La compassion pour la Libye …

… un alibi néo-colonial ? Coup de gueule de Danielle Bleitrach. **

Bernard Langlois  • 18 mars 2011
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Je suis de ceux qui éprouvent un profond malaise quant à cette histoire libyenne. La remise en vigueur du « devoir d’ingérence » — car quoi qu’on dise, c’est bien de cela qu’il s’agit — par une « diplomatie du perron » incarnée une fois de plus par le pire histrion de la philosophie médiatoque (même remise in extremis par Juppé, en vrai pro, sur des rails traditionnels) et son débouché sur une nouvelle intervention armée des ex-puissances coloniales en terre arabe (sans garantie de résultats ni certitude de développements) ne me dit rien qui vaille.

L’écrasement d’une révolte populaire par un dictateur d’évidence cinglé et sanguinaire n’est pas acceptable — nous dit-on — et nécessite l’intervention de la communauté des nations. Soit.

Mais une option militaire ? Et pourquoi la Libye et pas Barhein, par exemple ? Ou encore la Côte d’Ivoire ? Ou la Tchétchénie, le Darfour, le Congo, etc. ? La mise à sac de l’Irak, ses centaines de milliers de morts ne peuvent-ils servir de leçon ? Le bourbier afghan ne suffit-il pas à nous détourner de l’aventure ? Et même si c’est « pour la bonne cause », rappelons-nous de ce que disait Robespierre : « Les peuples n’aiment guère les missionnaires bottés . »

Du reste, sommes-nous si sûrs que c’est « pour la bonne cause » ? Les révoltés libyens sont-ils exempts de toute manipulation ? Et si Kadhafi est assurément un « méchant », les révoltés qui le combattent sont-ils sûrement des « gentils » ?

Je ne tranche pas.

Mais dans le concert quasi-unanime qui se réjouit ce matin du vote de l’ONU et félicite sans nuance, à la mode Guetta, l’excellence de la diplomatie française, je souhaite vous donner à connaître un point de vue différent. Et radical, dans l’autre sens.

C’est celui d’une sociologue communiste, ancienne du Comité central (de 1981 à 1996), ancienne rédactrice en chef adjointe de l’hebdo ### Révolution, qui a rompu avec son parti (LE Parti, comme on ne dit plus) en 2003, sur une ligne de gauche pure et dure.

Cette grand-mère en colère

Illustration - La compassion pour la Libye …

s’exprime désormais sur Facebook, après avoir longtemps tenu un blog [^2] (où je vous ai parfois envoyé). Elle m’a fait parvenir son dernier texte, que je vous recopie ici, intégralement. C’est long, mais je ne veux pas tronquer ses propos, à contre-courant de tout ce qui se dit par ailleurs. Je vous préviens, c’est du lourd. A vous de juger (et de commenter, si ça vous dit).

Pourquoi je n’irai plus voter

par Danielle Bleitrach .

Illustration - La compassion pour la Libye …

Le rêve qui nous maintient plutôt que nous le maintenons.

Pas un commentaire sur le mur commun, toujours les mêmes conneries, l’impossible dialogue, on parle de n’importe quoi, on se passe des photos des disques, pas un cri d’indignation, serai-je la seule à éprouver de la colère, de la peur? A percevoir vers où on nous conduit inexorablement? Rien de ce qui est secondaire ne vous est étranger. La France, la Grande Bretagne, les vieilles fripouilles colonialistes en ordre de bataille derrière leur rejeton sanglant les Etats-Unis, ont obtenu ce qu’ils cherchaient depuis le début : intervenir en Libye, utiliser la force. Ils traînent derrière eux tous les vieillards du monde arabe rêvant de sauver les meubles et les royalties pétrolières qui permettent à une caste de prospérer en asphyxiant leurs esclaves … Ils cherchent une solution de rechange, l’ouverture à un islam  » modéré « , une bourgeoisie aux dents longues qui veut sa part du gâteau.

On ne peut que frémir en lisant ce  » par tous les moyens « . Ils ont appliqué cette saloperie néo-colonialiste intitulé  » devoir d’ingérence  » au nom duquel ils jugent de qui mérite d’être  » secouru « .

Pas les ouvriers désarmé de Barhein, non, une faction dans une guerre civile autour des ressources énergétiques. Derrière le drapeau monarchiste, celui du vieux roi Idriss, le roitelet de Benghazi qui a prétendu imposer un royaume à l’ensemble de la Libye avec un jeune homme qui a refusé de vous la livrer et auquel vous ne pardonnerez jamais ce qu’il a été. Il vous faut une nouvelle marionnette corrompue à la Karzaï, parce qu’aucun patriote n’acceptera jamais votre intervention. Il vous faut un ministre de la justice, des infirmières bulgares, un monarque en exil, l’héritier de celui qui a livré son pays et les ressources pétrolières aux occidentaux. Ce ne sont pas les Libyens pour lesquels vous frémissez, mais bien vos alliances que vous tentez de conforter. L’indignation repue de Martine Aubry prétendant que le sort des Libyens l’empêche de dormir, est une palinodie de plus et jamais plus je ne voterai pour de pareils clowns méprisant l’intelligence des français.

Non seulement le risible Bernard Henri Levy est venu, comme prévu, hurler sur les plateaux de télévision mais il a illustré par sa seule présence ce que la médiacratie française imposait à une opinion débile, incapable de la moindre réaction, des citoyens en état de coma dépassé civique.

Son cri de hyène qui a accompagné toutes les aventures mensongères de l’empire, cet individu parfaitement déconsidéré par ses mensonges au Nicaragua, en Afghanistan, en Bosnie, son entrée triomphale dans Gaza martyre m’est insupportable en tant que Français mais il me l’est encore plus en tant que juif. Il est celui qui légitime toutes les horreurs de l’antisémitisme, ce racisme terrible qui un jour se terminera inexorablement par un bain de sang pour un peuple israélien, victime et désormais bourreau, parce qu’incapable de choisir la justice, le dialogue, se réfugiant dans la fausse sécurité de la force et le mensonge ; et je pleure déjà tout ce qui attend ce peuple issu de la Shoah et de la volonté colonialiste des occidentaux sur les peuples arabes.

Je suis envahie d’une immense pitié, non pour les Palestiniens car je sais qu’inexorablement ils vaincront, mais pour ces gens à courte vue qui creusent leur tombe.Choisir de se ranger derrière un Bernard Henri Levy, derrière un fasciste comme Liberman, c’est se condamner à finir dans les poubelles de l’histoire, souvenez-vous de ce que disait Einstein, je cite de mémoire:  » Si nous ne sommes pas capable de tirer partie de ce que 2000 de martyr nous ont enseigné et tout faire pour une entente avec nos voisins arabes, alors nous mériterons de qui nous arrivera.  » Et je sais que le jour du massacre, si je suis encore en vie, moi qui me suis battue toute ma vie pour le choix du respect, du dialogue, d’un destin commun avec les Palestiniens, j’irai me ranger à vos côtés pour dire que s’il existe un seul juste et il en existe beaucoup que les BHL font taire, les juifs égarés sur la terre de Palestine, conduits par de mauvais bergers doivent être sauvés.

Ce que l’on fait des juifs en ce moment, voici qu’on le fait des Français, des moutons derrière les appétits du capitalisme, derrière les choix impérialistes. Peu importe qui est Kadhafi, le vrai problème est l’avidité du monde occidental pour l’énergie, le refus de changer de pouvoir et de mode de vie, la manière dont dans le fond comme au temps du colonialisme on a sur rallier les masses occidentales à l’exploitation coloniale.Pour conserver vos gadgets, vous êtes capables de n’importe quoi, du meurtre, de feindre de ne pas voir l’évidence.

Oui mais vous semblez oublier que le monde n’en peut plus et vous refusez de voir que ce qui se passe au Japon est prémonitoire, cette centrale comme une cocotte minute, cette énergie privatisée, ce désordre généralisé et les chaînes de production de gadgets électroniques arrêtées, un peuple qui se réfugie à Hiroshima, tout cela n’est-il pas à l’image du futur que ce système engendre tandis que nous enfonçons la tête dans le sable ? En attendant Godot, ah! les beaux jours de l’ultime domination colonialiste. Ou ils iront jusqu’à faire sauter la planète ou les peuples l’emporteront et leur colère sera aussi terrible qu’un tsunami.

Vous inventez que vous soutenez le vent de liberté qui s’est répandu sur le monde arabe comme s’il avait surgi d’autre chose que du corset terrible de la politique néolibérale que vous imposez aux plus pauvres, à une jeunesse sans avenir ; vous voulez dire que cette jeunesse rêve de vos gadgets, que facebook est à l’origine de ces révoltes, pour mieux effacer cette note de chômage, d’impossibilité de se loger, de trouver un travail à la mesure de leur formation que cette jeunesse vous présente. Vous croyez qu’ils aspirent à votre  » démocratie « , vous qui ne savez que piller, étouffer, et vous osez comme Juppé revendiquer cette révolte contre vous, votre domination, vos pillages, vos humiliations, vos guerres.

Vous avez trouvé un nouveau bouc émissaire, mais vous accordez au même moment votre aval aux vieillards immondes qui tiennent le destin du Golfe, vous acceptez que les troupes saoudiennes viennent traquer jusque dans les hôpitaux des manifestants ouvriers désarmés qui ne réclament qu’une véritable citoyenneté.

Et de ce fait vous avancez déjà vos pions vers l’Iran, vers une guerre chiite -sunnite qui risque de ce terminer par une monstrueuse déflagration. Tous les imbéciles qui s’agitent en ce moment autour d’un référendum sur la sortie du nucléaire sont incapables de poser la question du nucléaire militaire et du fait qu’il y a désormais assez de bombes pour faire sauter la planète et que pour le grand bonheur des trusts de l’armement on continue à en fabriquer. Vous revendiquez un referendum là-dessus alors que vous êtes incapables de protester contre le fait que l’on peut vous faire entrer en guerre, une guerre qui peut conduire à la nuit nucléaire et qui déjà en Afghanistan coûte des milliers de morts civiles, de femmes, d’enfants et dit-on un million d’euros par jour. Vous acceptez d’être dessaisis de vos prérogatives citoyennes face à ce qui peut devenir une guerre nucléaire avec l’Iran, vous cautionnez les assassins saoudiens et vous trouvez un bouc émissaire pour mettre un doigt dans l’engrenage, vous acceptez la manipulation, non pas parce que vous êtes totalement cons mais parce que vous êtes complices, depuis des siècle vous avez accepté que le monde crève pour que vous puissiez pourrir dans vos gadgets et comme aujourd’hui le chômage, la mal vie, gagne une part croissante de la population française. Sur le fond vous êtes déjà d’accord avec Marine Le Pen ou Rocard: la France ne peut accueillir toute la misère du monde. A la seule différence près que la France a sa part dans cette misère et que cela ne date pas d’aujourd’hui, que son rôle d’hier à l’ONU est dans le prolongement, le tout enveloppé du papier kraft de notre grande révolution française.

Dieu sait que nul ne déteste plus que moi le régime des Mollahs, le président iranien négationiste, sa folie mystique et la répression contre son peuple, mais toutes les folies négationnistes de cet abruti ne valent pas la mort d’un seul enfant iranien et vous êtes la meilleure chance de survie de ce régime, vous transformez en traitrise la volonté de libération de ce peuple. Vous et vos discours immondes, vous êtes couverts de sang et vous appelez à la croisade, vous ne savez que faire ça, confondre la force avec la justice et votre foi en votre domination… Vous êtes bien tels que vous décrit Freud, votre appel à l’amour n’est que haine de l’autre. Comme tous les fascistes … Voter ? Mais pour qui grand dieu, ce peuple a les représentants qu’il mérite…

Je méprise les Israéliens qui se rangent derrière l’extrême-droite, les Bernard Henri Levy et autres salopards qui semblent ne pleurer que sur les enfants israéliens en oubliant que les enfants du monde, ceux des Palestiniens sont les nôtres tout autant, mais je méprise tout autant les Français plus encore qui hier ont été capables d’applaudir majoritairement la poignée de mains de Montoire, la rafle du Vel d’Hiv et aujourd’hui applaudissent de la même manière au rôle immonde de leur pays et se donnent de surcroît des prétextes hypocrites et imbéciles.

Je sais que dimanche je n’irai pas voter parce que ce cirque électoral est une hypocrisie de plus quand on me dépouille à tel point de ma citoyenneté.

Danielle Bleitrach .

[^2]: 1- devenu collectif et où elle continue parfois de commenter.

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Temps de lecture : 11 minutes
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