Le coup de force des «socialouistes»

Michel Soudais  • 9 janvier 2008
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Les socialistes commencent mal l’année. À en croire Jean-Marc Ayrault, le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, qui en a fait l’annonce lors de ses vœux à la presse, mardi en fin de matinée, les députés socialistes boycotteront la réunion du Parlement en Congrès à Versailles, le 4 février, pour la révision de la Constitution préalable à la ratification du traité européen. Une position de Ponce Pilate confirmée quelques heures plus tard par le camarade François Hollande, qui atteste l’inclination des principaux responsables socialistes pour la position couchée face à Nicolas Sarkozy. Le hic, car il y en a un, c’est que cette position n’a pas été discutée au sein du groupe. Pire, elle a été annoncée en violation des statuts du PS.

Désertion et trahison

«Nous n’irons pas à Versailles , a lancé M. Ayrault. Un référendum a rejeté le traité précédent. Un nouveau texte a été préparé. Il me paraît impossible que nous participions à la révision préalable de la Constitution, dès lors que nous défendons la voie référendaire plutôt que la voie parlementaire. C’est une question de cohérence.» Surprenante cohérence puisque la principale conséquence de ce boycott serait d’assurer à Nicolas Sarkozy une ratification parlementaire du traité de Lisbonne prétendument «simplifié». Rappelons en effet (la pédagogie est un art de la répétition) que cette ratification nécessite en préalable de modifier la Constitution française. La décision du Conseil constitutionnel est, sur ce point, incontournable. La procédure de révision prévue à l’article 89 de notre Constitution nécessite ordinairement un référendum. «Toutefois , stipule cet article, le projet de révision n’est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès.» On sait que c’est la procédure retenue par Nicolas Sarkozy. «Dans ce cas , précise encore l’article 89, le projet de révision n’est approuvé que s’il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés.» En clair, cela signifie que tout parlementaire qui ne participe pas au vote, quelle que soit la cause de cette non-participation (abstention, boycott, maladie, vessie à soulager…), vote «oui» de fait. Ce que Jean-Marc Ayrault n’ignore pas.

Le président du groupe socialiste au Palais Bourbon, tout comme François Hollande, ne sont pas non plus sans savoir que Nicolas Sarkozy n’est pas assuré d’obtenir la majorité des 3/5 requise. Si tous les parlementaires de gauche votaient contre la révision constitutionnelle, il suffirait que 8 élus de la droite ou du centre fassent de même (ce qui n’est pas improbable) pour que cette révision soit repoussée. Le chef de l’Etat n’aurait alors pas d’autre choix pour faire adopter le nouveau traité que de recourir à un référendum. Voilà pourquoi, tout refus de vote des parlementaires de gauche est une désertion doublée d’une trahison au regard des engagements pris par eux-mêmes et leur parti, lors des élections du printemps dernier, de consulter le peuple en cas de nouveau traité.

Pour faire illusion, Jean-Marc Ayrault et François Hollande ont fait savoir que le groupe socialiste votera, le 15 janvier, la proposition de loi du PCF demandant à ce qu’un référendum soit systématiquement organisé pour la ratification d’un traité contenant des dispositions similaires à celles d’un traité rejeté par référendum. Ils devraient aussi, comme ils l’ont fait savoir lors de la réunion du groupe socialiste, mardi matin, défendre lors de l’examen du projet de loi de ratification du traité de Lisbonne à l’Assemblée, le 6 février, une motion demandant que ce traité soit ratifié par référendum en application de l’article 11 de la Constitution [^2]. La manœuvre est grossière et revient à prendre les citoyens pour des cons. Car ni la proposition de loi communiste ni cette motion n’ont la moindre chance de contrarier Nicolas Sarkozy. En revanche, cette possibilité existe, le 4 février, si 2/5 du Congrès vote contre la révision de la Constitution. Et aucun parlementaire ne peut prétendre être pour un référendum et se défiler lors du seul vote qui ait une chance de l’obtenir.

Tout cela est bien connu des milieux militants et explique la vigueur des réactions du PCF, de la LCR, du Mars, des Alternatifs et des Collectifs unitaires anti-libéraux (téléchargeables à la fin de ce post) suite aux déclarations de MM. Ayrault et Hollande. Ce qui n’est pas de bon augure pour l’entente de la gauche à deux mois des municipales.

Sans discussion ni respect des statuts du PS

Plusieurs élus socialistes ont aussi fait part de leur étonnement et de leur hostilité à cette annonce de boycott du Congrès de Versailles. C’est le cas du député du Nord Marc Dolez, le premier à réagir dans un communiqué, du sénateur Jean-Luc Mélenchon, qui rappelle sur son blog que «107 parlementaires de gauche, dont 61 socialistes, ont déjà signé l’appel du Comité National pour un Référendum et se sont donc engagés à voter contre la révision constitutionnelle le 4 février» . Non signataires, Claude Bartolone et Henri Emmanuelli, qui a adressé une lettre à tous les parlementaires socialistes (téléchargeable au bas de ce post), indiquaient ce matin dans Le Parisien qu’ils iraient au Congrès pour voter «non». Tous attestent que «le groupe des députés socialistes n’a rien décidé du tout» et n’a «pas été consulté sur la question d’un éventuel boycott» .

De bonne source, seule une moitié des députés assistaient à la réunion du groupe mardi matin quand Jean-Marc Ayrault a fait part de ses intentions. Au cours de la discussion qui a suivi Marc Dolez, Laurent Fabius et Alain Néri, député du Puy-de-Dôme, ont fait valoir que la seule position en faveur d’un référendum était un vote négatif au Congrès. Seule Elisabeth Guigou (photo) est intervenue pour dire son hostilité à une consultation populaire. Présent également, Pierre Moscovici, qui nous avait fait part d’une position identique, lors d’un entretien sur Radio Orient, le 19 octobre, n’a rien dit. Sans doute pour mieux briguer la tête du PS. François Hollande a appuyé le plan de non-bataille d’Ayrault. Et la discussion s’est conclue par un vote qui ne portait que sur l’attitude à adopter lors de la discussion de la proposition de loi communiste.

La question n’a pas non plus été débattue, mardi soir, en bureau national, comme s’en est étonné Benoît Hamon. Interpellé par Jean-Luc Mélenchon et Marie-Noëlle Lienemann, lors de cette réunion, sur les déclarations de Jean-Marc Ayrault, François Hollande n’a pas daigné répondre. Toutefois, ce matin, sur France inter, le Premier secrétaire a défendu l’idée d’un boycott du Congrès de Versailles précisant que c’était là sa «position personnelle» .

Drôle de parti! Un président de groupe annonce à la presse ce que sera la position de son groupe sans en avoir débattu avec ses élus. Le chef du parti fait part de sa position personnelle dans les médias sans l’avoir présentée dans les instances qui auraient dû en avoir la primeur. Cette manière de procédé témoigne autant du délitement du PS que de la volonté des ouistes qui le dirigent de procéder à un coup de force contraire aux statuts du parti.

Un «conseil national exceptionnel» s’impose

Depuis la création du parti socialiste en 1905, ce sont les instances légitimes du parti qui décident de l’attitude des parlementaires sur les sujets d’importance. En un peu plus de cent ans, cette prééminence du parti n’a été contestée que dans les années 30 par Marcel Déat. Les statuts actuels du PS sont conformes à cette tradition centenaire.
– L’article 7.10 stipule: «Le conseil national et les groupes parlementaires délibèrent et votent en commun chaque fois que la demande en est formulée, soit par le conseil national, soit par les groupes parlementaires»
– L’article 7.11, qui traite des «modalités de délibération commune du conseil national des groupes parlementaires» , précise: «La décision prise est immédiatement applicable si elle est votée à la majorité simple des deux collèges. Si ces conditions ne sont pas remplies, le conseil national se saisit de la question et prend la décision à la majorité absolue de ses membres.» Le conseil national prime donc les groupes parlementaires.
– L’article 7.13 définit ainsi les «compétences du bureau national» élu par le conseil national en son sein: «Le conseil national peut déléguer au bureau national le pouvoir de décider des dossiers qu’il n’aurait pu traiter en séance plénière. Le bureau national est saisi de toutes les questions urgentes.» Il précise toutefois dix sujets qui «ne peuvent être délégués au bureau national» , notamment «les décisions définitives relatives à l’attitude des groupes parlementaires ou du parti dans les affaires résultant de la mise en application des articles 11, 35 et 89 de la Constitution» . L’attitude des parlementaires au Congrès de Versailles, convoqués en application de l’article 89 de la Constitution relève de ce cadre.

La députée européenne Marie-Noëlle Lienemann est donc parfaitement fondée à demander la convocation d’un «conseil national exceptionnel» pour fixer la position des parlementaires socialistes (voir son communiqué). Il est étonnant qu’elle soit pour l’instant la seule à le faire. Car, comme elle le note, «ne pas faire délibérer les instances compétentes au PS, ne pas agir pour imposer un référendum constitueraient un double manquement à la démocratie interne d’une part, dans le pays d’autre part» .

C’est à ce piètre résultat que conduirait immanquablement le coup de force des «socialouistes», s’il réussissait.

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[^2]: Extrait de cet article: «Le Président de la République, (…) sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal Officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi (…) tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.»

Temps de lecture : 9 minutes
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