De quels droits ?/Piteuse Hadopi

Christine Tréguier  • 23 avril 2009 abonné·es

Jeudi 9 avril, une dépêche AFP tombait en plein journal de 13 heures : la loi Internet et Création, dite aussi loi Hadopi, vient d’être rejetée par 21 députés contre 15. La nouvelle a fait l’effet d’une petite bombe, tant le projet cher à Nicolas Sarkozy semblait plié d’avance. Puis on a appris les détails de ce coup de théâtre, la pantalonnade des députés socialistes planqués derrière les colonnes, évoquée par Denis Sieffert dans son édito de la semaine dernière. Une dérisoire et éphémère victoire, où les opposants n’ont fait que prendre l’UMP au jeu de sa propre absence.

Au vu du déroulé de la lecture à l’Assemblée nationale de ce projet très controversé, on a presque envie de dire « ce qui devait arriver arriva ». Le texte final, quasiment identique au projet initial, fait bien peu de cas du travail parlementaire. Inutiles, les quarante heures d’âpres débats, où députés socialistes, communistes, Verts, du Nouveau Centre et même de l’UMP se sont échinés à démontrer l’iniquité de la sanction privant les internautes, au terme de deux avertissements, de leur accès à Internet. Leurs objections sur l’absence de preuves, le déni des droits de la défense, les difficultés techniques, l’inégalité de traitement – la sanction ne pouvant s’appliquer qu’aux abonnés bénéficiant d’accès dégroupés – ont été méthodiquement balayés. Tout comme ont été écartés leurs arguments sur le coût et l’obsolescence d’une solution qui n’empêcherait que les moins émérites de télécharger illégalement, les autres continuant à le faire par des voies plus anonymes. La ministre et ses rapporteurs sont restés inflexibles. À chaque amendement risquant de déstabiliser l’existence et les pouvoirs de l’Hadopi, on a vu débarquer des renforts UMP qui ne restaient sur les bancs que le temps du vote. Seuls quelques amendements adoptés à l’unanimité – comme celui exonérant les privés d’accès du paiement de l’abonnement, ou celui amnistiant les pirates repérés avant l’adoption de la loi – sont passés. Ils ont été biffés de manière expéditive par la Commission mixte paritaire qui s’est réunie quelques jours plus tard. Même l’adoption finale du texte, qui aurait dû donner lieu à un vote solennel, s’est faite à la sauvette. Et la quinzaine de parlementaires encore présents dans l’hémicycle peu avant minuit n’a eu que le choix d’obtempérer.

Pour Jean Dionis du Séjour (Nouveau Centre, opposé à la coupure d’accès), « c’est bien une gestion maladroite et sourde des débats législatifs qui a abouti à ce durcissement de dernière minute ». Même dans les rangs de l’UMP, on semble dire que trop, c’est trop. Lionel Tardy, qui a voté contre le texte en première lecture, estime que « le fait qu’il n’y ait pas eu de vote solennel, que la Commission mixte ait changé des propositions adoptées à l’Assemblée, que des députés étaient plus favorables à l’amende qu’à la suspension, tout cela a contribué à cette faible mobilisation » . Le projet de loi s’est même trouvé un détracteur de choix en la personne de Christian Vanneste, rapporteur de la précédente loi visant à lutter contre le piratage, la DADVSI. Une « loi triplement inutile et stupide » , dont il explique qu’elle est « dépassée, contournée, ridiculisée » par la pratique, qu’elle aura « des conséquences juridiques inacceptables » ou s’avérera anticonstitutionnelle, et va engendrer une « nouvelle dépense improductive ».

Le texte, tel que voté en première lecture, doit repasser devant l’Assemblée dès le 29 avril. Avec la possibilité de nouveaux amendements et de nouveaux débats, dont on peut supposer qu’ils n’empêcheront pas son adoption. À moins d’un vent de fronde dans l’hémicycle…

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