Wikileaks: vers une dérive fascisante de la transparence

Claude-Marie Vadrot  • 13 décembre 2010
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J’ignore évidemment si Julian Assange, le patron de Wikileaks, est coupable ou non des accusations criminelles portées contre lui par la police suédoise ou s’il est simplement l’objet d’une lettre de cachet internationale. Mais ce que je sais par contre, c’est que je ne partage pas du tout l’enthousiasme de la presse et de nombreux partis politiques pour le travail de révélation organisée par le site Wikileaks. J’y vois même, et je ne suis heureusement pas le seul, une dérive fascisante de la nouvelle idéologie de la transparence. Et mes derniers doutes disparaissent quand j’entends Vladimir Poutine prendre la défense de cette entreprise, lui qui rêve de cibler tous ses citoyens.

Cette entreprise de divulgation tous azimuts présentée comme un exercice exemplaire de démocratie, vise dans le fond à faire admettre à tous les citoyens du monde que chacun doit savoir tout sur l’autre, sur les autres, que les gouvernements, les organisations et les individus doivent aller publiquement« nu », qu’ils ne peuvent et ne doivent plus rien dissimuler. La même idéologie malsaine qui consiste désormais à demander –bientôt exiger- de voyageurs aériens qu’ils soient« dénudés » par des machines installées dans les aéroports. Pour persuader ces citoyens qu’il est dans le fond normal que n’importe qui puisse fouiller leurs correspondances,informatiques ou autres, leurs comptes bancaires, leur passé, leur fonctionnement, leurs vies privés, les dossiers médicaux, les polices d’assurance ou le fameux fichier Stic de la police. Jusque dans la plus profond de nos existences sans qu’il y ait le moindre soupçon de délit. S’impose subrepticement l’idée très dangereuse que l’on ne doit rien dissimuler, que les vies des hommes et des gouvernements doivent être exposés à tout. Ce qui ressemble au rêve de l’Union Soviétique (j’ai beaucoup donné comme journaliste dans cette atmosphère) et à celui de toutes les dictatures me met profondément mal à l’aise. J’y vois un encouragement à toutes les dérives : Facebook obligatoire pour tous , à poil tout le monde !

D’autant plus, que les « révélations » de Wikileaks ne nous apprennent pas grand chose sur la vie et les pensées de ceux que l’on nomme « grands », même sur les négociations climatiques dont nous avions tous raconté les méandres tortueux. Y compris les origines troubles des idées de Monsieur Allègre. Ces centaines de milliers de messages ne dévoilent bien peu de nouveau sur les pensées bien peu secrètes des Etats Unis, de la France, de la Grande-Bretagne ou de l’Arabie Saoudite. Des enquêtes journalistiques nous ont expliqué cela depuis des années. Grâce à un travail d’enquête qui sait séparer le bon grain de l’ivraie en écartant l’accessoire. Nous sommes là dans la nouvelle idéologie d’Internet dévoyée : tous les citoyens seraient des journalistes. Que Wikileaks puisse être apparenté à un travail journalistique est un piège tendu par celui ou ceux qui font croire qu’ils ont effectué un travail d’enquête alors que leur production n’est que le produite d’un « vol » qui se prétend vertueux. Opération préparatoire (ou hélas désormais complémentaire) au viol de nos existences et de notre vie privée politique et sexuelle.

Et puis, allons plus loin : les Etats, quels qu’ils soient, ont droit à leurs diplomatie secrète ou tout au moins discrète. Etant entendu et su depuis des siècles, que les gouvernements et les diplomates ne sont pas des enfants de choeur et que ces derniers ne servent pas seulement à organiser des réceptions et des voyages. Et aussi que la diplomatie internationale n’est pas un monde de bisounours.

Cela ne signifie pas que les journalistes d’investigation, ceux de Mediapart, par exemple, ne doivent pas enquêter sur les compromissions, les délits et des conflits d’intérêt. Cela ne passe pas par une délation permanente, mais par un travail sérieux doublé de recoupements, de mises en perspective, de choix et d’explication. Or l’entreprise de Wikileaks relève simplement d’une délation mondialisée. En reprenant ces informations lancées à la face du monde, des journalistes se font les complices d’une transparence dangereuse érigée en vertu et qui menace leur déontologie.

J’ai trop enquêté depuis quelques années, faits après faits, informations recoupées après informations recoupées, sur les méfaits de la dénonciation informatique pour ne pas être très inquiet de voir une telle opération montée au pinacle de la transparence et de l’information. La transparence absolue ne peut qu’être qu’un leurre et un danger absolu. Ce qui se passe aujourd’hui nous rappelle que le système dans lequel nous vivons cherche à tout savoir. Alors, que l’on me pardonne cette affirmation, je fais partie de ceux qui pensent que### face au gendarme le voleur doit toujours avoir une chance, quoi que je pense des criminels, qu’ils tuent ou qu’ils escroquent les gens ou les peuples.

Que ceux qui auraient encore des doutes, relise Michel Foucault et sa crainte du totalitarisme

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