Welcome to « Welcome »

Agnès Tricoire, avocate, membre du bureau national de la Ligue des droits de l’homme, juge que le film de Philippe Lioret éclaire un combat politique trop peu relayé par les médias.

Agnès Tricoire  • 19 mars 2009 abonné·es

Depuis des années, des associations se battent aux côtés des immigrés clandestins, victimes d’une politique de quotas inique et coûteuse qui se décline en drames humains, parfois jusqu’à la mort, en déchirement des familles, en privation de liberté dans des centres de rétention qui ne garantissent pas le respect de la dignité des personnes, et en inégalité des droits pour les salariés qui paient des cotisations sociales sans pouvoir en bénéficier… Cette longue liste de sévères critiques que l’on peut faire, dans une société de droit, à la politique de l’immigration ne serait pas complète sans le parachèvement symbolique du projet. Baptiser le ministère de l’Immigration ministère de l’Identité nationale revient à inscrire dans le marbre une xénophobie d’État. Comme toute politique fondée sur la terreur et le rejet de l’autre, elle s’applique, sous couvert de réprimer les passeurs et tous ceux qui exploitent cette misère humaine, aussi, et délibérément, à pourchasser ceux qui soignent, donnent des conseils juridiques, servent des repas, rechargent les téléphones portables. Le gouvernement actuel a réinventé le délit de solidarité, rayant du même coup le mot fraternité de notre devise républicaine.

Dans une période de crise où toutes les libertés sont en grave régression, où tout problème social se règle à coup de surveillance et de répression, où nos édiles incitent à la délation et encouragent à la haine (de la « racaille »), chaque voix qui se lève pour protester, discuter, contester est immédiatement l’objet de poursuites pénales. Quand des passagers assistent à un retour musclé et muselé au pays, ils doivent se taire. Sinon, ils sont interpellés, gardés à vue, puis mis en examen. Quand des militants apportent une aide humanitaire aux migrants qu’ils voient passer « tout crottés » devant leur porte, ils se retrouvent en garde à vue dans les locaux de la police aux frontières.

Mais aurait-on tant parlé, dans les médias, de Monique Pouille, bénévole de l’association Terre d’errance, qui vient de subir cette expérience, si Welcome, de Philippe Lioret, n’avait pas salutairement provoqué un débat sur la pénalisation des ­personnes qui viennent en aide juridique ou humanitaire aux migrants ?

Le sens tactique du ministre de l’Identité nationale, Éric Besson, confine au sublime quand il s’en prend au réalisateur du film, exigeant de lui des « excuses ». Et pourquoi ne pas le mettre en examen, pour avoir osé le parallèle entre la situation actuelle et 1943, comme c’est arrivé à l’avocate Cynthia Galli, objet d’une plainte disciplinaire et d’une enquête pénale à la requête du préfet de Lyon pour avoir osé un parallèle du même type ? Il y a des cibles plus aisées que d’autres, et mon professeur de droit pénal, le grand Jacques Léauté, m’avait appris, il y a longtemps, la théorie de la sélection de la victime : toujours s’en prendre au plus faible est la marque de fabrique du délinquant.

Ce gouvernement ne veut pas être comparé à celui de Vichy ? On le comprend. Mais alors, qu’il n’utilise pas des méthodes qui légitiment ce parallèle, le populisme et le soupçon – qui relève de la diffamation caractérisée –, la répression de la contestation, la transformation de l’Europe en forteresse, la constitution et le croisement de fichiers, les caméras de surveillance, l’ADN, la biométrie, l’obligation de dénoncer les sans-papiers faite aux travailleurs sociaux, les arrestations à l’hôpital, à l’école…

Vincent Lindon, interprète du magnifique personnage de Welcome , qui, d’indifférent, se mue en citoyen acteur, s’est fait le porte-parole d’un combat politique que nous, associatifs, avions bien du mal à voir relayé par les médias et par l’opposition. Protestant contre cette loi qui menace indistinctement de cinq ans de prison les passeurs et les associations ou les simples citoyens, il a proposé, sur France 3, de la modifier en précisant que ne devait être poursuivie que « l’aide à but lucratif ».

Éric Besson, qui prétend généralement que la loi ne s’applique qu’aux passeurs, s’est dévoilé en répondant que « parfois, par conviction et pas simplement par intérêt lucratif personnel, on peut se mettre hors la loi en entrant dans une filière, et c’est ça qu’il faut réprimer ». Comment le ministre peut-il à la fois récuser le parallèle avec Vichy et faire de tels amalgames ? La société civile est dans son rôle quand elle fait contrepoids à la violence d’État, et elle doit être protégée. Ce délit d’opinion et de solidarité doit être supprimé.

Welcome nous fait ce formidable cadeau de montrer au grand public, au travers d’une histoire sensible, l’inhumanité qui s’installe immanquablement lorsque les droits sont bafoués. Ce film fait de la politique, au sens noble du mot, puisqu’il incite les parlementaires de l’opposition à ouvrir les yeux et proposer de changer la loi.
Devant la vérité du film, l’État, qui tente de casser la solidarité, de briser l’élan et le courage, ne peut que mentir, pour masquer qu’il viole les droits, maltraite, harcèle et traque. Alors, il devient schizophrène et paranoïaque.

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