Sous les mots, l’idéologie

Hélène Franco  • 22 janvier 2009 abonné·es

Du rapport sur la réforme de la justice des mineurs remis par M. Varinard à la garde des Sceaux en décembre dernier, les commentateurs n’ont retenu qu’une seule mesure : la possibilité d’emprisonner des enfants de 12 ans. Au-delà de cette proposition caricaturale, sans doute vouée à ne pas être traduite en loi, c’est la logique générale des 70 préconisations qu’il convient de décrypter. Au commencement, était le Verbe. Les mots employés trahissent, mieux que telle ou telle disposition, une remise en cause radicale des spécificités de la justice pénale applicable aux enfants. La commission Varinard propose ni plus ni moins de bannir le terme « d’enfant » en matière de justice. Le « juge des enfants » deviendrait un « juge des mineurs », le « tribunal pour enfants » un « tribunal pour mineurs », etc. Ce n’est sans doute que par crainte du ridicule que la commission s’abstient de proposer le changement d’appellation de la Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par la France en 1990.

La commission propose également une suppression pure et simple de l’exposé des motifs de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. Autant proposer de jeter par-dessus bord, sous couvert de modernité, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ! Les inconscients de 1945, membres du Conseil national de la Résistance, écrivaient notamment : « La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut contribuer à en faire des êtres sains », précisant : « La République française se donne pour objectif de protéger efficacement tous les mineurs et plus particulièrement les mineurs délinquants. » Tout enfant vu comme une richesse ? De la sollicitude à l’égard de ceux qui commettent des délits ? Quel manque de modernité ! Et si c’était au contraire le caractère révolutionnaire de ce texte, porteur d’un projet émancipateur, affirmant la responsabilité de la société adulte à l’égard de chacun de ses enfants, qui était désormais insupportable ?
La commission Varinard propose d’en finir une bonne fois pour toutes avec l’ordonnance du 2 février 1945, au profit d’une unique préoccupation : le maintien de l’ordre public. Rien d’étonnant à ce que ses propositions plus « techniques » se résument à une orientation avant tout répressive : détention provisoire possible en matière délictuelle à partir de 14 ans (contre 16 ans aujourd’hui), tribunal correctionnel pour les 16-18 ans, suppression des mesures éducatives au profit de « sanctions éducatives » dont le non-respect pourrait entraîner jusqu’à une incarcération…

À travers ces propositions, où la situation sociale, familiale, scolaire de l’enfant n’est plus au centre des préoccupations, où l’aspect dissuasif de la punition est glorifié (quand on connaît l’inanité de ce concept pour un mineur), c’est une rupture de civilisation qui se profile, un bouleversement du regard porté par les adultes sur leurs enfants… ou plutôt sur les enfants des autres, désormais perçus comme une classe dangereuse, une menace à juguler. Que les tenants de la machine à donner des claques méditent cette phrase de Bernanos : « Le monde va être jugé par les enfants. » Prenons garde à ce que nos enfants nous accordent l’indulgence que certains leur refusent aujourd’hui.

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