Retour en Palestine (2)

Denis Sieffert  • 15 décembre 2011
Partager :

Samedi matin. Ciel bleu et plus de vingt degrés au soleil de Jérusalem. Je loge chez des amis dans le quartier Nahrlaot. Un entrelacs de ruelles bordées de maisons, basses construites pour la plupart au XIXe siècle par les premiers migrants juifs, sur le modèle de l’architecture arabe. En face de la sortie de ce labyrinthe, il y a le célèbre marché Mahane Yehuda. Promenade solitaire dans une ville entièrement déserte. C’est Shabbat. Descente avenue Hillel, à droite King George. Bref pèlerinage devant un minuscule café à l’angle de Ben Yehuda, la rue piétonne, et King George. C’est là que se réunissait autrefois la gauche radicale israélienne, antisioniste. Le rideau métallique est baissé, mais le store rouge et blanc délavé qui pendouille doit être d’époque… Balade prolongée vers le bas de la ville, l’Ymca et le King David Hôtel qui fut la cible du terrible attentat du 22 juillet 1946. Quand les militants de l’Irgoun, la droite sioniste, firent sauter la partie de l’hôtel qui abritait le commandement militaire britannique. 91 morts. L’attentat visait les Britanniques, encore maîtres de la région. Mais la majorité des victimes s’est comptée parmi les employés arabes. Un souvenir qui devrait relativiser les débats sur le terrorisme, mais qui ne relativise rien du tout… Remontée par Hanevim. Je. longe le quartier ultra-orthodoxe de Me’a She’arim. On ne rencontre rigoureusement que des religieux. Je croise Yafo, puis l’avenue Agrippas. Un peu plus tard, un ami me fait observer qu’on ne peut plus voir à Jérusalem-Ouest, une seule pub montrant un visage de femme découvert. Ce qui devrait relativiser les procès contre l’islamisation des villes arabes. Mais ne relativise rien du tout… Retour au point de départ. Déjeuner entre amis. Des rendez-vous. Et le soir, après shabbat, rencontre dans un petit café de Nahlaot avec Yehuda Shaul, le principal porte-parole du mouvement de soldats Breaking the Silence. Nous l’avions déjà interviewé en 2008 à Paris. Yehuda Shaul est représentatif d’une nouvelle génération de militants pour la paix. Sa démarche n’est pas idéologique. Et son itinéraire est original dans une mouvance naguère réservée à la gauche. Il a la barbe brune abondante, et se dit religieux. Il se présente de façon très directe.« Je viens de la droite de la société israélienne. Je suis né à Jérusalem, mais j’ai grandi dans les colonies (en territoire palestinien).» Avant d’ajouter : «Si j’ai un accent nord-américain, c’est que mon père est Canadien et ma mère des Etats-Unis.» Et il enchaîne. J«’ai été à l’école dans les colonies, mais sœur vit dans une colonie. Voilà d’où je viens. J’ai été soldat de 2001 à 2004, pendant le pic de violence. J’ai terminé sergent à la tête d’une unité de vingt soldats. J’ai été à Hebron. J’ai tout fait. Les checks points, les patrouilles. Mais j’ai commencé à me poser des questions surtout quand j’ai commandé à des hommes, parce que là, vous avez d’autres responsabilités.» Mais ce qu’il appelle le trauming point s’est passé pour lui alors qu’il était sur le point de revenir à la vie civile. Je publierai mon entretien avec Yehuda dans un numéro de Politis de janvier.
Le lendemain matin, incursion au bureau de presse gouvernementale pour demander une accréditation pour aller dans les Territoires. Dialogue surréaliste avec une pimbêche. — Qu’est-ce qui me prouve que vous êtes celui que vous prétendez être ?
— Ma carte de presse ? Mon passeport ? Ma photo dans le journal ?
—Tout ça ne prouve rien.
—Qu’est-ce qui constituerait une preuve suffisante ?
—Une lettre de l’ambassadeur d’Israël à Paris…
Sourire. Au revoir Madame et merci. Deux heures plus tard, j’étais à Ramallah.

(Demain, dans les Territoires palestiniens)

Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don