«Mud» de Jeff Nichols et mon palmarès idéal

Christophe Kantcheff  • 27 mai 2012
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«Mud» de Jeff Nichols et mon palmarès idéal

On attendait beaucoup de Mud , le troisième long métrage de Jeff Nichols, après Take Shelter – qui était à la Semaine de la critique l’an dernier et en avait récolté le Grand prix –, pour relever le niveau de la sélection états-unienne en compétition, Les hommes sans loi , de John Hillcoat, The Paperboy , de Lee Daniels, et Killing them softly , d’Andrew Dominik, ayant impressionné par leur vacuité. Cette médiocrité, vraisemblable reflet de l’état de la production américaine en 2011, aurait sans doute justifié qu’un de ces films soit écarté au profit d’un autre, figurant dans une section parallèle, comme À perdre la raison , du Belge Joachim Lafosse, que j’ai vu mais dont je n’ai pas eu le temps de parler, ou les Invisibles de Sébastien Lifshitz.

Illustration - «Mud» de Jeff Nichols et mon palmarès idéal

Alors, Mud ? Pas le chef d’œuvre annoncé – il bruissait que Thierry Frémaux l’avait placé en queue de programmation en guise de bouquet final – mais un beau film serein et limpide comme les eaux du Mississipi, qui y occupe une place centrale – son titre, s’il n’avait été déjà pris, aurait d’ailleurs pu être le Fleuve .

Mud (Matthew McConaughey), le personnage éponyme, a quelque chose d’un Robinson Crusoe d’aujourd’hui : il s’est réfugié seul sur une île du Mississipi, où il espère pouvoir retaper un vieux bateau échoué en hauteur, dans des branches d’arbres, après une inondation. Il est découvert par deux adolescents, Ellis (Tye Sheridan) et Neckbone (Jacob Lofland), qui vont lui venir en aide, bien qu’ils aient appris que cet homme était recherché par la police.

Jeff Nichols filme magnifiquement la nature. Pas besoin chez lui de soleils couchants pour en capter les calmes magnificences. Le fleuve est ici autant une frontière (entre Mud et ceux qui le recherchent, entre Mud et la femme qu’il aime) qu’un trait d’union (pour Ellis et Neckbone, qui ne cessent de faire l’aller et retour entre l’île et la « civilisation »). Il a sa propre présence physique, mais entre aussi dans la scénographie des personnages. Autrement dit, au-delà du décor pittoresque auquel il aurait pu être réduit, le fleuve est une composante majeure du récit et de ses enjeux.

Autre réussite : entre Ellis et ses parents, entre Neckbone et son oncle, entre Mud et les ados, enfin entre Mud et son père d’adoption (Sam Shepard), circulent des flux d’émotion et d’échanges d’expérience. Parfois un peu trop appuyés, ces moments ne sont jamais aussi convaincants que lorsqu’ils sont diffus, implicites. Le film reste heureusement non démonstratif : on ne sait réellement quelle transmission a lieu, si le courant passe, ce qu’Ellis et Neckbone, au terme de cette histoire, sauront mettre à profit. Cet aléatoire-là est la marque, là encore, d’un cinéaste délicat. Et si Mud paraît globalement un peu trop sage, il est un des rares films que j’ai vus à Cannes où enfants et adultes ont droit à la même qualité de regard.

À 24 heures de la clôture du festival, c’est l’heure du bilan. N’étant toujours pas, après 11 festivals de Cannes, en possession du don d’ubiquité, le mien ne peut être que partiel. Ceux de mes confrères qui ont plus particulièrement suivi la Quinzaine des réalisateurs – dont je n’ai vu que deux films, Alyah et Rengaine , semblent dire que cette édition, sous la responsabilité d’un nouveau délégué général, Edouard Waintrop, était particulièrement réussie. L’Acid, quant à elle, est à nouveau parvenue à tirer son épingle du jeu, attirant désormais toujours beaucoup de spectateurs à ses deux projections quotidiennes, un signe de forte reconnaissance pour cette programmation réputée la plus off du festival.

Reste la compétition. Pas aussi rayonnante que l’an dernier, elle n’était pas aussi mauvaise que certains veulent bien le dire. Les films de tout petits calibres ont été, il est vrai, très (trop) nombreux. Du coup, ils ont tendance à influencer exagérément le regard que l’on peut porter sur elle.

Illustration - «Mud» de Jeff Nichols et mon palmarès idéal

Difficile en tout cas d’établir un pronostic. Le petit jeu des rumeurs crédibles semble moins actif que d’habitude. Au-delà des collines , de Cristian Mungiu, est cité pour la palme ainsi que Amour , de Michael Haneke, parce que ce sont les mieux notés par la presse étrangère. On y ajoute parfois Vous n’avez pas encore rien vu d’Alain Resnais, qui n’a jamais reçu la récompense suprême ici.

Mais la personnalité du président du jury, Nanni Moretti, laisse à penser qu’on aura des surprises. J’ai tendance à lui faire confiance. « Grand cinéaste, mauvais président », dit-on parfois. On verra. Quelque chose me dit que cet adage ne se vérifiera pas. S’il souhaite réellement marqué de son empreinte sa présidence, il choisira un nouvel impétrant. Ce pourrait être David Cronenberg et son Cosmopolis , ou mieux encore, Leos Carax pour Holy Motors , dont on sait qu’il divise le jury.

Illustration - «Mud» de Jeff Nichols et mon palmarès idéal

Devant tant d’incertitude, je préfère me faire plaisir et livrer ici mon palmarès idéal :

Palme d’or à 200% : Holy Motors , de Leos Carax.

Grand Prix ex-aequo : Vous n’avez encore rien vu d’Alain Resnais et Amour de Michael Haneke.

Prix d’interprétation masculine : Jean-Louis Trintignant dans Amour ou Tadashi Okuno dans Like someone in love d’Abbas Kiarostami.

Prix d’interprétation féminine : les deux comédiennes d’ Au-delà des collines de Cristian Mungiu : Cosmina Stratan et Cristina Flutur.

Prix de la mise en scène : Cosmopolis , de David Cronenberg.

Prix du scénario : In another country , de Hong Sangsoo.

Prix du jury : Moonrise Kingdom de Wes Anderson ou Dans la brume de Sergei Loznitsa (dont je n’ai pas encore parlé dans ces chroniques).

Allez Nanni, déconne pas…
Rendez-vous ce soir pour le commentaire du palmarès.

PS (écrit ce dimanche après-midi) : On annonce un palmarès catastrophique. Aïe aîe aîe !

Les résultats et les commentaires : c’est ici !

Temps de lecture : 6 minutes
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