« Vincere » de Marco Bellocchio ; « Antichrist », de Lars Von Trier

Christophe Kantcheff  • 20 mai 2009
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Journée traversée par des mouvements sociaux à Cannes, c’est inhabituel. Outre les travailleurs sans-papiers qui ont organisé un rassemblement pour exiger leur régularisation, une coupure de courant, provoquée semble-t-il par des salariés d’EDF, a privé d’électricité une bonne partie de la ville pendant quelques heures. Alors que je voulais faire des achats dans une épicerie, on me dit que la caisse électrique ne marche pas, « vous savez, c’est à cause de ces gens très mal payés d’EDF qui n’ont pas du tout de privilèges… » . Ah, cette douce France de la côte d’Azur…

Illustration - « Vincere » de Marco Bellocchio ; « Antichrist », de Lars Von Trier

Le dernier film de Marco Bellocchio, Vincere , qui concourt dans l’officielle, met en scène Mussolini (rien à voir avec ce qui précède, bien sûr…) et Ida Dalser, qu’il rencontra en 1907 alors qu’il était encore un révolutionnaire socialiste, épousa, puis, une fois devenu le Duce, dont il ne voulut plus entendre parler, elle et le fils qu’il lui avait fait, parce qu’il était déjà marié. Ida Dalser, passionnément éprise de Mussolini, qui l’aida à ses débuts notamment en lui confiant tout l’argent qu’elle possédait, n’a jamais admis d’être ainsi effacée de la vie de l’homme qu’elle n’a cessé d’aimer. Elle fut très tôt enfermée en asile psychiatrique où, plusieurs années plus tard, elle mourut, ainsi que son fils.

Sans être un film sur les horreurs du fascisme, Vincere raconte des destins individuels qui sont inextricablement liés à cette Histoire, et plus précisément encore au devenir du chef suprême de l’Italie fasciste pendant 20 ans. Le contexte historique, rendu par de nombreux documents d’archives qui participent aussi à l’esthétique du film, est en réalité plus qu’un contexte : l’époque entre dans les vies, les contraint, les brise.

Vincere réunit de façon évidente les deux fils de la cinématographie de Marco Bellocchio : la politique et la psychiatrie. Plus encore, les deux ici se confondent. Une fois Mussolini dictateur, Ida ne voit plus de lui que ce que révèlent les images d’actualité diffusées dans les salles de cinéma : l’homme lui paraît changé, grandi, monumental. On ne sait pas, quand on le voit prononcer ses discours avec ses fameux mouvements de menton, si ce n’est pas lui qui développe une maladie mentale. Pendant qu’Ida, dans les asiles où elle est emprisonnée et où la caméra saisit des plans crépusculaires de grande beauté, lutte sans trêve pour tenter de faire surgir la vérité sur l’identité du père de son fils.

Sombre, funèbre, et pour tout dire, somptueux, Vincere est un film sur le petit grain de sable – cette femme résistante malgré tout –, qui aurait pu faire perdre la face au Duce, et ainsi détraquer le système d’oppression en place dont aucune force politique ou sociale n’avait pu empêché l’avènement. Vincere a incontestablement une dimension shakespearienne.

Illustration - « Vincere » de Marco Bellocchio ; « Antichrist », de Lars Von Trier

Est-ce qu’ Antichrist , le film de Lars von Trier en compétition, est véritablement le scandale de Cannes ? Je ne l’ai vu qu’aujourd’hui, un peu après tout le monde, et donc avec en tête le bruit de la polémique. Ce film mérite mieux (et bien plus que ces quelques lignes). Même si la lecture la plus évidente que l’on peut en faire est pour le moins désagréable, notamment sur le Mal qui serait généré par les femmes, et si certaines images sanguinolantes peuvent effectivement être insupportables, Antichrist est un film habité, inspiré, monstrueux. Ce n’est pas une œuvre anodine, et c’est bien cela le plus gênant.

Enfin, vu ce matin, dans la compétition, le dernier Almodovar, Étreintes brisées , qui sort en salle ce mercredi, mais ce que j’en ai écrit est cette fois-ci destiné au journal, qui sera en kiosque jeudi, et non à ce blog. Il faut bien que je réserve un peu d’exclusif à cette bonne vieille version de Politis en papier : on y tient encore, tout de même…

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