Abdelaziz Lagardère Mangera Ses Nouilles Sans Beurre

Sébastien Fontenelle  • 14 novembre 2009
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Adoncques: «nos» Versaillai(se)s de régime ont défiscalisé, comme prévu, les indemnités journalières des accidenté(e)s du travail.

Et d’appeler ça, évidemment, une mesure «courageuse» .

Et de grouiner qu’il s’agit de corriger une «injustice» .

Et cela n’est pas faux – de leur point de vue.

Imaginons qu’Arnaud Lagardère ait un accident du travail.

Imaginons, par exemple, qu’il se nique un tendon en signant la cession de ses parts d’EADS (après avoir lu dans les entrailles d’un busard qu’elles allaient se dévaluer) – et qu’un médecin compatissant lui fasse un arrêt de travail de, mettons, quinze jours.

Arnaud Lagardère possède l’une des 100 plus grosses fortunes de France: 314 millions d’euros.

(Ou, si tu préfères: 2.056.700.000 de francs.)

De sorte que les indemnités journalières que nous lui verserons durant son arrêt, bien que plafonnées à 60 % de son plein salaire (1.894.326 euros en 2007), ne grèveront qu’assez peu son budget.

C’est ce qui est bien, quand tu disposes d’une économie de 314 millions d’euros: tu peux très libéralement continuer à mettre du beurre dans tes nouilles même pendant les quinze jours où tu ne touches que 60 % de ton salaire mensuel.

Bien.

Imaginons maintenant qu’Abdelaziz Lagardère, ouvrier du bâtiment chez un bétonneur proche des Versaillai(se)s de régime qui prétendent régner sur nos vies – imaginons, disais-je, qu’Abdelaziz Lagardère, chutant sottement d’une échelle, se nique itou quelque partie, et qu’un médecin, de même, l’arrête pour quinze jours.

Lui aussi va toucher, au mieux, 60% de son (misérable) salaire, mais lui, à la (notable) différence d’Arnaud Lagardère, n’a pas (du tout) 314 millions d’euros d’économies – mais bien plutôt la somme, totalement ridicule, de 314 centimes d’euros, qui nous font, si j’ai bien compté, 3,14 euros.

(∏ euros, quoi.)

Dès lors, affûté(e) comme tu es, tu l’auras compris: Abdelaziz risque fort de freiner pendant son arrêt sa consommation de beurre.

Parce que bon: si tu gagnes 800 euros par mois, tu sens plus gravement passer la retenue de 40% qu’on t’applique pendant quinze jours à l’émolument que si tu gagnes 1.894.326 euros par an.

En somme: Arnaud et Abdelaziz, pour être Lagardère l’un et l’autre, ne sont pas complètement tégaux, devant l’accident du travail.

C’est pour ça que leurs indemnités journalières sont défiscalisées.

Pour l’un – Arnaud -, ça ne fait absolument aucune différence: il a de toute façon des conseillers fiscaux dont le boulot est de lui alléger l’impôt.

Mais pour l’autre – Abdelaziz -, cette défiscalisation est en principe destinée à compenser un peu de son renoncement de quinze jours aux nouilles beurrées.

(Je dis «en principe», parce que bien sûr Abdelaziz en chie grave, quand sa fiche de paie lui arrive amputée de presque un quart de son salaire, et n’a que foutre, alors, de la promesse qu’il économisera l’année suivante ∏ euros d’impôt.)

Quand ils abolissent ce qu’ils nomment, enflés d’obscénité, les «passe-droits» des accidenté(e)s du travail, «nos» Versaillai(se)s de régime fomentent par conséquent, sous le prétexte particulièrement dégueulasse (mais tellement dans leur manière) de réparer une «injustice» , un nouveau creusement des inégalités entre leurs gra(sse)s et pansu(e)s commanditaires et la besogneuse plèbe dont ils ont de (très) longue date programmé le harassement permanent.

Naturellement, ils présentent ça, aussi – en orwelliens de stricte obédience -, comme une opération de salubrité publique dont la mise en oeuvre rapporterait, expliquent-ils, 150 millions d’euros à la communauté: un centième, donc, du coût, par exemple, de l’énorme paquet fiscal qu’ils ont amoureusement confectionné en 2007 pour la possédance.

Non moins naturellement, si vraiment ces tristes ☠☠☠☠☠☠s avaient le moindre souci de nous gratifier collectivement d’un petit capital, ils pourraient assez facilement récupérer les milliards qu’ils ne cessent, depuis deux ans, de ventiler aux poches de leurs opulent(e)s ami(e)s.

Mais bien sûr, ils n’ont, en réalité, rien à branler du bien public: leur unique ambition, quotidiennement vérifiée, reste de prendre aux pauvres, pour gaver les riches.

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