Le ministre et le prisonnier

Où il est question d’un ministre qui s’emmerde et d’un prisonnier qui se meurt.
Et du rapport entre eux.

Bernard Langlois  • 25 février 2010
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Le bruit court, insistant, que le bon docteur Kouchner s’ennuie au Quai.

Enfin, pas tant qu’il s’ennuie, mais plutôt qu’il ronge son frein, vu qu’on ne lui laisse quasiment aucune initiative, coincé qu’il est entre des conseillers présidentiels omni-interventionnistes et un hyper-président qui n’en fait qu’à sa tête (brouillonne).

On raconte aussi que le chef (branlant) de l’État s’est lassé de son ministre étranger aux Affaires, cette «prise de guerre» dont il était si faraud ; que son côté chien fou et ses grandes envolées lyriques à propos de tout et de rien (sans compter l’irritation que lui cause une cote d’opinion qui reste dans les hauteurs — personne n’a jamais compris pourquoi : Kouch’ plaît aux Français, même s’ils se sont toujours gardés de voter pour lui, ce qui laisse du reste dubitatif sur la valeur des sondages de popularité, mais bon ! —, alors que la sienne ne cesse de s’aplatir comme une crêpe …) ont fini par lui donner des boutons et qu’il ne lui ménage plus sarcasmes et rebuffades publiques.

Au point que le malheureux transfuge (à qui même son pote BHL reproche l’oubli de ses engagements d’autrefois [^2], quand il était encore «à gauche» , enfin, réputé tel), traumatisé par ce désamour du Prince, songerait à démissionner …

L’idée m’est venue de lui fournir une bonne raison.

De celles qui feront dire partout : «Kouchner est tombé à gauche, nous avons retrouvé notre bon docteur d’antan !»

Voici : parmi les choses plutôt bien qu’il a faites, autrefois, dans sa vie, Kouchner, alors ministre de la Santé de Mitterrand, a pondu une loi qui porte son nom ; et qui prévoit, dans un des ses articles, la possibilité d’une suspension de peine pour les détenus en fin de vie, ou « pour les condamnés dont il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention. » [^3]

Or il se trouve que les dispositions de cette loi s’appliquent de façon incontestable à Jean-Marc Rouillan, l’ancien «chef» d’Action Directe, remis en prison sur un prétexte scandaleux [^4], alors qu’il venait à peine d’être mis en liberté conditionnelle après 23 ans de détention, chez qui on a diagnostiqué une maladie rare (Chester-Erdheim), qui engage le pronostic vital et nécessite des soins hors milieu carcéral.

On lui refuse cette liberté, que prévoit la loi.

Ta loi, Bernard, qui est une loi humaine et juste (même si elle est appliquée avec parcimonie, trop !) doit bénéficier à Rouillan, quoi qu’on pense de ses actes passés et déjà rudement payés. Il doit pouvoir finir sa vie hors les murs des Baumettes et soigner sa maladie grave dans de bonnes conditions.

Tu devrais l’exiger, et publiquement, [^5] et avec force, au nom de ce que tu fus et au risque de ce que tu es.

C’est à dire de la perte de ton ministère : mais qu’importe, puisque tu n’en retire que fatigue et mortification, ça se lit sur ta tronche, mon vieux !

C’est pas une idée qu’elle est bonne ?

PS- Et parce que Rouillan est aussi un bon écrivain, qu’il décrit comme personne, avec style et sans pathos la vie carcérale dans ce qu’il nomme « les éliminatoriums de la République » , je vous parlerai dans une prochaine note de son dernier livre : Paul des Epinettes et moi , qui vient de paraître aux éditions Agone (10 euros). Vous pouvez le réclamer de confiance à votre libraire.

[^2]: Chez Demorand, où le disciple de Botul a table ouverte.

[^3]: Article 10 de la loi du 4 mars 2002 (c’est cette loi qui avait permis la libération de Maurice Papon …)

[^4]: Des propos tenus dans la presse ( L’Express ) jugés provocateurs

[^5]: En signant la pétition qui court, Signatures – nom, prénom, qualité — à : sout.ad@orange.fr ; elle associe à cette demande Georges Cipriani, en prison depuis aussi longtemps que Rouillan, qui a bénéficié — hier ! — d’un régime de semi liberté … aussitôt remis en cause par le Parquet !

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