Histoire de l’écriture collective d’un appel militant

Le forum Sciences et démocratie n’aurait pas fini de façon satisfaisante sans une conclusion concrète, une action résultant de ces deux jours de riches débats. Pour écrire les trois phrases (en anglais) d’un des documents finals, il fallut toute une journée à près de quinze militants expérimentés. Un exemple frappant de l’écriture collective d’un document engagé, où chacun a son mot à dire et où chaque mot compte.

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Le dernier soir du forum, Pat Mooney, un activiste d’EtcGroup, prit les choses en main pour obtenir ce document. Tandis que l’assemblée se dissolvait, lui et une poignée d’autres volontaires s’installèrent sur le bureau central de l’amphithéâtre, pour commencer concrètement à travailler. Il fallait un texte synthétisant la volonté du forum Sciences et démocratie, un appel de mobilisation pour le sommet des Nations Unies, le Rio+20. « Nous étions tous épuisés de cette après-midi » raconte Elena Mcmaster, jeune australienne membre des Amis de la Terre, qui se chargea de coucher sur le papier ce que dictait Pat Mooney et d’autres. « Mais il nous fallait absolument un premier jet. » Cela leur prit à peine un quart d’heure… Mais ce brouillon n’aurait rien à voir avec la version finale.

Deux autres séances d’écriture, plus longues et avec plus de participants, eurent lieu le lendemain. Le matin, durant une réunion en comité réduit, quatre personnes se mirent dans un coin et relirent le brouillon… Ils ont presque tout rayé. Pat Mooney, toujours actif, se met alors à dicter une autre version, une dizaine de paragraphes dont presque aucun ne sera validé par l’avis critique de David Barkin, économiste brésilien, et d’Erik Hoffman, Ami de la Terre américain. Mais chaque nouvelle version était meilleure que la précédente.

Est-ce la fin ? Loin de là ! Ce pauvre document va encore être complètement réécrit. La seconde version avait certes fixé les concepts à aborder, mais encore fallait-il bien les exprimer. Le soir même, le document (retapé à l’ordinateur) fût relu à voix haute devant une quinzaine personnes réunies pour l’occasion. Tous les participants précédents étaient réunis, et d’autres s’y étaient ajoutés. Les apparences sont parfois trompeuses : à la première lecture tout le monde semblait satisfait du texte. Puis vint une première remarque, suivie d’une nouvelle relecture, d’une seconde remarque et d’une autre relecture… Deux heures après, presque chaque mot avait été transformé. C’était la nuit, un vent froid cinglait la peau des participants qui s’étaient habillés pour une journée très chaude, mais le résultat satisfaisait enfin tout le monde.

A présent la version « finale » a été envoyée par e-mail à tous les participants du forum et à des organisations engagées. Chacun pourra la critiquer au gré de son humeur du moment, voire la détruire complétement, nonobstant les efforts déjà déployés pour le rédiger. Il faudra sans doute retravailler à nouveau les phrases, une par une. Voilà déjà que le mot « corporate » à été changé en « private », cela ne s’arrêtera-t-il donc jamais ? Ainsi va la vie d’un texte militant collectif, simple série de mots alignés sur le papier, qui peut déterminer l’échec ou la réussite d’immenses mouvements sociaux.

Fabien Nicolas.

Temps de lecture : 3 minutes
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