Du Grenelle de l’environnement au Grenelle de la santé

Face aux franchises médicales et à la hausse des maladies chroniques, André Cicolella* réclame la tenue d’un Grenelle de la santé pour sortir de la logique de soins et préserver la solidarité.

André Cicolella  • 28 février 2008 abonné·es

Les franchises médicales sont entrées en vigueur le 1er janvier. Et ce, malgré l’hostilité d’une très large majorité de la population et le scepticisme général sur la portée de cette mesure, comme le démontre la valse hésitation du gouvernement dans la façon de vendre cette réforme. Le candidat Sarkozy avait dit que les franchises seraient calculées en fonction de l’ampleur du déficit, mais le gouvernement a dû changer d’argumentaire pour se situer sur le registre compassionnel, en mettant en avant l’alibi du plan Alzheimer. Cela ne résout aucun problème de fond. Le fil rouge de cette décision est ailleurs : il est dans le discours récurrent sur la nécessaire responsabilisation des assurés pour, en fait, préparer l’opinion à une réforme destinée à mettre fin au principe de solidarité de l’assurance maladie en vue de passer aux mécanismes individualisés de l’assurance privée.

Illustration - Du Grenelle de l’environnement au Grenelle de la santé


Les maladies chroniques représentaient 77 % des dépenses nouvelles en 2004. HUGUEN/AFP

Les Pays-Bas avaient depuis 1942 un système très proche du système français et du système allemand, c’est-à-dire un système organisé via des caisses d’assurance-maladie, un système dit « bismarckien » en référence au système mis en place en Allemagne à la fin du XIXe siècle pour faire pièce à la montée du mouvement socialiste. Depuis le 1er janvier 2006, ces caisses ont été transformées en assurances privées et mises en concurrence. La cotisation est devenue fixe comme pour une assurance automobile. En France, la campagne de MMA (Mutuelles du Mans Assurance), fausse mutuelle et vraie compagnie d’assurance, prépare les esprits depuis plus d’un an à cette logique du malus bonus avec son contrat « santé double effet », qui offre une ristourne à l’assuré si celui-ci n’a pas dépensé un certain plafond. Le président de MMA ne s’en cachait pas en déclarant dans le Monde du 17 octobre 2006~: « Il s’agit d’un essai… Nous sommes au début d’un remaniement de l’offre d’assurance en matière de santé », pas plus que celui de la Fédération française des sociétés d’assurance : « Cette démarche consistant à avoir une cotisation en partie remboursable s’assimile à une démutualisation partielle. » À ces déclarations faisait écho le commentaire de Jean-Michel Dubernard, alors député UMP et aujourd’hui nouveau membre de la Haute Autorité de Santé: « Les initiatives du type MMA sont intimement liées à l’avenir de l’assurance-maladie. » On ne peut être plus clair. C’est le scénario hollandais qui se prépare pour octobre 2008 à l’occasion du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), dans le droit fil de la politique de l’OMC, en considérant les services de santé comme un service marchand.

Face à cette offensive annoncée, le pire serait l’attentisme, la résignation ou la simple défense du statu quo . La privatisation doit être combattue, car elle ne peut signifier que le rationnement des soins, mais elle doit être combattue aussi et surtout parce qu’elle n’est en aucune façon une réponse aux problèmes de santé d’aujourd’hui. Ce ne sont pas les assurances qui ont fait baisser le taux des accidents de la route, mais bien une action volontariste des pouvoirs publics, doublée d’une prise de conscience des automobilistes. Il en est de même en matière de santé.

La véritable cause de l’augmentation des dépenses de santé est due à la hausse régulière des maladies chroniques, qui représentent 77 % des dépenses nouvelles en 2004. En 2006, sur les 132 milliards d’euros de dépenses du régime général, 80 milliards sont dus aux affections de longue durée (ALD), soit 60 % engendrés par les 12 % de population en ALD. Le taux d’ALD a progressé de 73 % en dix ans, principalement à cause du cancer (+ 84 %) et du diabète (+ 83 %). La cause de ces épidémies modernes se trouve dans notre environnement (pollutions et malbouffe pour l’essentiel). Cette croissance n’a rien à voir avec l’irresponsabilité des assurés. On ne choisit pas de développer un cancer pour bénéficier des ALD !

Le Grenelle de l’Environnement a eu le grand mérite de montrer l’intérêt de réunir autour d’une même table toutes les parties prenantes. Cela a permis un vaste débat dans l’opinion. Certes, les résultats sont loin d’être totalement satisfaisants, mais ils existent, comme le montre l’affaire des OGM. Si ce processus de concertation a été jugé légitime pour discuter des mesures à prendre pour faire face à la crise environnementale, il n’y a aucune raison de ne pas le considérer comme tout aussi légitime pour discuter des mesures à prendre face à la crise du système de santé et d’assurance-maladie. Le lien entre les deux Grenelle est d’ailleurs évident, car la crise du système de santé est pour une large part la conséquence de la crise écologique, et les propositions du Grenelle de l’environnement en matière de santé environnementale nécessitent d’être rediscutées avec le monde de la santé. L’exigence est aussi démocratique. Une réforme de cette importance ne peut être préparée aujourd’hui dans le secret des cabinets ministériels pour être dévoilée au dernier moment à l’occasion du PLFSS d’octobre prochain.

Le mouvement social (associations de malades et de victimes, syndicats de salariés, ONG écologistes professionnels), appuyé par les collectivités locales, a la capacité d’obtenir ce Grenelle de la santé s’il décide de se mobiliser par-delà les différences. Aujourd’hui, les Français expriment sondage après sondage un très fort attachement au système de solidarité. Un Grenelle de la santé doit être l’occasion de répondre à cette attente. En 1945, malgré des clivages politiques forts, la création de la Sécurité sociale avait fait l’objet d’un large consensus. En 2008, la crise est telle qu’il faut une réforme de même ampleur sur la base du consensus existant sur la nécessité de passer d’une logique de soins à une logique de santé. Ouvrons le débat via le Grenelle de la santé !

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