Enquête sur les dessous et les mystères de « l’erreur » de lecture de la vidéosurveillance confondant l’ETA avec des pompiers catalans

Claude-Marie Vadrot  • 20 mars 2010
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En offrant à la France, à l’Espagne et l’Europe entière le plus faux scoop des dix dernières années, en présentant quelques inoffensifs pompiers catalans comme de dangereux terroriste de l’ETA « grâce » à un vidéo diffusée devant des dizaines de millions de téléspectateurs, la police a enfin ridiculisé la soi-disant efficacité de la vidéosurveillance rebaptisée vidéoprotection pour faire oublier par le vocabulaire qu’elle ne sert à rien s’agissant de protection. Elle se borne à protéger les ego des maires, PS ou UMP, et à appuyer les vantardises sécuritaires du Président ; et évidemment celles de ses camarades essayant de ne pas couler (provisoirement ?) comme le Titanic en chantant à tue-tête « Plus prés de toi mon dieu » espérant ainsi figurer dans le nouveau casting gouvernemental que prépare Nicolas Sarkozy tandis que ses affidés chantent aussi « Tout va très bien madame La Marquise ». Pas de bol ou panique : un faux mort et de faux terroristes en deux jours, ça fait beaucoup.

L’affaire des « terroristes » repérés en quelques heures par les géniales caméras de la majorité sécuritaire tombait à point : du pain béni, une image du destin prouvant au bon peuple que, heureusement, nous sommes tous filmés et que nous pouvons continuer de sourire. Ceci étant rappelé, cette séquence n’est pas seulement ridicule, à en croire l’enquête rapidement menée, elle est inquiétante pour plusieurs raisons.

D’abord qui a alerté la police sur cette séquence perdue au milieu de milliers d’images banales d’une grande surface ? Il se trouve simplement que parmi les vigiles de ce Carrefour, il y a, pour des raisons non élucidées, un policier « infiltré » et que c’est lui qui a suggéré le visionnage des bandes du supermarché. Il avait, parait-il, des « soupçons ». Lesquels, nul ne le sait. Et l’histoire de la personne qui (après l’appel à témoins présentée comme un modèle de collaboration opinion-police) aurait alerté la police est une fable inventée après coup.

Ensuite comme ils n’avaient aucun élément sérieux pour repérer qui que ce soit, les policiers ont demandé à utiliser un logiciel de reconnaissance expérimental. Logiciel (élaboré à Sophia-Antipolis, dans le sud de la France) qui permet au moins deux choses. D’abord de « reconnaître » des individus dont les photos et les profils anthropométriques de quelques milliers de suspects figurent dans la base de données. Ce qui a permis d’isoler rapidement les faux suspects simplement parce qu’ils ont à peu prés le même âge et le même aspect. Il ne suffisait plus aux policiers français qu’à les « reconnaître » une fois désignés. Au point que la police a immédiatement fourni le nom d’un suspect (Arkaitz Agirrebiria) qui, effectivement, figurait dans la base de données du logiciel de reconnaissance. La police espagnole a immédiatement confirmé, partant du principe que les collègues français ne pouvaient se tromper. D’autre part, ce logiciel de reconnaissance ou un autre (ce point reste obscur) a été appliqué également aux images. Sa particularité : il fait partie de ceux, mis notamment au point en Allemagne, permettent de « mesurer » (sic), le degré d’inquiétude, le degré d’agitation, les mimiques suspectes des personnes filmées. Double Bingo !

A partir de cette belle série d’erreurs liées à la foi aveugle dans une technique dont il faut dénoncer l’usage, les polices françaises et espagnoles ont construit une belle histoire rendant service à la fois au gouvernement français et au gouvernement espagnol qui partagent un sérieux divorce avec une grande partie de leurs opinions publiques.

Cette affaire qui, par chance, se termine bien, montre clairement l’usage à la fois imprudent et dangereux dont la vidéosurveillance commence à faire l’objet. Tout simplement parce que rien ni personne n’empêche un maire, un patron de boite, un gérant de supermarché de stocker les images, d’isoler celles qui leur conviennent ou bien de les soumettre à un complexe (mais pas coûteux) logiciel de reconnaissance et d’identification. C’est, par exemple, avec ce type de logiciel (en vente libre) que des vigiles de grande surface repèrent en direct les « suspects ». Autrement soit des gens qui ont déjà eu des problèmes dans le magasin à un moment ou un autre et figurent dans la base, soit des gens dont la tenue n’est pas conforme aux standards de respectabilité définis par les auteurs du logiciel, notamment ceux qui travaillent pour la grande distribution. Quand tous ces suspects sont identifiés, soit la base de donnée alerte le responsable informatique, soit les « nouveaux » sont immédiatement intégrés dans cette base de donnée. Cela s’appelle du fichage informatique et la CNIL, Commission Nationale Informatique et Liberté, devrait d’autant s’y intéresser que, dans une même ville ou une même zone de chalandise, les responsables des grandes surfaces concurrentes s’échangent volontiers ces fichages vidéo. Il existe d’ailleurs des municipalités dont les informaticiens ou les polices municipales procèdent également à ce type de repérage qui aboutit à la création d’une nouvelle catégorie de Français : le citoyen à comportements suspects.

Tout ceci ne relève pas du fantasme. Pas plus que le piochage illégal d’une escouade parisienne et provinciale d’une cinquantaine de policiers proches de l’UMP dans la base de données de STIC pour y chercher des éléments « intéressant » : sur Ali Soumaré candidat du PS et également sur des centaines d’autres candidats de gauche et des Verts qui ont été passés systématiquement au crible. La vidéosurveillance, cette affaire le prouve, fait chaque jour la preuve de son inefficacité. Mais ce n’est pas pour son utilité sur la petite délinquance que le gouvernement perfectionne sans cesse la loi de 1995 : la progression, le perfectionnement des techniques permettent à ses promoteurs d’espérer (preuve est faite que non, mais les erreurs n’écartent pas les dangers) que les réseaux de caméras deviennent rapidement des instruments de contrôle et de fichage parfait. D’autant plus parfait que la CNIL, grâce à la loi proposée il y a quinze ans aux parlementaires par un Patrick Balkany et Nicolas Sarkozy, déjà amis politiques et sécuritaires, n’a aucun droit de contrôle de vérification sur l’installation et le fonctionnement des caméras. Qui ne sont de « protection » que pour les pouvoirs en place…

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