Forum social à Porto Alegre: l’impression que les altermondialistes se cherchent et oublient l’écologie

Claude-Marie Vadrot  • 31 janvier 2010
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Porto Alegre, le 30 janvier

Le Forum social mondial de Porto Alegre vient de se terminer et il est difficile de dire s’il a été un succès ou s’il n’a été, dans un désert médiatique sans précédent, qu’une sorte de répétition bavarde de ce qui se dit ici depuis des années. Difficile de dire aussi si cet altermondialisme a souffert d’être trop pillé et copié ou pour avoir trop négligé les questions environnementales. Sauf à Belem l’année dernière, l’écologie entre difficilement dans le schéma de réflexion de ceux qui, comme Francisco Whiteker, Bernard Cassen ou Candido Brzybowski ont inventé il y a dix ans de nouvelles formes de réflexions et de contestation sur la lancée de la manifestation réussie de Seattle, en 1999, contre l’Organisation Mondiale du Commerce.

Ce n’est pas la présence de seulement 12 000 personnes qui pose problème mais un défaut de communication et probablement aussi la crise d’identité idéologique au bout de dix ans. Ce Forum de 2010 à Porto Alegre a constamment hésité entre un format mondial et un format régional, au point de semer la confusion chez les militants et les journalistes. Hugo, un participant uruguayen spécialiste de l’environnement, présent dés l’origine, résume brutalement sa vision critique de la situation : « au cours des premières années le Forum Social Mondial était en lui même un événement, une proclamation évidente dont les slogans se déclinaient et s’illustraient naturellement. Que l’on soit d’accord ou non avec nous, il était à peine nécessaire d’expliquer. Le kaléidoscope des expériences, des luttes, des échecs et des réussites suffisait à nous faire comprendre, à nous situer. Le public et les journalistes n’avaient qu’à choisir, qu’à picorer puisque nous étions vraiment et concrètement l’autre monde possible. Aujourd’hui, nous bégayons. A l’exception de Lula pour qui venir ici est un rite, un retour aux sources, les hommes politiques ne nous fréquentent plus puisqu’ils ont fait le plein de nos idées pour les accommoder ou à les dénaturer à leurs façons. En fait, ici, il n’y a plus grand chose à « voler ».

Illustration du bégaiement: vendredi matin, le séminaire de conclusion de la semaine, séance qui devait dégager et présenter les axes de l’avenir s’est transformé en une suite hétéroclite de propositions émanant d’une salle bondée : trois minutes, théoriquement, par personne pour lancer des idées. Mais d’une part, la plupart des intervenants ne « vendaient » que leur histoire ou leur préoccupation et d’autre part, surtout, j’ai alors eu la terrible impression, à quelques exceptions prés, d’avoir entendu les mêmes pétitions de principe au cours des trois premiers forums de Porto Alegre. Avec moins de fraîcheur et en prime des condamnations rituelles du capitalisme qui pour être logiques ne font plus avancer la discussion. Surtout devant un public convaincu. Porto Alègre, pour avoir eu raison avant tout le monde, pour avoir annoncé et décrit la crise, dilue inconsciemment sa « victoire » dans la ritualisation.

La récupération a fonctionné et la mondialisation s’efforce de banaliser la plupart des « révolutions » élaborées au cours des premières années de forum. Les participants de 2010 ne paraissent pas en avoir conscience ou ne veulent pas le savoir. Alors, que contrairement à ce qui se passe dans un mouvement politique, national ou internationale le renouvellement des générations se fait très rapidement. « Mais, dans le fond, explique Rita, une cubaine de quarante ans habituée des forums, la difficulté est peut-être là : notre mouvement n’a pas de mémoire et peu d’archives. Donc nous ne bâtissons pas en hauteur mais en largeur. Nous juxtaposons des idées ou même des réalisations sans capitaliser toutes les expériences, sans les transformer suffisamment en revendications et groupes de pression. Nous ne faisons pas assez de politique. Ce qui explique ton impression de répétition, de déjà vu ou déjà entendu. Voilà notre faiblesse. Nous sommes frappés d’amnésie ».

Les altermondialistes ont toujours éprouvé des difficultés à sortir de la critique de l’économie, de la finance et de la mondialisation des marchés. Ce n’est pas dans leur culture. Face à ce reproche, Chico Whitaker esquive en répondant : « oui, tu as peut-être raison, mais nous n’y pouvons rien car chaque forum, à Porto Alegre ou ailleurs, n’est fait de ce que les mouvements, les groupes et les associations y apportent ; c’est vrai que ce matin, les gens ont peu évoqué l’environnement, mais ça viendra ». Les altermondialistes peinent visiblement depuis des années à mêler social, écologie et économie alors qu’à Copenhague, les écologistes l’ont fait et ont reconnu que la bataille environnementale n’avait plus aucune frontière, devenant ipso facto de nouveaux ou les nouveaux altermondialistes. Un renversement de la société civile, probablement lié aux inquiétudes dues au changement climatique, et sur lequel les animateurs du Forum avouent réfléchir sans trouver de solutions ; même si les débats de Porto Alegre, ont été riches en interventions sur la nature, sur le bien vivre, sur le respect des rythmes naturels. Mais ces discours et expériences émanant prioritairement des peuples indigènes sont difficilement globalisations et risquent d’être peu entendus dans un monde peuplé majoritairement de citadins.

D’autant plus que la question de l’implication du ou des forums dans les politiques des gouvernements n’a une fois de plus pas été résolue. Ce qui n’enlève rien à la qualité des témoignages et des expériences mais en limite les conséquences sur la lecture de la crise et les moyens de contrer la récupération des politiques avec des mots qui font semblant.

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