tutélaire Montesquieu: « Si je savais quelque chose qui me fût utile, et qui fût préjudiciable à ma famille, je le rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose utile à ma famille, et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier. Si je savais quelque chose utile à ma patrie, et qui fût préjudiciable à l’Europe, ou bien qui fût utile à l’Europe, et préjudiciable au genre humain, je le regarderais comme un crime. »

Temps de lecture : 4 minutes
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