Réquisitions: «La France viole ses obligations internationales»

Michel Soudais  • 23 octobre 2010
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Piquet de grève à la raffinerie de Grandpuits (Photo AFP)

«En délogeant les grévistes pacifiques de leurs piquets de grève devant les raffineries, la France viole ouvertement ses obligations internationales.» Tel est le point de vue défendu par Raquel Garrido, secrétaire nationale du Parti de gauche, qui par le passé a siégé pour Force ouvrière au sein de l’Organisation internationale du travail.

Le jugement du tribunal administratif de Melun (Seine-et-Marne) qui a suspendu vendredi soir l’arrêté pris par le préfet de Seine-et-Marne de réquisition des salariés de la raffinerie Total de Grandpuits, en grève depuis dix jours, n’est pas de nature à lui donner tort. Le tribunal a en effet considéré que l’arrêté préfectoral «a porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève et que son exécution à ce titre doit être suspendue» . Le juge des référés a également ordonné le paiement d’une somme de 1.000 euros aux requérants.
Le juge reproche au préfet de Seine-et-Marne, Jean-Michel Drevet, d’avoir réquisitionné «la quasi-totalité du personnel de la raffinerie» , ce qui «a eu pour effet d’instaurer un service normal» au sein de l’entreprise.
Toutefois, il a estimé que cette décision ne fait pas obstacle à ce que le préfet puisse, le cas échéant, «faire usage» de ses pouvoirs, dans les limites prévues par la loi.

Raquel Garrido

A l’appui de sa thèse, Raquel Garrido rappelle que «la Convention n° 87 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), adoptée en 1948, et qui fait partie des « Normes fondamentales du Travail » [^2], empêche la police de briser une grève par la force.»

«La question spécifique des piquets de grève a été débattue au sein du Comité de la Liberté Syndicale (CLS) de l’OIT, organe chargé de faire respecter la liberté syndicale, et par le Comité des Experts sur l’Application des Conventions et Recommandations (CEACR) de l’OIT» , ajoute-t-elle. Avant de préciser que «l’OIT a codifié les décisions de ses organes « juridictionnels »» [^3]

Citons quelques extraits de ces décisions qui forment donc un cadre juridique international qui s’impose à la France (p. 45):
«Selon le Comité de la liberté syndicale, les piquets de grève, s’ils sont organisés dans le respect de la loi, « ne doivent pas voir leur action entravée par les autorités publiques ». Leur interdiction « ne se justifierait que si la grève perdait son caractère pacifique ». […]
Le seul fait de participer à un piquet de grève et d’inciter fermement, mais pacifiquement, les autres salariés à ne pas rejoindre leur poste de travail ne peut être considéré comme ne action illuégitime. Il en va […] autrement lorsque le piquet de grève s’accompagne de violences ou d’entraves à la liberté du travail par contrainte exercée sur les non-grévistes. »

« Relevant que les piquets de grève visent à assurer le succès de l’action en persuadant le plus grand nombre possible de gens de ne pas se présenter au travail, la commission d’experts constate ce qui suit:
Les tribunaux ordinaires ou spécialisés sont généralement chargés de régler les problèmes qui peuvent se poser en la matière. Peut-être plus que pour tout autre sujet, la pratique nationale est importante à cet égard. Simple moyen d’information dans certains pays excluant toute possibilité d’empêcher l’entrée au travail des non-grévistes, le piquet de grève peut être considéré ailleurs comme une modalité du droit de grève et l’occupation des lieux de travail comme son prolongement naturel,
[actions] rarement remis [es] en cause dans la pratique, sauf cas extrêmes de violence sur la personne ou de dommages aux biens. […] les [restrictions] aux piquets de grève et à l’occupation des locaux devraient être limitées aux cas où les actions perdent leur caractère pacifique. »

«Non seulement c’est à un Tribunal indépendant de décider de toute restriction au piquet de grève, conclut Raquel Garrido, mais encore cette restriction doit elle être justifiée par la perte du caractère pacifique dudit piquet.» Un constat qui, pour l’heure, fait défaut aux préfets ayant eu recours aux réquisitions.


[^2]: Ces normes doivent être mises en œuvre par les Etats Membres de l’OIT même s’ils n’ont pas ratifié la convention qui les instaure.

[^3]: Cf. Les Principes de l’OIT sur le droit de grève, Bernard Gernigon, Alberto Odero et Horacio Guido, Bureau international du travail, Genève, 1998.

Temps de lecture : 4 minutes
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