Comment l’assurance chômage est lessivée par le privé

Thierry Brun  • 21 juillet 2009
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La volonté politique d’attendre la relance économique sans agir sur le système d’assurance chômage a de lourdes conséquences, assumées par l’ultralibéralisme ambiant. Le gouvernement en profite, en plein mois de juillet, pour annoncer la délégation massive des chômeurs au privé. Le coût sera élevé pour les caisses de l’assurance chômage gérées par Pôle Emploi, mais les profits seront importants. Les opérateurs privés se partageront un budget de 100 millions d’euros cette année et qui pourrait atteindre les 200 millions les années suivantes.

Dès la rentrée, Pôle emploi va donc se lancer dans une vaste opération qui consistera à confier l’accompagnement de 320 000 chômeurs à des opérateurs privés de placement (http://www.lesechos.fr/info/france/02074163691-reclassement-chomage-pole-emploi-fait-massivement-appel-aux-operateurs-prives.htm). CHristian Charpy, directeur général de Pôle emploi avait déjà vendu la mèche le 10 juillet : « Tout ce qu’on peut sous-traiter, on va le faire » (…). « Par exemple, 100 % des accompagnements de demandeurs d’emploi en difficulté se feront à l’extérieur (sauf pour le dispositif « Cap vers l’entreprise ») ».

Pour remettre en perspective cette décision qui vise à créer un secteur concurrentiel du placement de chômeurs avec l’aide des opérateurs privés, il faut revenir sur la situation financière catastrophique de Pôle emploi.

Nicolas Sarkozy et le gouvernement ont joué un rôle important dans la dégradation des comptes de Pôle emploi, notamment en sous-estimant les effets de la crise. Le Medef porte également sa part de responsabilité dans l’aggravation du trou de l’assurance chômage. L’organisation patronale n’a cessé de pousser l’organisme dans l’ornière en réclamant des baisses de cotisations patronales lors des négociations sur la nouvelle convention d’assurance chômage qui se sont achevées fin 2008. Le nouvel accord conclu et signé en février par la seule CFDT aux côtés des trois organisations patronales (Medef, CGPME, UPA), valide ainsi le principe de baisses de cotisations patronales. Très remontée, la CGT réagit dans un communiqué : « Au moment où le patronat, dans la convention d’assurance chômage qui vient d’être négociée prévoit une baisse de la cotisation chômage pour 2009, la CGT réaffirme que l’urgence est d’accroître les ressources de l’Unedic pour assurer une indemnisation pérenne pour tous les demandeurs d’emploi » .

Creuser le déficit

En pleine crise économique, l’accord prévoit que « les taux des contributions des employeurs et des salariés au financement du régime d’assurance chômage seront réduits à effet du 1er janvier et du 1er juillet de chaque année si le « résultat d’exploitation semestriel » du semestre précédent est excédentaire d’au moins 500 millions d’euros. Cette disposition pourra produire ses effets à compter du 1er juillet 2009 » . EN clair, il entérine l’impossibilité de dégager de nouvelles recettes en augmentant les cotisations patronales.

Pour trouver de nouvelles recettes, le conseil d’administration de l’assurance chômage s’engage dans la souscription d’un nouvel emprunt (jusqu’à 12 milliards d’euros) afin de « restructurer sa dette » , mais aussi la creuser… « C’est une habitude » , s’est empressé de justifier Laurent Wauquiez, secrétaire d’Etat à l’Emploi, alors que l’organisme est en train de plonger. En effet, après un exercice 2008 encore positif (+ 4,6 milliards d’euros), l’assurance chômage devrait accuser un retour de bâton spectaculaire, si l’on en croît les chiffres récents fournis par l’Unedic. En mai, la nouvelle prévision indique que la situation financière de l’assurance chômage affichera un déficit de 6,3 milliards d’euros au 31 décembre 2009 et de 10,9 milliards d’euros au 31 décembre 2010…

Une détérioration financière idéale pour passer à la vitesse supérieure dans la privatisation du service public de l’emploi. En juin, « conforté par une inflation soi-disant faible ou nulle et prétextant les soi-disant améliorations apportées par la dernière convention Unedic en matière d’indemnisation, le secrétaire d’Etat à l’Emploi Laurent Wauquiez avait déclaré sur RMC que “ce n’est pas le moment” ni d’augmenter les cotisations chômage, ni de revaloriser les allocations. Les syndicats, qui demandaient 2,5 % à 3 % alors que le patronat n’avançait que 0,5 %, ont eu — difficilement — raison de ses réticences sur ce second point. Quant au taux de cotisation, il restera inchangé à 4 % du salaire brut pour les employeurs et 2,4 % pour les 16 millions de salariés affiliés jusqu’à la prochaine renégociation Unedic, fin 2010 » , souligne Actuchomage.org (http://www.actuchomage.org/Social-economie-et-politique/revalorisation-des-allocations-chomage-1.html).

Une politique de privatisation

Ce choix du statu quo en pleine crise est assumé dès le mois de décembre 2008 par Nicolas Sarkozy, lorsqu’il a présenté son plan de relance. Sur les 26 milliards d’euros annoncés le 4 décembre 2008 par Nicolas Sarkozy, 5 à 7 (soit 0,25 à 0, 35 % du PIB) sont destinés à soutenir l’activité en 2009. Ce qui est très faible. Rien n’est prévu pour Pôle emploi.

Pourtant, pendant la même période, les statistiques communiquées aux membres du conseil d’administration de Pôle emploi montre que le service public est en pleine surchauffe. « Avec un effectif d’environ 19 000 conseillers pour 3 843 100 demandeurs d’emploi inscrits au mois de mai, un conseiller suit en moyenne 200 demandeurs d’emploi ! Pour répondre au travail qui est demandé, et notamment la réception mensuelle de tous les demandeurs d’emploi par un conseiller qui leur est spécifiquement affecté, et pour arriver aux chiffres promis par Mme Lagarde, il faudrait donc tripler cet effectif ! Au lieu de quoi, on nous propose de recruter 1 840 conseillers, dont 800 en CDD ! C’est environ 5% des besoins ! » , constate le SNU-Pôle emploi.

Selon Pôle emploi, actuellement un conseiller suit en moyenne plus de 90 demandeurs d’emploi , soit 50 % de plus que l’objectif fixé par la convention tripartite signée par Pôle emploi avec l’Etat et l’Unedic. Ce chiffre recouvre des situations très diverses. En Franche-Comté, particulièrement touchée par la crise, Pôle emploi traite en moyenne 121 dossiers par conseiller. Parmi les régions les plus affectées figurent le Poitou-Charentes (113), le Nord-Pas-de-Calais (112) et le Languedoc-Roussillon (108). Ce qui fait dire en février, entre autres, à l’Union syndicale Solidaires : « Le gouvernement se contente d’accompagner cette situation par des mesurettes et attend des miracles d’un plan de relance qui ne relancera rien, car il combine des cadeaux sans contrepartie au patronat et une erreur de diagnostic sur la nature de la crise » .

Le secteur privé, en ordre de marche, n’attendait que cela. « La délégation au privé du suivi des chômeurs est un cadeaux financier préparé de longue date, en plus de noyer les vrais chiffres du chômage et de la précarité » , observe AC ! dans un communiqué, le 21 juillet, intitulé : « Nous ne sommes pas de la chair à actionnaires ! » . Car, pour faire face à l’afflux de chômeurs, Pôle emploi va progressivement confier, à partir de la rentrée, l’accompagnement de 320 000 chômeurs à des opérateurs privés de placement. L’appel d’offres a été lancé fin mars et la direction et les partenaires sociaux devront déterminer les opérateurs retenus parmi la quinzaine de candidats (BPI, Altédia, Ingeus, Adecco, etc.).

L’opération s’inscrit dans le cadre du « plan d’urgence » pour la rentrée que le secrétaire d’Etat à l’Emploi , Laurent Wauquiez, et le directeur général de Pôle emploi, Christian Charpy, ont présenté officiellement le 21 juillet. « Prévoyant l’essor du marché, certains organismes avaient commencé à monter dès 2006 des services ou filiales entièrement dédiées à cette activité. C’est le cas par exemple d’Adecco ou de Randstat, qui ont pu affiner leurs approches en accompagnant ces dernières années des bénéficiaires du RMI pour le compte des conseils régionaux » , explique Les Echos du 21 juillet (http://www.lesechos.fr/journal20090721/lec1_france/02074313990-les-cabinets-de-conseil-et-d-interim-s-arrachent-le-marche.htm).

Le marché est en effet juteux, constate aussi le quotidien économique : « Lors des premières expérimentations, les opérateurs privés touchaient environ 3 500 euros par chômeur reclassé » . Comme le signalent les syndicats de Pôle emploi, un placement coûte de 7 à 10 fois plus cher qu’avec le service public. « Nous avons aussi maints témoignages que ce sont les dossiers des demandeurs le « plus proche de l’emploi » qui sont confiés au privé , souligne AC !. Ces sociétés, dont la finalité est, par essence, de faire des bénéfices (comme celle à capitaux Australien déjà connu), n’aideront pas les chômeurs (formation, VAE, Stage, aide au suivi) mais font et feront tout pour radier des listes » .

Le plan Wauquiez résoudra-t-il le problème de l’emploi avec des opérateurs privés ? La réponse semble inappropriée : le nombre d’offres d’emploi a globalement baissé de 25,4 % en un an, indique le SNU-Pôle emploi. Le nombre d’offres d’emploi de plus de 6 mois a baissé de 27,2 % quand celles pour des emplois occasionnels (moins d’un mois) ne baissaient que de 17 %.

Deux poids deux mesures

Face à la récession qui s’installe, les entreprises licencient à tour de bras pour maintenir leur taux de profit et continuer à verser des dividendes juteux à leurs actionnaires, constatent les syndicats de salariés. Ainsi les entreprises du CAC 40 ont versés 54 milliards d’euros à leurs actionnaires en 2008. A cela, il faut ajouter que le plan de relance sarkozyste a accordé des milliards d’euros aux banques, des exonérations de plus en plus importantes aux entreprises sans contrepartie sur l’emploi et les salaires.
Le marché a donc toutes les faveurs présidentielles.

Car, à titre de comparaison, être chômeur pendant cette période de crise historique ne signifie pas être mécaniquement indemnisé. Une partie, surtout des jeunes et des femmes, ne justifient pas des références de travail suffisantes pour bénéficier d’une indemnisation et nombre de ces personnes sont aussi en fin de droits. En juin 2008, 47,6 % des inscrits à l’ANPE étaient indemnisés par l’assurance chômage et 11,6 % par l’Etat (Allocation spécifique de solidarité, versée sous condition de ressources du ménage), selon des données Unedic. Pour les autres, soit quatre chômeurs sur dix (40,6 %), il restait le RMI (remplacé par le RSA) ou… rien du tout.

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