« Another Year » de M. Leigh ; « You Will Meet A Tall Dark Stranger » de Woody Allen ; « Belle épine » de R. Zlotowski

Christophe Kantcheff  • 16 mai 2010
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« Another Year » de M. Leigh ; « You Will Meet A Tall Dark Stranger » de Woody Allen ; « Belle épine » de R. Zlotowski

Le nouveau film de Mike Leigh, Another Year , en compétition dans la sélection officielle, s’organise autour d’un couple londonien bientôt soixantenaire, Gerri, conseillère médicale, et Tom, géologue. Ils sont heureux dans leur vie. Ils invitent fréquemment des amis qui, eux, le sont moins, parce que seuls, comme Mary, une collègue de Gerri, à la beauté vieillissante, femme extravertie, et pour tout dire soûlante. Ou Ken, ami d’enfance de Tom, qui habite la banlieue, alcoolique et boulimique, et qui porte son mal-être en bandoulière.

Illustration - « Another Year » de M. Leigh ; « You Will Meet A Tall Dark Stranger » de Woody Allen ; « Belle épine » de R. Zlotowski

L’histoire, qui se découpe au rythme des quatre saisons de l’année, n’a pas de réels développements dramatiques. Ou plus exactement, ils relèvent de la banalité de l’existence : le fils trentenaire de Gerri et Tom leur fait connaître sa nouvelle petite amie ; le frère de Tom perd sa femme et vient habiter quelques temps chez Gerri et Tom. La mise en scène de Mike Leigh est fondée sur la grande simplicité des champs/contre-champs, et l’excellence de ses comédiens (Jim Broadbent, Lesley Manville, Ruth Sheen, Peter Wight, Oliver Maltman…), qui insufflent humanité et humour dans des dialogues nourris mais sans lourdeur (nous ne sommes pas dans un film de Denys Arcand).

Mais, malgré ces éléments positifs, Another Year n’emporte pas mon adhésion. Est-ce parce qu’il comporte un certain nombre de situations trop attendues ? Est-ce parce que centré sur le couple solide et généreux de Gerri et Tom, qui forme un socle auquel les paumés peuvent s’arrimer, le film n’accorde aucune place à la possibilité d’une vie épanouie autre que conventionnelle et normée ? Ou bien parce qu’il commence par l’interview d’une femme (qu’on abandonne aussitôt) souffrant d’insomnie, et plus profondément de tristesse, et affiche ainsi trop grossièrement son intention ?

Hors compétition, il y avait aujourd’hui l’un des plus fidèles abonnés du festival, Woody Allen. Un peu lassé par lui ces derniers temps, j’ai eu la bonne surprise de prendre du plaisir à You Will Meet A Tall Dark Stranger , tourné, comme Match Point ou Scoop , à Londres, avec Noami Watts, Antonio Banderas, Josh Brolin, Anthony Hopkins… Pourtant, à entendre le jazz des années 1930-40 sur le générique du début, je me suis dit que le pauvre Woody faisait décidément du surplace, et j’ai sérieusement craint pour la suite. Erreur. Sans doute ne va-t-il pas jusqu’à se renouveler, mais l’auteur de Zélig croise ici quelques personnages qui croient pouvoir donner un nouveau départ à leur vie sentimentale, familiale ou créatrice, avec une réjouissante légèreté, une fraîche ironie et un scepticisme certain …

Illustration - « Another Year » de M. Leigh ; « You Will Meet A Tall Dark Stranger » de Woody Allen ; « Belle épine » de R. Zlotowski

Face à ces deux vieux briscards, une toute jeune débutante, Rebecca Zlotowski, dont le premier long, Belle épine , était montré à la Semaine de la critique, pouvait-elle faire le poids ? La question, dans l’absolu, a quelque chose d’absurde, mais à Cannes, où nous voyons films sur films, ils ont tendance à jouer les uns avec les autres, ou les uns contre les autres. La réponse, quoi qu’il en soit, n’est pas à la défaveur de Rebecca Zlotowski. Au contraire, je dois reconnaître que, le temps de son film, j’ai eu l’impression d’être (enfin) raccordé au présent, au cinéma qui se cherche, qui frémit, qui palpite.

Belle épine met en scène des adolescentes, et plus particulièrement Prudence (un prénom en forme de prétérition, tant elle ne s’épargne pas), interprétée par une Léa Seydoux convaincante. Prudence, bientôt 17 ans, vient de perdre sa mère, son père est au Canada, sa sœur aînée est indépendante, elle vit donc seule dans l’appartement familial. Voilà pour la situation. Pénétrée par un chagrin qu’elle n’exprime pas, Prudence va vouloir vivre à fond, vivre une liberté presque anarchique. Prudence, c’est une James Dean féminine et contemporaine, une écorchée vive qui cherche l’amour avec un air buté (avec des blousons noirs sur des circuits moto !). Mais la liberté coûte cher.

Qu’il s’agisse du scénario ou de la mise en scène, la maîtrise dont fait preuve Rebecca Zlotowski est bluffante. Belle épine donne une représentation d’adolescentes d’aujourd’hui plus ou moins en rupture (Prudence, mais aussi celles qu’interprètent Anaïs Demoustier et Agathe Schlencker) qui éclate de justesse. La cinéaste use aussi de la musique avec pertinence, ce qui est assez rare pour être souligné. Film âpre, direct, Belle épine marque une belle naissance au cinéma.

Illustration - « Another Year » de M. Leigh ; « You Will Meet A Tall Dark Stranger » de Woody Allen ; « Belle épine » de R. Zlotowski

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