«On Vous Parle De Probité – Et Ce Sont Des Écumeurs De Presse, Des Journalistes À Tout Faire, Maîtres Fourbes Ou Maîtres Chanteurs, Qui Chantent L’Honneur National»

Sébastien Fontenelle  • 16 octobre 2010
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Illustration - «On Vous Parle De Probité - Et Ce Sont Des Écumeurs De Presse, Des Journalistes À Tout Faire, Maîtres Fourbes Ou Maîtres Chanteurs, Qui Chantent L'Honneur National»

L’ami Bernard, dont le blog est voisin d’ici, présente, à l’enseigne d’un passager clandestin, plusieurs textes, parus dans une lointaine époque mais qu’on dirait du jour, d’Alphonse Gallaud, dit Zo d’Axa, «fils de bonne et illustre et riche famille» et «dandy de fière allure» , déserteur de la bourgeoisie – est-ce que ça vous a de la gueule? -, fondateur de journaux de haute mémoire: L’Endehors ( «91 numéros tirés à 6.000 exemplaires et vendus 6 centimes pièce» du 5 mai 1891 au 10 février 1893), où se réunissent «les plus belles plumes» du temps – Octave Mirbeau, Louise Michel, Élisée Reclus, Paul Verlaine -, puis La Feuille , d’où viennent ces fragments réunis.

En voici quelques bouts[^2], parus au mois de mai 1898, et qui devraient donner l’envie de lire tout: bonne méditation…

«Citoyens** ,

On vous trompe. On vous dit que la dernière Chambre composée d’imbéciles et de filous ne représentait pas la majorité des électeurs. C’est faux.

Une Chambre composée de députés jocrisses et de députés truqueurs représente, au contraire, à merveille les Électeurs que vous êtes . Ne protestez pas: une nation a les délégués qu’elle mérite.

Pourquoi les avez-vous nommés?

Vous ne vous gênez pas, entre vous, pour convenir que plus ça change et plus c’est la même chose, que vos élus se moquent de vous et ne songent qu’à leurs intérêts, à la gloriole et à l’argent.

Pourquoi les renommerez-vous demain?

Vous savez très bien que tout un lot de ceux que vous enverrez siéger vendront leur voix contre un chèque et feront le commerce des emplois* (…) *.

Il faut des sots et des roublards, il faut un parlement de ganaches* (…) *pour personnifier à la fois tous les votards professionnels et les prolétaires déprimés.

Et ça, c’est vous!

On vous trompe, bons électeurs, on vous berne, on vous flagorne quand on vous dit que vous êtes beaux, que vous êtes la justice, le droit, la souveraineté nationale, le peuple-roi, des hommes libres. On cueille vos votes et c’est tout. Vous n’êtes que des fruits… des Poires .

On vous trompe encore. On vous dit que la France est toujours la France. Ce n’est pas vrai.

La France perd, de jour en jour, toute signification dans le monde, toute sugnification libérale. Ce n’est plus le peuple hardi, coureur de risques, semeur d’idées, briseur de culte. C’est une Marianne agenouillée* (…). C’est le caporalisme renaissant (…).

*On vous trompe, on vous trompe sans cesse. On vous parle de fraternité, et jamais l a lutte pour le pain ne fut plus âpre et meurtrière.

On vous parle de patriotisme, de patrimoine sacré – à vous qui ne possédez rien .

On vous parle de probité; et ce sont les écumeurs de presse, des journalistes à tout faire, maîtres fourbes ou maîtres chanteurs, qui chantent l’honneur national.

Les tenants de la République, les petits bourgeois, les petits seigneurs sont plus durs aux gueux que les maîtres des régimes anciens. On vit sous l’oeil des contremaîtres .

Les ouvriers aveulis, les producteurs qui ne consomment pas, se contentent de ronger patiemment l’os sans moelle qu’on leur a jeté, l’os du suffrage universel. Et c’est pour des boniments, des discussions électorales qu’ils remuent encore la mâchoire – la mâchoire qui ne sait plus mordre.

Quand parfois des enfants du peuple secouent leur torpeur, ils se trouvent (…) en face de notre vaillante Armée…

La Justice est égale pour tous. Les honorables chéquards roulent carosse (…). Mais les menottes serrent les poignets des vieux ouvriers que l’on arrête comme vagabonds!

L’ignominie de l’heure est telle qu’aucun candidat n’ose défendre cette Société. Les politiciens bourgeoisants, réactionnaires ou ralliés, masques ou faux-nez républicains, vous crient qu’en votant pour eux ça marchera mieux, ça marchera bien. Ceux qui vous ont déjà tout pris vous demandent encore quelque chose:

**Donnez vos voix, citoyens!»

[^2]: Salut à toi, GPMarcel!

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Temps de lecture : 4 minutes
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