« Vengeance » de Johnnie To ; « Perpetuum mobile », de Nicolas Pereda

Christophe Kantcheff  • 18 mai 2009
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« Il est très bien ce film , mais il ne correspond pas à notre cible ». Le propos est d’un de mes confrères qui, à côté de moi, fait la queue avant une séance tout en ayant une conversation téléphonique (c’est fou ce que les gens parlent fort quand ils causent dans leur portable). Une phrase symptomatique de la manière dont le marketing et ses « concepts » se sont substitués à tout autre vocabulaire, donc à tout autre réflexion sur les publics des journaux et des médias. Segmenter, cloisonner, plutôt qu’ouvrir et entrecroiser. Et puis, la vocation du cinéma est tellement antinomique avec le découpage de ses spectateurs en rondelles sociologico-consuméristes ! Encore une fois, si le festival de Cannes a au moins un mérite, c’est de permettre de passer d’un genre à l’autre, d’une œuvre fragile à un film de majors, de la Vie intermédiaire (voir ici) à Up (voir ), et de maintenir ainsi le spectre cinéphilique le plus large possible.

Après le choc provoqué par le formidable film de Jacques Audiard, la compétition peine à retrouver son souffle. C’était au tour de Johnnie To et de Vengeance d’entrer aujourd’hui dans la danse. Exposition médiatique maximale avec la présence au générique du contribuable suisse Hallyday Johnny. Rien à ajouter sur la force de vente people du personnage. Il n’y avait d’ailleurs rien à en dire, c’est pourquoi articles et reportages se sont multipliés. Mais Johnny Hallyday, le comédien ?

Illustration - « Vengeance » de Johnnie To ; « Perpetuum mobile », de Nicolas Pereda

Dans le Johnnie To, Hallyday ressemble à Charles Bronson : même totale absence d’expression, même rigueur dans la teinture des cheveux. Les yeux sont bleus vitreux, le regard ne laisse rien passer. Bref, l’ascèse parfaite, non pas bressonienne, mais bronsonienne. Le personnage de Johnny Hallyday est aussi de la même trempe que celui du Justicier dans le ville (grand succès de l’acteur américain) : obsédé par la vengeance. Celle, en l’occurrence, du meurtre de la famille de sa fille (mari et enfants), installée à Hong Kong.

À dire vrai, je n’ai pas détesté le film. Peu familier du cinéma de Johnnie To, spécialiste des films de genre, je ne sais s’il est un bon cru. Vengeance est un polar classique, beau plastiquement, et dont la mise en scène est très soignée. Si le personnage joué par notre chanteur exporté ne m’a pas beaucoup touché, en revanche, le trio de mercenaires qui l’accompagne – un gros, un jeune, un chef entre deux âges – est attachant, parce qu’à la fois distancié (puisqu’agissant sur contrats) mais finalement d’une fidélité non feinte.

Conférence de presse du Blac (le collectif national de l’action culturelle cinématographique et audiovisuelle), pour annoncer la publication des actes des premiers états généraux de l’action culturelle cinématographique et audiovisuelle, qui se sont tenus les 8 et 9 janvier derniers, au Centquatre à Paris (voir Politis ici). Ce document, accessible en ligne , constitue selon les animateurs du Blac une « base » pour une réflexion plus approfondie sur le sujet, dont quelques groupes de travail, depuis ces états généraux, ont pris en charge certains aspects (le rapport Auclaire et l’éducation à l’image, les publics, le bénévolat, la constitution d’une charte…). Décidément, le mouvement mis en branle par le Blac, par sa ténacité et son efficacité, est sans aucun doute l’une des meilleures nouvelles que le milieu culturel ait donné depuis bien longtemps.

Retour aux films. L’Acid propose à nouveau une œuvre remarquable : Perpetuum mobile de Nicolas Pereda, un jeune Mexicain de 27 ans qui vit à Toronto. C’est son troisième long métrage. Une révélation.

Perpetuum mobile est une fiction dont les personnages semblent sortis tout droit d’un documentaire tant ils sont impressionnants de vérité. L’acteur qui interprète Gabino (Gabino Rodriguez), le personnage principal, jeune déménageur-glandeur qui habite dans un chiche appartement avec sa mère (Teresa Sanchez), joue dans tous les films de Nicolas Pereda. Ils étaient amis avant que le réalisateur lui fasse faire du cinéma. C’est un peu son Gérard Meylan (de Guédiguian) à lui.

Illustration - « Vengeance » de Johnnie To ; « Perpetuum mobile », de Nicolas Pereda

La chronique sociale que dépeint Perpetuum mobile fuit le misérabilisme, qui écraserait tout sous le poids du destin. Même si l’horizon de ses personnages est dominé par la solitude, le manque de manifestation d’amour, et la pauvreté ordinaire, chaque séquence vibre d’une intensité de vie souterraine, clandestine, indirecte. Un exemple : l’ouverture du film. Une très vieille femme, qui se déplace péniblement avec un déambulateur dans son appartement, se met à chanter d’une voix qui saisit par sa légèreté.

Nicolas Pereda montre ses personnages dans des moments de vacance et d’ennui, mais ne les englue pas dans le glauque ou la plainte. Gabino, sa mère ou son acolyte de déménagements ne désespèrent pas, ils attendent : un boulot qui peut se présenter, la visite toujours remise du grand frère… Une attente comme une métaphore, celle de l’espoir non-dit de ce qui pourrait être un événement, mais dénuée d’illusions pour autant. Le cinéaste a le don de filmer ce que les silences entre les personnages portent de sens.

Pourquoi Perpetuum mobile donne-t-il à ce point la sensation de s’inscrire, sans en avoir l’air, dans une modernité cinématographique ? Sans doute parce qu’héritier non ostensible, mais pourtant bien réel, des formes du passé qui ont apporté un renouvellement (le néo-réalisme, par exemple, n’est pas si loin), il ne les érige en credo ni ne les réduit à des procédés kitch. Sans doute ce film résonne-t-il aussi juste parce qu’il est le fruit d’un cinéaste dont la mémoire (même inconsciente) n’entrave pas l’instinct.

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