« We need to talk about Kevin » de Lynne Ramsay ; « Restless » de Gus Van Sant

Christophe Kantcheff  • 13 mai 2011
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« We need to talk about Kevin » de Lynne Ramsay ; « Restless » de Gus Van Sant

« We need to talk about Kevin »

Illustration - « We need to talk about Kevin » de Lynne Ramsay ; « Restless » de Gus Van Sant

Attention, mères de tous pays, si votre bébé vous recrache sa purée de carottes à la figure, méfiez-vous : il y a des risques qu’il devienne plus tard un serialkiller . Voilà, à peu près, le message que fait passer We need to talk about Kevin (« Il faut qu’on parle de Kevin », quel titre !), de la britannique Lynne Ramsay, en compétition. Un film tout en nuances (hum hum…), qui commence par l’image délicatement symbolique d’une foule qui se bat avec de la peinture rouge. Le rouge, le rouge, c’est la couleur de quoi, déjà ?…

Pauvre Tilda Swinton, comédienne extraordinaire, qui fait fausse route avec ce film où elle joue une mère ne comprenant pas pourquoi son fils, dès ses premiers jours, ne la supporte pas, et passe par tous les (mauvais) sentiments : la culpabilité, le regret, la vengeance. Une vraie tête à claques, ce mioche, qui m’a fait penser à un rapport de l’Inserm publié il y a quelques années qui, si mes souvenirs sont bons, suggérait que le comportement agité d’un gamin de trois ans pouvait annoncer un avenir de délinquance. En plus du roman de Lionel Shiver, qui porte le même titre, et que Lynne Ramsay a adapté, quelqu’un a peut-être eu l’idée saugrenue de faire lire ce rapport à la cinéaste, qu’elle a pris au pied de la lettre. Du coup, ce Kevin, on a très envie de l’envoyer fissa en prison, avec ses tétines et ses couches-culottes.

La cinéaste aime décidément trop le signifiant. Elle multiplie les coups pendables que le fils joue à sa mère, insiste sur le favoritisme dont fait preuve l’enfant envers son père et qui pèse évidemment sur l’équilibre du couple, et triture son film avec un flashback haché et inutilement compliqué, pour signifier que l’issue ne sera pas belle à voir (beaucoup de sang va couler, ah oui, le sang, de quelle couleur est le sang ?…) et que le chemin de croix ne fait que commencer pour Eva, alias Tilda Swinton. Personnellement, je n’ai pas besoin de parler davantage de Kevin. Qu’il se débrouille tout seul.

« Restless »

Illustration - « We need to talk about Kevin » de Lynne Ramsay ; « Restless » de Gus Van Sant

Palme d’or en 2003 avec Elephant , habitué à concourir dans la compétition, Gus Van Sant fait cette année l’ouverture d’Un certain regard avec Restless , la sélection bis de Thierry Frémaux, délégué général, et Gilles Jacob, président du festival. Il y a bien sûr des raisons qui expliquent que tel ou tel film se retrouve dans l’une ou l’autre sélection, même si ces raisons ne sont pas toujours évidentes. Restless , par exemple, est un très beau film, qui n’aurait pas déparé dans la compétition.

Certes, Restless n’a pas la puissance formelle d’ Elephant ou de Last Days (2005), et l’invention y est sans aucun doute moins sidérante. Mais la qualité de l’émotion profonde qu’il suscite est très rare au cinéma. Qu’on en juge : Restless est une histoire d’amour entre un jeune homme, Enoch (Henry Hooper), et la jolie Annabel (Mia Wasikowska), hantée par la disparition et par la mort. Le premier a perdu ses parents quelques années auparavant dans un accident de voiture ; la seconde, malade du cancer, apprend qu’une tumeur au cerveau ne lui laisse plus que 3 mois à vivre, et cela peu de temps après sa rencontre avec Enoch.

On imagine ce que de trop nombreux cinéastes auraient fait avec un tel sujet – et on en frémit ! – et avec quelle complaisance ils auraient agi sur la corde sensible. Gus Van Sant, lui, filme tout simplement avec grâce. Sa caméra est une caresse. Son regard ne semble fait que de tendresse pour ses personnages et ses jeunes acteurs, et de confiance envers ses spectateurs.

Gus Van Sant transforme cette histoire en conte intemporel sans niaiserie ni grandiloquence. Enoch se trouve visité par le fantôme d’un jeune aviateur japonais de la Seconde guerre mondiale, mort en kamikaze, qui est devenu son confident. Mia est passionnée par le monde animal et l’évolution des espèces : son idole est « Charlie » , Charles Darwin. Bref, c’est une jeune fille très attirée par la vie, tandis qu’Enoch a plutôt des tendances morbides. Leur alliance et leur amour vont donner une très jolie musique dont ils connaissent l’issue mais qu’ils décident de faire résonner avec le plus de vitalité et de douceur possibles. À l’instar des morceaux pop, dont le cinéaste est friand, qui ponctuent la bande son, jusqu’à cette dernière chanson du Velvet Underground interprétée par la voix de Nico. Une voix justement si délicate et éphémère. Comme la vie, l’amour, et comme cette sensation, parfois, que le cinéma est un miracle.

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