Un fidèle de Sarkozy lance le guichet Bolkestein

La directive Bolkestein est à l’origine du guichet unique pour la création d’entreprise lancé officiellement le 23 février par Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État chargé des Petites et moyennes entreprises. Mais il ne faut pas le dire, du moins en France.

Thierry Brun  • 25 février 2011
Partager :

Oui, la directive Bolkestein est très présente dans les faits et gestes gouvernementaux ces dernières semaines. Habitué des médias et des déclarations fracassantes, Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État chargé des Petites et moyennes entreprises a été d’une rare discrétion lors du lancement, le 23 février, du site « Guichet entreprises ». A première vue, rien de nouveau sous le soleil. Frédéric Lefebvre n’a fait que signer une convention créant un groupement d’intérêt public (GIP) nommé « Guichet Entreprises » avec quelques partenaires de l’État comme les chambres de commerce et d’industrie, avec pour mission le développement de services sur ce nouveau portail électronique.

Le site Internet, nous dit Lefebvre, doit ainsi assurer « la mise en place du guichet unique de la création d’entreprise qui permet à tous les entrepreneurs de créer leur entreprise en ligne et d’accomplir de manière dématérialisée les procédures et formalités nécessaires à l’exercice de leur activité. Le Groupement d’intérêt public permettra de donner un nouvel élan à la simplification administrative pour les PME » . Cette séduisante fable ne convaincra sans doute pas les secteurs de services concernés par ce guichet unique.

En fait, il ne s’agit pas seulement d’un site de simplification des formalités destiné aux PME. Les rares médias à s’intéresser à cette bien modeste nouveauté auraient dû éviter de reprendre le communiqué transmis par le secrétaire d’État. Prenons Les Echos. Le quotidien ignore un fait majeur : la directive européenne de libéralisation des services, dite Bolkestein, aujourd’hui transposée en France, est à l’origine du fameux guichet unique propulsé sur les fonts baptismaux par le gouvernement sarkozyste. Les autres grands médias ont sans état d’âme occulté cette nouvelle étape de l’application de la directive. Elle intéresse pourtant la plupart des citoyens, notamment parce que tous les services sont concernés, y compris sociaux.

Surprenant ? Non. Souvenons-nous de la consigne venue de Nicolas Sarkozy, et transmise fidèlement par ses troupes, de ne faire aucun tapage politique autour de l’importante réforme de la réglementation française imposée par la directive sur les services (à lire sur mon blog). Les euphémismes ont prévalu pour laisser penser que la directive Bolkestein n’est qu’une chimère, ou qu’elle a été révisée et finalement a perdu de sa vigueur. Elle n’aurait donc aucune incidence sur les politiques publiques des pays membres de l’Union européenne…

Or, la plupart des 27 ont déjà, ou sont en passe de créer, leur guichet unique. Les guichets d’entreprises créés sont de plus agréés dans le cadre de la directive européenne sur les services. Encore, un petit oubli de Frédéric Lefebvre…
L’objet premier de ces guichets est de faire en sorte que le nouveau marché européen des services joue à fond la concurrence libre et non faussée. Cela signifie une mise en concurrence des salariés, des prix élevés pour des services qui n’assurent plus l’égalité d’accès des citoyens ainsi que des missions dites d’intérêt général.
Cette logique de marché concurrentiel des services entraîne une réduction des coûts : on le sait, les conditions de travail, de sécurité des salariés et les salaires sont tirés vers le bas.

En bon libéral, Frédéric Lefebvre voit plutôt dans ce guichet unique un « attachement à promouvoir une politique de la création d’entreprise qui non seulement facilite l’acte de création mais permette aussi aux entrepreneurs de trouver les moyens de leur développement » . Et de leur mise en concurrence sur le marché européen. Les places seront chères pour les PME et les associations du secteur social, qui se trouveront face aux mastodontes européens.

L’actualité montre ce à quoi l’on va assister dans les prochaines années , voire dans les prochains mois dans certains secteurs de services. Prenons le cas récent d’un célèbre transporteur routier. Début février, une émission de France 2 a dressé le constat peu flatteur de cette entreprise faisant travailler en France des chauffeurs venant de Pologne à moindre coût sur des remorques immatriculées à l’étranger. On pouvait entendre dans ce documentaire que les groupes du transport routier français ont fait le choix délibéré d’asseoir leur rentabilité et leurs profits sur la délocalisation de leurs camions, conduits par des conducteurs low cost.

C’est bien le but de ce « guichet entreprises ». Si l’on examine attentivement la centaine de fiches sur les métiers concernés par la directive Bolkestein, on découvrira que sont mis en concurrence des activités aussi diverses que les agence de mannequins, les agents immobiliers, les contrôleurs d’ascenseurs, les organismes de formation professionnelle, les organismes privés de placement de personnel, une longue liste de services à la personne, etc.

Ces fiches indiquent que les services sociaux passent à la moulinette du marché.

Mais ce n’est pas une surprise pour les lecteurs attentifs de ce blog. On remarque aussi que ces fiches renvoient à des législations modifiées récemment dans le cadre de la transposition de la directive Bolkestein. Un nombre impressionnant de lois, comme la loi de modernisation de l’économie en 2008, la loi HPST, etc., ont transposé la directive Bolkestein. On constatera que tout cela est passé comme une lettre à la poste. Sans faire de vague.

Nos députés européens se sont bien gardés de nous dire qu’un rapport de la Commission européenne (marché intérieur et de la protection des consommateurs) a été adopté le 15 février 2011.
Rapport adopté…
Ce rapport d’initiative de la social-démocrate Evelyne Gebhardt, qui porte « sur la mise en œuvre de la directive sur les services » nous apprend beaucoup sur le guichet unique de Frédéric Lefebvre.

Mais avant, resituons ce que représente cette directive. Le rapport note que « les activités couvertes par la directive sur les services représentent 40 % du PIB et des emplois de l’Union européenne et que la directive a pour objectif de libérer l’énorme potentiel de développement économique et de création d’emplois que recèle le marché intérieur européen des services, dont la part dans le PIB de l’Union serait comprise entre 0,6 % et 1,5 % » .

La rapporteure social-démocrate allemande n’a rien à redire sur la mise en œuvre, si ce n’est « vérifier si les règles en vigueur dans les États membres répondent aux prescriptions du marché intérieur et ne contribuent pas à créer de nouveaux obstacles » à la mise en concurrence des services, bien sûr.

Sur les guichets uniques (notre « guichet Entreprises »), le Parlement européen « considère que la mise en place des guichets uniques est un élément essentiel d’une mise en œuvre efficace de la directive ; reconnaît que cette dernière nécessite un effort substantiel de la part des États membres sur le plan financier, technique et organisationnel ; souligne la nécessité d’y associer les partenaires sociaux et les associations professionnelles » . Ce vœu (pieu) n’a pas atteint Frédéric Lefebvre ni les partenaires sociaux…

Temps de lecture : 6 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don