Méconnu, le Parlement européen veut des votants (2/2)

Michel Soudais  • 8 mars 2008
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Le Parlement européen a un problème avec le peuple. Ou plus exactement les peuples des Etats associés dans l’Union européenne. À chaque élection européenne, l’abstention s’accroît. La cote d’alerte a d’ores et déjà été franchie à deux reprises. En 1999, la participation dépassait à peine les 50 %. « Pour la première fois dans l’histoire de la construction européenne, la participation des citoyens est devenue une question clé », estimait alors Enrique Baron Crespo, ex-Président du Parlement européen. En 2004, la désaffection s’accroit. Sur 350.873.420 électeurs inscrits, 201.401.343, soit 57,4 % ont choisi de ne pas s’exprimer. Avec aussi peu de votants la légitimité du Parlement lui-même est affectée.

C’est pour tenter d’enrayer cette menace que la présidence du Parlement européen, Hans-Gert Pöttering, s’est lancé dès maintenant dans la préparation des élections européennes de juin 2009. L’essentiel de la conférence organisée mercredi (voir mon précédent post), qui réunissaient de nombreux universitaires, était d’ailleurs consacrée à cette abstention croissante. Mais si les moyens (même les plus fous) d’y remédier ont été très discutés, les intervenants n’ont guère été loquaces sur les causes profondes de cette abstention.

Premier constat du Pr Richard Sinnott (University College Dubin) : il existe deux types d’abstention auxquelles « il faut s’attaquer avec des réponses différentes » .
L’abstention de circonstance : « Je travaille. » « Il pleuvait trop. » « Je suis trop âgé. » « Je n’ai trouvé personne pour garder les enfants. »
L’abstention volontaire : « Ça m’emmerde. » « Participer ne va rien changer. » « Je ne comprends pas le système. » « Il n’y a pas de différence entre les partis. »

«Vote flexible» et «mobilisation» de la communication

« Faciliter l’accès au vote » et « permettre aux gens de voter plus facilement » , suggère l’universitaire pour répondre à l’asbtention de circonstance. Ont été ainsi envisagés, par plusieurs intervenants, le recours au vote par courrier, au vote électronique ou au vote par internet (très discuté). Colin Rallings, de l’université de Plymouth, propose carrément le concept de « vote flexible » pour un système où l’électeur aurait « le choix entre plusieurs modalités » . Partisan d’ « emmener l’urne chez le citoyen plutôt que d’amener l’électeur à l’urne » (sic), il imagine un « vote par GSM » qui permettrait de « voter de façon mobile devant n’importe quel bureau de vote » , et voudrait aussi revoir « le design (re-sic) du bulletin de vote » . Dernière solution évoquée par ce Géotrouvetout de la consultation populaire : coupler le scrutin européen avec une élection locale et la possibilité de voter par courrier afin, assure-t-il, d’augmenter la participation de 50 %.

**Une stratégie de « mobilisation » afin de *« pousser les gens à voter » serait, selon le Pr Sinnott, la réponse à l’abstention volontaire. Elémentaire ! Mais comment s’y prendre ? « Il faut que les gens sachent ce que fait le Parlement européen si on veut que les choses changent » , prescrit-il, en suggérant implicitement de mobiliser les médias. Plus directe, Susan Banducci, de l’université d’Exeter, estime que la presse « doit » prendre le relais des partis en reflétant leur pensée. « La visibilité dans la presse permet une plus large participation » , assure-t-elle. Mais comment forcer la presse à s’intéresser aux activités d’une institution qu’elle a délaissée jusque-là ? Mystère. La présidence du Parlement envisagerait-elle d’acheter des articles ? Les intervenants ont soigneusement évité la question. Mais le Pr Sinnott, qui concluait les débats de cette journée, ne doute pas de l’utilité d’une communication, « indépendante des partis », qui expliquerait « pourquoi le Parlement européen est mieux placé que les parlements nationaux pour s’occuper des problèmes transnationaux » .

Questions sans réponse

Cet optimisme volontariste est néanmoins fondé sur un présupposé contestable , formulé par les organisateurs, qui veut que « la connaissance augmente l’opinion positive » . Un autre scenario est pourtant plus probable. Une majorité d’électeurs (43 % selon l’Eurobaromètre spécial détaillé dans mon précédent post) croient naïvement que le Parlement européen est de toutes les institutions européennes celle qui « a aujourd’hui le plus grand pouvoir de décision » ; et pourtant ils boudent majoritairement les élections européennes. Comment croire qu’une fois instruits des réelles marges de manœuvre de cette institution, ils se déplaceront en masse ?

Et que dire du cas particulier des électeurs français qui se sont déplacés en nombre lors du référendum sur le traité constitutionnel, le 29 mai 2005 (la participation électorale y était de près de 20 points supérieure à celle des élections européennes de 2004) ? Depuis, avec la scandaleuse adoption par voie parlementaire du traité de Lisbonne, ils ont éprouvé combien leur vote avait été piétiné. Croit-on qu’il suffira d’une communication adaptée pour les convaincre, en 2009, que voter pour désigner leurs députés européens peut servir à quelque chose ?

À l’énoncé de ces objections , le président de séance, un député du groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe, rapporteur sur la réforme de la procédure électorale,
m’a poliment remercié pour ces « bonnes questions » . J’attends toujours les réponses.

« Il serait intéressant de savoir pourquoi les gens ne veulent pas aller voter aux européennes », s’était néanmoins demandé auparavant un des intervenants, le Pr Hans Rattinger de l’université de Bamberg. Une question effectivement judicieuse, qu’aucun intervenant n’a abordée sous son angle politique. Comment se fait-il par exemple que l’augmentation des soi-disant « pouvoirs » du parlement s’accompagne de la désaffection des électeurs ? Est-ce que, par hasard, ces électeurs, et singulièrement ceux des douze pays qui élisent des députés européens depuis 1979, n’auraient pas éprouvé dans les faits une réalité différente ? Est-il inimaginable que ces électeurs se soient rendu compte au fil des années que leurs élus n’avaient pas LE pouvoir dans l’UE ?

Car les « pouvoirs supplémentaires » du Parlement européen , qu’on nous fait régulièrement miroiter, sont certes des droits nouveaux accordés aux élus mais ils ne changent pas foncièrement la distribution du pouvoir dans l’UE. Le parlement restant la dernière roue du carrosse dirigé par la Commission, sous le contrôle prépondérant du Conseil européen, la Banque centrale européenne et la Cour de justice tirant chacune l’attelage où bon leur semble et en toute indépendance.

Tant qu’il ne sera pas mis fin à cette situation qui maintient les représentants des citoyens dans une situation d’infériorité institutionnelle, aucun artifice technique (système de vote, communication) ne pourra venir à bout de l’abstention [^2]. Le Parlement européen continuera à perdre ses électeurs. Et l’Union européenne sera bien loin d’être « la première expérience réussie de démocratie supranationale d’Etats et de citoyens » que nous vantaient deux députés européens de bords opposés, le socialiste espagnol Enrique Baron Crespo et le démocrate-chrétien allemand Elmar Brok, dans une tribune du Monde , le 22 juin 2007.

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PS : Je ne peux terminer ce post sans vous conseiller la lecture du blog de Jean-Michel Quatremer d’hier sur le montant des salaires versés aux dirigeants de la BCE. Au passage, vous apprécierez sans doute comme moi cet extrait des comptes annuels 2007 de la BCE, duquel le correspondant de Libération à Bruxelles tire ses informations : « Les prestations qu’ils ont perçues au titre des cotisations de la BCE aux régimes d’assurance maladie et accidents se sont élevées au total à 579 842 euros (557 421 en 2006), portant le montant total des émoluments à 2 207 366 euros (2 153 013 en 2006). » Vous avez bien lu, la BCE considère que ce qu’elle verse pour la couverture sociale de ses dirigeants fait partie de leurs émoluments . Ce qui est vrai pour un banquier central l’est pour n’importe quel salarié. Et toute baisse de cotisation patronale versée aux régimes sociaux (les soi-disant « charges sociales ») équivaut donc à une baisse de salaire . On le savait, mais là c’est la BCE qui le dit !

[^2]: Et la prétention de l’ancien chef du Parti populaire européen, Hans-Gert Pöttering, actuel président du Parlement européen, de préparer les élections européennes «sur une véritable base scientifique» assez risible.

Temps de lecture : 7 minutes
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