« Les femmes sont une chance pour les territoires »

Les politiques de la ville persistent à ignorer le rôle des migrantes dans l’économie solidaire. Selon Madeleine Hersent*, ces démarches collectives dérangent dans une société qui encense la réussite individuelle.

Madeleine Hersent  • 8 novembre 2007 abonné·es

Le Flamboyant » à Creil, « Le Petit Prince » à la Seyne-sur-Mer, « Plein sud » à Rouen, « Cannelle et piment » à Vaulx-en-Velin représentent des expériences réussies de créativité sociale dans des quartiers en dépression sociale où l’opinion publique s’attarde plus sur les difficultés que sur les potentialités. Ces restaurants associatifs permettent d’offrir une alimentation de qualité, de créer de l’emploi et d’ouvrir des espaces interculturels et intergénérationnels.

Ces projets d’économie solidaire, souvent initiés par des associations interculturelles de femmes migrantes, produisent des prestations commerciales de restauration et jouent un rôle important de cohésion sociale et territoriale. Ils favorisent la prise d’autonomie et de responsabilité de personnes marginalisées du circuit socio-économique du fait de leur sexe, de leur origine sociale ou ethnique ou de leur domiciliation. Les femmes retrouvent une place d’acteur économique pour ensuite exercer une citoyenneté pleine et entière. Elles s’appuient sur les savoirs et savoir-faire acquis de l’expérience pour créer des activités génératrices de revenus mais aussi productrices d’un mieux-vivre ensemble dans des territoires trop souvent laissés à l’abandon par les pouvoirs publics.

Illustration - « Les femmes sont une chance pour les territoires »


Sans-papiers en grève de la faim à Poitiers en 2006.
JOCARD/AFP

Ces femmes s’inscrivent dans des dynamiques interculturelles pour dépasser les logiques communautaires. Elles s’organisent collectivement, partagent les responsabilités et les tâches, et concilient vie familiale et vie professionnelle. En créant des lieux ouverts à tous, elles tissent des passerelles entre les quartiers excentrés et les centre-villes ainsi qu’entre pays d’accueil et pays d’origine en montant de véritables projets de codéveloppement. Souvent, les femmes se sont aguerries dans la vie associative. Les démarches collectives compensent les faiblesses et les fragilités individuelles. Cet apprentissage citoyen les motive et les outille pour se lancer dans l’aventure de la création d’activités. Mais passer d’une activité bénévole à une activité rémunérée est une démarche pleine d’embûches dans une société où le travail rémunéré est parfois un rêve inatteignable.

Cette dynamique singulière fait leur force et leur faiblesse : force par la production de plus-value sociale, mais faiblesse en légitimité et en reconnaissance ainsi qu’en moyens adaptés. Malgré des réussites certaines, ces projets restent toujours dans des démarches expérimentales et s’apparentent à une course d’obstacles permanente pour les promoteurs. Le modèle du créateur individuel d’entreprise reste la norme. La création d’activités par des chômeurs ne va pas de soi dans une société où les inégalités sociales s’accroissent. Ces personnes souvent évincées des circuits de l’emploi ne disposent ni du capital social ni des réseaux relationnels et financiers nécessaires à la réussite de leur action.

La démarche d’économie solidaire gêne car elle est souvent collective, axée sur le développement humain et le partage des richesses, dans une société qui encense la réussite individuelle et l’accroissement du capital financier. Ces projets sont confrontés aux contradictions entre discours et réalités sociales. Alors que la prise de responsabilité et l’autonomie sont valorisées socialement, toute démarche originale est freinée.

L’entrepreneuriat collectif est pourtant le moyen le plus sûr de réussir. Il permet de mutualiser les compétences et donne des forces pour se lancer dans des démarches longues et difficiles. La professionnalisation des acteurs, appuyée sur un accompagnement formatif de longue durée, est une nécessité pour acquérir l’ensemble des compétences nécessaires à la gestion humaine, administrative et financière d’une activité d’économie solidaire ainsi qu’à la maîtrise technique des métiers. La durée est nécessaire pour les apprentissages, les maturations, les évolutions. Or, les dispositifs actuels ne soutiennent que les démarches individuelles et ne considèrent les personnes qu’en fonction de leur statut face à l’emploi. Les structures d’appui interviennent de manière ponctuelle, en fonction de contraintes administratives peu sensibles aux nécessités réelles de qualification de ces nouveaux acteurs.

Malgré le discours républicain sur l’égalité des chances, la persistance de comportements discriminatoires sexistes ou racistes freine la capacité d’action de ceux qui construisent au quotidien une autre économie. Véritables chances pour les territoires où ils s’implantent, ces projets transversaux répondent à la complexité d’une société en mutation. Ils créent des richesses sociales et économiques en participant à la démocratisation de l’économie. Il est temps de reconnaître les potentialités des initiatives solidaires de femmes et de mettre en place des dispositifs adaptés pour soutenir ces projets innovants, garants de plus de justice sociale et expérimentant « en vrai » un autre projet de société.

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