A la conférence de Rio, les mots nature, pollutions et biodiversité disparaissent dans l’indifférence genérale

À Rio, les professionnels de la caravane conférencière oublient la planète et ses destructions au profit de l’économie

Claude-Marie Vadrot  • 19 juin 2012
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Désormais à Rio où les délégations se livrent depuis lundi soir aux délices du désaccord égoïste et nationaliste il est des mots qu’ils ne faut plus prononcer : exit la protection de la nature, exit la biodiversité, les questions de pollution de l’air ou de l’eau, exit les destructions des écosystèmes, de l’environnement ou des forêts. On ne parle plus qu’économie. Les délégués ne se souviennent des problèmes climatiques que lorsque les puissantes climatisations de leurs salles de réunion tombe quelques minutes en panne. Pensez donc, mardi le thermomètre est monté à 27° à l’ombre : insupportable pour des gens qui ne quittent jamais leurs cravates assorties à leurs costumes gris ou noirs. L’uniforme de ces spécialistes qui, alors que les ministres changent, se transportent d’années en années d’un lieu de réunion mondiale à l’autre, préparant la suivante alors que la précédente n’est pas encore terminée : à Copenhague, dans les allées de la conférence, la ville de Durban (déjà choisie comme prochain point de discussion) avait ouvert un grand stand pour vanter ses mérites touristiques.

Parfois, accidents de l’Histoire, les politiques trouvent une ou plusieurs solutions qui interrompent brusquement les périples onusiens et nationaux et brisent des carrières. Ici, la plupart des professionnels de conférence parlent déjà des avantages et délices du Qatar où, l’hiver prochain, sans crainte de la contradiction avec la production de pétrole, tout le monde viendra parler à nouveau du climat en fixant la conférence suivante. Pourquoi le Qatar ? Tout simplement parce qu’ils ont promis de tout payer et de faire une conférence somptueuse. A Rio, comme l’Histoire s’accélère, on évoque une prochaine réunion des politiques et des spécialistes pour 2015. Un an avant les Jeux Olympiques, comme il faut tester les infrastructures, le Brésil et Rio se voient déjà prochaine étape de la transhumance;
Cette caravane, journalistes compris, recrée chaque fois un monde en vase clos au sein duquel la moindre ânerie proférée par un délégué prend la proportion d’un événement planétaire. Ici à Rio, avec des airs de conspirateurs des centaines de spécialistes autoproclamées livrent d’un ton pénétré des confidences sur l’état et surtout les arcanes de la négociation. Les responsables des associations les plus contestataires présentes au Sommet du Peuple, n’échappent d’ailleurs pas à des tentatives de décryptage qui tiennent plus de leur flair et de leurs choix idéologiques que de la réalité. D’ailleurs se souvent les mêmes qui se transportent de conférence en conférence… Mais ça fait causer, c’est l’essentiel, pendant que les ministres font semblant jusqu’au bout de juger un accord impossible.


Une rivière hautement polluée prés de la conférence - Jamais les délégués et les militants n'ont remarqué cette rivière qui pue et empoisonne des centaines de Brésiliens à quelques centaines de mètres de la conférence


Donc, dans ce remue-ménage et méninges auquel il ne faut pas vraiment attacher trop d’importance, les réalités et les blessures de la planète disparaissent sous les mots convenus et les formules tandis que d’âpres batailles se livrent autour d’une virgule ou d’un adjectif. Mais les journalistes, partie prenant et victimes consentantes du cirque écologico-médiatique, se doivent quand même de s’en faire les chroniqueurs pour tenter de démasquer les impostures qui se cachent derrière la Comédie de Boulevard qui fait claquer ses portes dans le secret du centre de conférences. En fait l’avenir de l’écosystème terrestre est enfoui sous des mots politiquement correct qui glissent sous le tapis d’herbe en plastique qui accueille les Pavillons nationaux, la vie et surtout la mort des espèces, les ravages de l’agriculture industrialisée, la disparition des oiseaux ou des mammifères, la montée de eaux, la raréfaction des semences paysannes, les migrations climatiques forcées, les effets des guerres sur l’environnement ou la démultiplication des cancers et des nouvelles maladies sous les effets synergiques des milliers de produits chimiques relâchés dans l’atmosphère.

Une conférence officielle s’efforce presque toujours de tuer une réalité que la société civile s’efforce de maintenir hors des eaux de l’oubli et du politiquement correct.

Combien de délégués et de militants savent qu’à 300 mètres du Centre de Conférence coule une petite rivière très polluée au bord de laquelle vivent et pêchent quelques centaines de Brésiliens. Mais il est vrai que les vents dominants emmènent au loin l’abominable odeur qui se dégage de ce cours d’eau pourri où aboutissent une partie des eaux usées de la conférence…

CMV

Temps de lecture : 4 minutes
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