Monsieur Baroin

Sébastien Fontenelle  • 14 janvier 2012
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Monsieur Baroin

Bonsoir, monsieur Baroin.

― Bonsoir, monsieur Delahousse.

― La France a donc perdu son triple A…

― Exactement, monsieur Delahousse, et ce n’est que justice: cela prouve que nos efforts n’ont pas été vains.

― Vous…

― Et je peux vous garantir que depuis ce matin les banquiers se bousculent pour nous prêter de l’argent à des taux si bas qu’ils en deviennent risibles.

― Ah oui?

― Aaaaah oui, monsieur Delahousse: c’est limite si les mecs ne nous paient pas pour qu’on leur emprunte de la thune.

― Mais comment est-ce poss…

― Un pauvre con de Grec se pointe à la BNP pour demander qu’on lui avance vingt euros: qu’est-ce qui se passe, d’après vous?

― Je l’ignore, mais…

― Je vais vous le dire, monsieur Delahousse: son conseiller clientèle lui suggère de repasser dans trois siècles, quand il aura récupéré son triple Z.

― Mais quel…

― Alors que nous, pardon, mais le gars nous allonge cinquante euros sur trente ans, et on doit le retenir pour qu’il ne nous refasse pas la moquette de la salle de bains.

― Att…

― Pourquoi?

― Je ne s…

― Parce que nous, monsieur Delahousse, à la différence de Rastapopoulos, nous avons su défendre notre triple A.

―Mais la France vient de le per…

― Précisément, monsieur Delahousse, et cette excellente nouvelle devrait, je crois (et si vous me passez l’expression), durablement rabattre le caquet de ceux qui nous reprochaient nos réformes – sans lesquelles, je suis au regret de vous l’annoncer, la France aurait immanquablement perdu son triple A.

― Mais enfin, monsieur Baroin, qu’est-ce…

― Car le socialisme, monsieur Delahousse: c’est la guerre.

― Monsieur Baroin?

― Ypres!

― Allô, monsieur Baroin?

― Bapaume!

― De grâce, monsieur Bar…

― Bastogne!

― Régie, qu’est-ce que je fais?

― Le socialisme, monsieur Delahousse, c’est le gaz moutarde, et son hideux cortège d’indicibles souffrances.

― Tu filmes ça, Jean-Pierre?

― Mais je tiens à dire aux Français, monsieur Delahousse, que le gouvernement continuera de tout faire – tout , monsieur Delahousse – pour défendre son triple A.

― Attendez, vous…

― Et je veux dire aussi aux Allemands que nous sommes à donf avec eux dans ce moment difficile.

― Je ne vous suis plus du tout, monsieur Baroin: je ne comprends pas un mot de ce que vous racontez.

Ich bin ein Berliner , monsieur Delahousse, et j’espère que vous aussi.

― Mais de quoi est-ce…

― Papa Schultz, ne pleure pas: ton triple A reviendra.

― Au nom du ciel, monsieur Baroin, vous…

― Et vous avez parfaitement raison de le souligner, monsieur Delahousse, mais je crois que dans le cas de la France, c’était mérité.

― Vous m’avez perdu, monsieur Baroin.

Triple A ou mourir, monsieur Delahousse: ç’a toujours été notre devise.

― Putain, Jean-Pierre, j’espère que tu le cadres serré?

― Et comme je vous comprends: mais dites-vous bien, monsieur Delahousse, que nous n’avons aucune intention de…

― Monsieur Baroin?

― Monsieur Delahousse?

― Excusez-moi de vous interrompre, mais la France a perdu son triple A, monsieur Baroin.

― À la frangipane, bien sûr.

― Et le président de la République avait expliqué que…

― C’est moi qui suis passé sous la table.

― …La perte de notre triple A serait une…

― Cette part-ci est pour Nicolas, j’ai dit, et celle-ci est pour François, et celle-ci pour ce bon vieux Claude.

― …Très mauvaise nouvelle pour…

― Et devinez qui a eu la fève?

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Temps de lecture : 3 minutes
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