L’irrépressible liberté des données

Christine Tréguier  • 14 novembre 2012
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Il existe un mouvement né avec l’Internet, né de l’Internet, qu’on pourrait appeler l’irrépressible liberté des données. Les données, ce sont les œuvres culturelles et de l’esprit, les datas administratives mais aussi les cartes, les bases de données, les mots, l’encyclopédie, etc. Bref, toutes les datas que l’humain fabrique (à l’exception des données personnelles) et qui réclament de circuler, d’être accessibles à tous, combinables et réutilisables par tous. 

Il existe bien sûr un mouvement inverse visant à propriétariser, à enclore ces mêmes données, sources de profit et de rentes. Poussant la roue dans cette direction, on trouve la nébuleuse des « auteurs » – en réalité leurs représentants encaisseurs de droits –, les entreprises en tout genre et les législateurs soumis aux pressions des lobbyistes d’icelles et aveuglés par une propre conception obsolète, « luminariste », de la propriété intellectuelle. Ce dernier mouvement agit à rebrousse-droit de la liberté revendiquée par l’autre. 

On a évoqué ici le cas de Fourmi Santé, attaquée par la Sécu (voir Quand Ameli attaque l’Open data). On pourrait trouver des dizaines d’exemples tout aussi parlants. Comme celui de FaceNuke, une visualisation du « réseau (anti)social » qui fait la pol itique énergétique nucléaro-centrée depuis quarante ans en France, publiée en avril par Greenpeace. Cette carte se fonde exclusivement sur des informations publiques relevées sur Internet. Mais après quatre demandes de retrait de patronymes (émanant du CEA, de Sauvons le climat et d’Areva) et la menace d’un procès en diffamation (hé oui, le lien issu de la juxtaposition visuelle serait diffamant !), l’ONG a préféré retirer (provisoirement) le graphe. 

Les soldats des datas libres auraient-ils le dessous parce qu’inégalement armés ? Contre eux, la puissance de l’argent injecté dans le lobbying et celle des politiques arc-boutés sur la défense de la « propriété ». Le combat n’est pas si inégal, car l’armée des ombres numériques a pour elle le nombre – des multitudes d’experts désargentés mais travaillant d’arrache-pied, soutenus par des cohortes prêtes à surgir du net en un clic – et la puissance de tir de l’innovation technologique. Ils n’ont pas de pognon, mais ils ont des idées et savent les mettre en œuvre. 

Exemple : The Pirate Bay, un des grands serveurs de peer to peer, annonçait en mars dernier un projet baptisé « Contre-mesures électroniques », constitué de drones qui hébergeraient les fichiers partagés. Pourquoi des drones ? Parce qu’un escadron de microrobots volants qui diffuse via son propre réseau wifi peut se disperser pour échapper à la détection et se reformer plus loin, et semble à l’épreuve des balles juridiques. C’est un « Napster aérien » quasi imprenable et multipliable à l’infini. 

Vol de nuit d’un escadron de drones pirates

On peut évoquer aussi le MegaUpload 2.0 qui se profile à l’horizon. Kim Dotcom entend bien revenir à la charge avec ce qui a déjà fait sa fortune : stockage massif (serveurs états-uniens s’abstenir), système encore plus distribué, cryptage et téléchargement direct. Avec en toile de fond, bien entendu, la question de la redistribution des profits accaparés. 

Autre annonce, plus réjouissante encore, en octobre, l’arrivée de « PirateBox » prototypes dans deux bibliothèques – à Lezoux (Puy-de-Dôme) et à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Le concept est lumineux : un réseau wi-fi ouvert, qui permet à chacun via son terminal mobile de se connecter à des sélections de contenus choisis et gratuits de la bibliothèque. Comme dit Renaud Aïoutz, responsable du projet à Lezoux, paraphrasant Jack London : « Sur les murs de la PirateBox, je vis un monde surgir de l’horizon. » Domaine public, licences libres et libre diffusion locale des contenus, une vraie bibliothèque comme on les aime !

Electronic Countermeasures @ GLOW Festival NL 2011 from liam young on Vimeo.

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