« La part des anges » de Ken Loach; « Rengaine » de Rachid Djaïdani

Christophe Kantcheff  • 23 mai 2012
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« La part des anges » de Ken Loach; « Rengaine » de Rachid Djaïdani

Le même jour, il y a d’un côté le « vieux » Ken Loach, qui a déjà eu tous les honneurs, dont la palme d’or ici avec le Vent se lève (2006), et qui revient en compétition avec la Part des anges . Et de l’autre le « jeune » Rachid Djaïdani, qui présente Rengaine , son premier long métrage, à la Quinzaine des réalisateurs. Il semble, à lire les réactions critiques, que le film du premier soit considéré comme mineur et celui du second comme une révélation. Bref, le neuf est préféré à l’ancien. En ce qui me concerne, et en l’occurrence, c’est l’inverse.

Illustration - « La part des anges » de Ken Loach; « Rengaine » de Rachid Djaïdani

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La part des anges est une comédie** à la hauteur des lettres de noblesse du genre, bien plus vivante et revigorante que la plupart des films soit disant drôles sortis sur les écrans dans l’année. Film « mineur » ? Peut-être. Mais quel plaisir majeur ! De quoi s’agit-il ? De l’histoire d’un jeune délinquant, Robbie, en voie de réinsertion, qui est amené pour s’en sortir à imaginer un vol ingénieux et somme toute bénin, destiné à le remettre sur la voie du droit chemin.

On retrouve les personnages habituels des films de Loach, ici dans la banlieue de Glasgow, accent prolo écossais garanti. Robbie, comme ses copains, est indésirable sur le marché du travail, et verse, pour un oui pour un non, dans la violence. Ken Loach se fend d’ailleurs d’une séquence à charge envers son personnage : celui-ci est convoqué au tribunal pour une rencontre avec un garçon qu’il a blessé à vie, bien après avoir purgé sa peine de prison. Robbie en sort laminé. Tout nouveau père, il a promis à sa compagne de ne plus jamais cogner.

La part des anges* ne serait pas** une comédie s’il ne racontait qu’une histoire de rédemption sociale. La belle idée du film, c’est que celle-ci est possible grâce à deux types de compétences que Robbie possède, considéré pourtant comme un moins que rien. Les premières, classiques, ont été acquises dans la délinquance : débrouillardise et techniques de chapardage. Les secondes, plus inattendues, que le garçon se découvre grâce à son référent judiciaire : Robbie s’avère être un bon goûteur de whisky, boisson patrimoniale écossaise. Le pied de nez est évident : l’alcool, dans lequel se noie une bonne part de la classe ouvrière à la dérive, va tirer d’affaire Robbie.

Ken Loach, et son fidèle scénariste Paul Laverty, jouent ainsi sur les paradoxes pour en tirer le meilleur parti. Ils amusent en alliant les contraires qui ne devraient jamais se rencontrer, comme la bande de va-nu-pieds nickelés que sont Robbie et ses potes, et le milieu chic des distilleries et des whiskys de luxe. Comme toujours ses comédiens sont excellents, et contribuent largement à la réussite de ce film tendre, espiègle, à la morale de Robin des bois.

On n’est pas davantage chez les bourgeois chez Rachid Djaïdani, dont on avait découvert Sur ma ligne , un moyen métrage très prometteur, grâce à l’Acid à Cannes, en 2006. Rengaine , dont l’action se déroule à Paris, n’a pas dans son viseur les problèmes du chômage, mais le racisme entre les Noirs et les Arabes. Un état de fait rarement montré au cinéma. Non parce que ce qui divise les dominés gênerait les « cinéastes de gauche ». Guédiguian l’a fait par exemple, dans les Neiges du Kilimandjaro , mettant en évidence les lignes de tension sociale au sein même de la classe ouvrière. Mais, en ce qui concerne le racisme Noirs/Arabes, sans doute fallait-il un réalisateur qui connaisse parfaitement les deux communautés pour s’y coller.

Illustration - « La part des anges » de Ken Loach; « Rengaine » de Rachid Djaïdani

Rengaine* est une fiction,** dont le point de départ est la relation qu’entretiennent un jeune Noir, Dorcy (Stéphane Soo Mongo) et une jeune femme d’origine Algérienne, Sabrina (Sabrina Hamida), désireux de se marier. Impossible pour les frères de celle-ci. Ce serait transgresser une règle non écrite mais puissamment ancrée dans les esprits. Refus également de la douce mère de Dorcy, parce qu’une « blanche » ferait des enfants blancs ! Les moments d’exposition de cette situation entravée par des préjugés sont les meilleurs du film. C’est là que l’humour de Rachid Djaïdani excelle : pas une scène où l’on ne cesse de s’appeler « mon frère » alors qu’on n’en pense pas moins.

Les problèmes viennent ensuite. Si le cinéaste, qui a fait preuve de ténacité pour autoproduire et mener à bien son film, aborde un sujet effectivement brûlant, il le fait en prenant des précautions scénaristiques. Première précaution : il ne recule pas devant certains clichés pour continuer à mettre les rieurs de son côté. Exemple : jeune comédien à la recherche de rôles, Dorcy se retrouve engagé par une réalisatrice (pseudo)intello forcément hystérico-ridicule. Une caricature qui, au demeurant, n’a aucune nécessité dans l’économie du récit.

Seconde précaution : Rachid Djaïdani a recours à une ficelle narrative très politiquement correcte pour résoudre le problème de ses deux personnages amoureux. Slimane, le frère de Sabrina le plus remonté contre le mariage de sa sœur avec un Noir, est amoureux d’une jeune femme juive, relation qu’il garde clandestine, mais qui joue sur sa conscience. Plus déterminant encore : le frère aîné de Sabrina vient défendre la cause de sa sœur, lui qui a aussi connu l’exclusion familiale parce qu’il est homosexuel. Djaïdani n’oublie ainsi (presque) personne, ne néglige aucune des communautés stigmatisées qui, par leur alliance objective, font basculer les barrières mentales. C’est consensuel, angélique, et limite roublard. Rengaine est hélas très loin de l’irréductible Wesh, wesh , le premier film de Rabah Ameur-Zaïmèche.

Demain, je parle de Holy Motors , de Leos Carax. Ma palme d’or, incontestablement, même si vu au premier rang de l’orchestre (bien) sur un strapontin (moins bien)…

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