« Like someone in love » d’Abbas Kiarostami; « Vous n’avez encore rien vu » d’Alain Resnais; « In another country » de Hong Sangsoo

Christophe Kantcheff  • 22 mai 2012
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« Like someone in love » d’Abbas Kiarostami; « Vous n’avez encore rien vu » d’Alain Resnais; « In another country » de Hong Sangsoo

Une série de films à fortes préoccupations formelles s’est emparée de Cannes. Ouf ! Je commençais à trouver le temps long et la compétition dominée par les films à thème et/ou naturalistes. Sont entrés en lice : Like someone in love d’Abbas Kiarostami, Vous n’avez encore rien vu d’Alain Resnais et In Another country de Hong Sang-soo. Des films qui remettent un tant soit peu en cause les codes traditionnels du cinéma, et qui dès lors attirent les foudres des esprits poujado-journalistiques. On a même entendu le nom de Kiarostami sifflé hier soir, à la fin de la projection de presse. Je ne suis pas pour le respect à tout prix des grands auteurs. Mais en l’occurrence, ces sifflets-là étaient parfaitement crétins.

Illustration - « Like someone in love » d'Abbas Kiarostami; « Vous n'avez encore rien vu » d'Alain Resnais; « In another country » de Hong Sangsoo

Like someone in love* est un film** que Kiarostami a tourné au Japon, après avoir réalisé Copie conforme (2010) en Italie, avec Juliette Binoche. Histoire de porter sur l’Autre son regard, d’obliger celui-ci à se décaler, et peut-être d’y trouver ce qui perdure, donc ce qui est essentiel. A priori, Like someone in love a une allure plus conventionnelle que certains des films du réalisateur iranien aux dispositifs plus radicaux : Ten (2002), Shirin (2008)… Mais voilà tout de même un drôle d’objet, son principe étant de déjouer en permanence.

Akiko, une étudiante qui fait la call girl pour financer ses études, se rend chez un homme âgé, M. Takashi, vieil universitaire pétri de culture, pour y passer la nuit. À cette situation de départ, des événements vont s’ajouter selon un enchaînement assez arbitraire et sans que ce qui est attendu par le spectateur soit montré. Ainsi du sexe entre le vieil homme et la fille, qui reste hors champ, hypothétique, mystérieux – M. Takashi ayant surtout pour proposition insistante de partager avec Akiko une soupe aux « jeunes crevettes » .

Like someone in love* est un film** où s’exprime un humour sophistiqué, par des scènes de quasi vaudeville (M. Takashi va se retrouver en présence du boy friend d’Akiko) et des répliques teintées d’absurde. S’y dessine aussi le poids d’une domination masculine, aux manifestations parfois violentes, dont Akiko est la victime. Mais elle est le fait du proxénète puis de celui qui prétend se marier avec elle, son petit ami, pas du client si particulier qu’est M. Takashi.

Comme ses personnages, Like someone in love , à la mise en scène éblouissante, suit une direction incertaine, faisant presque figure de manifeste contre les films programmatiques, qui déroulent leur proposition initiale sans en bouger d’un iota. Contre tous les formatages aussi. Abbas Kiarostami est un véritable artiste : il cherche en permanence le renouvellement.

Alain Resnais est aussi de cette trempe. Ce qui n’empêche pas de partir de motifs connus pour aller vers l’imprévisible. Deux films précédents du cinéaste peuvent apparaître comme les figures tutélaires de Vous n’avez encore rien vu : Mélo (1986), pour la présence du théâtre, et Smoking/No smoking (1993) pour la mise en place d’un dispositif formel. Mais très vite, on entre dans un film passionnant qui ne ressemble à aucun autre.

Illustration - « Like someone in love » d'Abbas Kiarostami; « Vous n'avez encore rien vu » d'Alain Resnais; « In another country » de Hong Sangsoo

L’idée centrale est d’avoir mis face à face deux générations d’acteurs jouant la même pièce : Eurydice d’Anouilh, et des extraits de Cher Antoine ou l’amour raté . Les plus jeunes, des comédiens inconnus de la troupe de la Colombe, interprètent la pièce dans une captation filmée (par Bruno Podalydès), qui est projetée aux acteurs plus confirmés. Ceux-ci, désignés par leur nom de scène, reprennent en écho la pièce qui leur est montrée, et qu’ils ont tous jouée dans le passé. Cela peut paraître compliqué sur le papier, c’est d’une fluidité magique dans le film.

En elle-même, la pièce d’Anouilh n’est pas extraordinaire (comme ne l’était pas non plus Mélo , la pièce de Bernstein). Mais elle est un excellent support pour les acteurs. Or, ce sont eux le véritable sujet de ce film. Plus précisément leur jeu, que le décor dépouillé, virtuel, utilisé avec la fantaisie simple et subtile de Resnais, met d’autant plus en valeur.

Vous n’avez encore rien vu* place le spectateur** devant une interrogation tout simplement géniale. D’un côté, on ne peut qu’être épaté par la virtuosité, l’extrême précision, et le soyeux de ces comédiens de haut vol que sont Pierre Arditi, Sabine Azéma, Michel Piccoli, Lambert Wilson, Anne Consigny, Mathieu Amalric et les autres. Mais d’un autre côté, on finit par se demander si le jeu des jeunes acteurs, moins assuré et qui supporte mal la comparaison dans un premier temps, ne serait finalement pas le plus contemporain parce que le plus en recherche, le plus innocent aussi. Une interrogation suscitée sans doute involontairement. Mais c’est parce qu’il est à sa manière un grand film « expérimental », que les effets de Vous n’avez encore rien vu – titre extraordinaire – sont potentiellement riches et inattendus.

Illustration - « Like someone in love » d'Abbas Kiarostami; « Vous n'avez encore rien vu » d'Alain Resnais; « In another country » de Hong Sangsoo

Bon. Je dois accélérer, la journée ayant été riche : 4 films vus, un « A flux détendu » à écrire pour le journal de jeudi, cette chronique à finir… In another country , du Coréen Hong Sangsoo, peut se résumer à l’équation suivante : une actrice, trois possibilités. L’actrice, c’est Isabelle Huppert. Les trois possibilités, ce sont autant d’histoires qui se déroulent au même endroit, dans une petite station balnéaire coréenne, avec au centre l’actrice française, les mêmes comédiens dans des rôles secondaires, et un certain nombre d’épisodes semblables chaque fois réaménagés différemment. À la manière d’un jeu à contraintes. Le film est très drôle, comme souvent chez Hong Sangsoo. Et les variations scénaristiques mettent en relief, a contrario, les gestes de mise en scène récurrents (zooms, panoramiques…) qui instaurent une unité de style et d’écriture propre au cinéaste. Quant à Isabelle Huppert, elle semble ici comme chez elle. Et le duo qu’elle forme avec un maître-nageur est impayable. Etonnant, non ?

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