Les cons osent tout…

Michel Soudais  • 15 janvier 2008
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Ils ont osé ! Plutôt que de déserter la réunion du Parlement en Congrès à Versailles, comme le suggéraient Jean-Marc Ayrault et François Hollande, les députés et sénateurs socialistes ont décidé de s’y rendre pour… s’abstenir. Ce qui revient au même puisque seuls comptent les suffrages exprimés dans ce vote sur la révision de la Constitution destiné à permettre la ratification du traité modificatif européen.

Ce soir il me revient en souvenir la Une de Politis au lendemain du congrès de Rennes. Je sais, c’est pas tout jeune ! Mais la semaine prochaine votre petit hebdo souffle ses vingt bougies. Durant tout un week-end, les socialistes s’étaient déchirés dans une ambiance délétère sans parvenir à faire émerger une majorité. « Bravo les mecs ! » , avait-on titré ironiquement sur une photo de la tribune. Aujourd’hui, les parlementaires socialistes voulaient éviter de se diviser. D’où cette abstention attrape gogos qui, j’en fait le pari, ne satisfera personne. Une position tellement nulle que je ne peux me retenir de songer à cette célèbre réplique de Lino Ventura dans Les Tontons flingueurs : « Les cons, ça ose tout ! C’est même à ça, qu’on les reconnaît. »

Il fallait en effet oser faire croire qu’en s’abstenant à Versailles les élus socialistes défendraient leur attachement à un référendum sur le traité de Lisbonne. Tout le monde a compris, même les journalistes qui interviewent Jean-Marc Ayrault (c’est dire !), qu’en exprimant un non-vote les élus socialistes laissaient les mains libres à Nicolas Sarkozy et renonçaient à leur engagement de campagne en faveur d’un référendum. Une opposition qui renonce à s’opposer quand elle le peut [^2] et s’oppose quand le combat est vain [^3] n’est guère différente de celles que l’on rencontre dans les républiques bananières. Elle maintient les apparences d’une démocratie. Juste les apparences.

Il faut oser dénoncer à longueur de journée l’hyperprésidentialisation d’un Sarkozy qui s’arroge les pleins pouvoirs pour imposer ses vues et ne pas utiliser ceux que possèdent les parlementaires pour lui imposer de consulter le peuple sur un enjeu aussi décisif que l’avenir de notre continent. Au moins sait-on que la démocratie participative, très en vogue depuis l’offensive royaliste, n’a d’utilité que pour décider de la couleur des trottoirs et de l’emplacement des espaces fleuris.

Il est osé de prétendre, comme l’a fait Ségolène Royal en visite ce midi à Strasbourg, que les parlementaires doivent adopter le « traité simplifié » [ce qui est la formulation de l’office de propagande de l’Elysée] « parce qu’il faut que les socialistes rejoignent leur famille socialiste au plan européen » . Faut-il pour mieux les rejoindre repousser l’âge du départ à la retraite à 66 ans suivant l’exemple du socialiste portugais José Socrates ? Inciter les plus de 65 ans à continuer de travailler comme dans l’Espagne de Zapatero ? S’inspirer de Gerhard Schröder qui a fixé à 67 ans et 45 annuités le droit à la retraite ? Ou singer Tony Blair qui l’a relevé à 68 ans ? On craint ce que dira Mme Royal quand, dans quelques mois, le gouvernement rouvrira ce dossier.

Mais nos hiérarques aussi « socialistes » que José-Manuel Barroso était « social-démocrate » [^4] oseraient sans doute moins s’ils n’y étaient encouragés par une presse très osez-osez. Peut-être avez-vous été surpris comme moi en découvrant Libération ce matin. Voilà un quotidien, organe officieux de la social-démocratie européenne bien-pensante, qui a systématiquement évité d’expliquer à ses lecteurs le contenu du nouveau traité au point de ne l’évoquer qu’en parlant du « mini traité » ou du « traité simplifié » ; un quotidien qui ouvre grandes ses colonnes aux partisans du traité et assigne ses opposants (Mélenchon et Chouard, pour ne citer qu’eux) à résidence dans le ghetto de ses pages web ; un quotidien qui a beaucoup ignoré les initiatives en faveur d’un référendum ; un quotidien dont le correspondant à Bruxelles, Jean Quatremer expliquait il y a un mois, sur son blog, Pourquoi il ne faut en aucun cas faire de référendum sur le traité de Lisbonne. Eh bien, ce matin, Libé versait des larmes de crocodile sur « le débat interdit » et s’inquiétait du «malaise» engendré par l’absence de référendum. Le jour où les amis de Laurent Joffrin l’enterrait… Là, je dis chapeau l’artiste M. Joffrin!

Quand Lino nous disait que les cons osent tout…

[^2]: Sarkozy n’était pas assuré d’avoir la majorité des 3/5 sans cette désertion.

[^3]: Ce que fera Ayrault en déposant une motion de procédure en faveur d’un référendum lors du débat sur la ratification, le 6 février.

[^4]: Pour ceux qui l’ignorent c’est le nom de son parti portugais, classé… à droite sur l’échiquier politique portugais.

Temps de lecture : 4 minutes
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